L’information que j’ai donnée la semaine dernière sur Le360 dans le cadre du portait vidéo consacré à Assou Ou Baslam, selon laquelle son prénom serait un diminutif de Aïssa, m’a valu une volée de bois vert sur certains réseaux sociaux.
Florilège:
- Vous voulez-tout arabiser? Assou est un nom tout ce qu’il y a de plus autochtone!
- C’est quoi cette logique d’associer une appellation amazighe au christianisme?
- Ni Aïssa ni Moussa! Et pourquoi pas Jésus tant que vous y êtes?!
Au vu du nombre de commentaires, des plus polis aux plus goguenards, je m’en suis remise à mes notes, sachant que, lorsqu’il s’agit du moindre fait historique relaté, il n’y a nulle place à l’imaginaire.
L’erreur reste cependant humaine!
Une petite vérification et il s’avère, selon la fameuse «Maâlamat al-Maghrib», à l’entrée dédiée à notre héros national, qu‘Assou est un diminutif du véritable nom Aïssa.
Même information dans l’ouvrage du sociologue Dr. Omar Ibourki, «Al-Haraka al-Câïdiya», tandis que le professeur d’université David Montgomery Hart, qui consacre à Assou Ou Baslam une biographie anthropologique, comme il l’appelle, parue dans l’encyclopédie «Les Africains», soutient à son tour qu’il «avait pour nom ‘Aïsa, diminutif ‘Assu».
Nous pouvons tous nous tromper, bien sûr, à condition d’en faire concrètement la preuve. Mais au-delà du portrait de cette figure charismatique des Aït Atta, héros de la bataille du Jbel Saghro, je retiens le degré d’enfermement dans lequel certains veulent cloisonner la culture amazighe, comme si elle avait évolué depuis les temps immémoriaux entre quatre barrières.
Nourrie de plusieurs apports exogènes, cette identité forte a fait subir à ces influences, à leur tour, des transformations aux colorations locales.
Pour rester juste dans le registre onomastique, il est d’usage, en milieu amazigh, de procéder à des versions diminutives et affectueuses à partir d’appellations venues d’ailleurs, tout en gardant un noyau dur de prénoms qui ont traversé les siècles.
L’Islam a bien entendu joué un grand rôle en tant que vecteur de transmission de prénoms arabes, jugés souvent préférentiels, surtout chez les premiers-nés, reliés qu’ils sont (à travers le morphème «Abd») aux 99 attributs de Dieu, quand ce n’est pas au Prophète, aux membres de sa famille et à ses compagnons.
Raĥĥou n’est autre qu’un diminutif du prénom composé Abd-Raĥmane (Serviteur du Clément); tandis que Abdellatif devient Attou; Abd-es-Salam, Baslam; Abdallah, Abbou ou Bella, selon les régions; Mohamed, Moh, Moha, voire Hammou; Hassan et al-Houssein, Lhous, Hassou ou Hassi; Fatima, Fatma avec sa variante Fadma…
Il en est de même pour des figures bibliques et non moins adulées en Islam, citées à plusieurs reprises dans le Coran.
En milieu amazigh, Zakaria devient Zekri, Ibrahim a pour diminutifs Bihi, Baha, Bouih, imposés non seulement comme appellatifs dans des cercles intimes, mais comme noms de référence, entrant ensuite dans la composition de plusieurs noms de familles, de tribus ou de lieux, en hommage à la figure de l’ancêtre éponyme.
Les prénoms communs aux juifs ou aux chrétiens ne manquent pas en effet, attribués anciennement à des personnes ou à des groupements par l’adjonction du préfixe de filiation Aït.
Tel est le cas des Daoud, Ishak, Slimane, Moussa, Haroun…
Que dire de Yecchou (ou Ichou), prénom pouvant évoquer le personnage de Yachou’, soit Josué fils de Noun, successeur de Moïse dans la conduite des Hébreux vers le pays de Canaan, tout en nous rappelant que Yachou’ (en arabe, al-Yasou’) est un prénom antique attribué au prophète Jésus.
Des dizaines de localités, portant le nom Aït Aïssa, parsèment d’ailleurs le pays, notamment chez les Regraga avec les Aït Aïssa, serviteurs de la Zaouïa de Sidi Ouasmine dont ils seraient les descendants et dont la tradition, bien enracinée dans les esprits et dans quelques écrits, fait des apôtres de Jésus.
Selon cette légende, quatre hommes, nommés Artoun, Ardoun, Amijji et Alqama auraient fui par voie de mer la persécution qu’ils subissaient dans leur foi monothéiste (rapprochée de l’arianisme) pour accoster sur les rivages de l’Oued Tensift, à Agouz, où ils auraient fondé un lieu de prières, appelé en berbère Timzguida n’houren (La Mosquée des apôtres).
Des rites et des chants observés lors de leur Moussem annuel par Abdelkader Mana, consignés dans son célèbre ouvrage sur les Regraga, rappelleraient d’ailleurs étrangement l’épisode biblique de la Table servie.
Dans ce même ordre, Yahya a pour équivalent, en amazigh, Idder ou Yidder, prénom et adjectif signifiant «le Vivant», désignant également sous cette forme amazighe le saint et prophète du Nouveau Testament cité dans le Coran, appelé Jean-Baptiste dans la tradition chrétienne, qui le considère comme un annonciateur de Jésus qu’il baptisa sur les bords du Jourdain.
Ce n’est pas pour rien que des légendes le relient au sanctuaire de Sidi Yahya, niché au milieu d’une oasis luxuriante dans l’Oriental au bord de la rivière.
Dans un ouvrage dédié à l’histoire de la ville d’Oujda et des Angad, Dr Ismaïli Alaoui rapporte à ce propos un récit attribué au cheikh Habri selon lequel Sidi Yahya Ben Younes était un apôtre de Jésus, issu de Bilad Cham.
Par ailleurs, dans une des légendes se rapportant à l’appellation laissée à la source de Moulay Yaaqoub (hormis celle qui identifie le maître des lieux à un personnage issu de la tribu Bhalil), le lien est établi avec le Puits de Jacob, situé près de Naplouse, en Palestine, là-même où Jésus avait rencontré la Samaritaine.
Au milieu de tous ces patriarches, impossible de ne pas avoir une pensée pour les femmes avec le doux surnom de Hanna, qui est associé généralement aux grands-mères.
Or, qui est Hannah (Anne), si ce n’est la grand-mère de Jésus, dont le prénom est traduit par grâce, mais dont on peut déceler la racine sémitique ĥn englobant la notion d’affection et de tendresse!
De tous ces noms implantés à des dates inconnues, il n’est évidemment pas aisé d’identifier la part liée à la conquête musulmane et la part antique empruntant d’autres voies de communication et d’échanges autrement plus anciennes.
Entre autres prénoms intrigants qui ont subsisté dans la toponymie et l’anthroponymie locales: Faska, qui n’est autre, à l’origine, qu’une version de Pascal.
Il est, depuis l’avènement de l’Islam, donné comme prénom aux enfants nés le jour de la fête du Sacrifice et impose un parallélisme avec l’appellation de la fête de Pâques (en latin pascha, via l’hébreu pesakh) dont le symbole est l’agneau pascal.
Parmi les personnalités les plus réputées du nom: Abou-Hafs Omar Inti, chef de la tribu Hintata, membre éminent du Conseil des Dix du chef spirituel des Almohades, ancêtre des rois hafsides au Maghreb, et dont c’était le nom initial, encore immortalisé dans son berceau du Haut Atlas sous la forme Aït Faska.
Il ressort de tous ces éléments, et bien d’autres en parallèle, que ce serait une grossière erreur que de persister à vouloir commencer l’histoire de nos contrées avec l’avènement de l’Islam, privant du regard sur cette continuité de la croyance monothéiste en terre nord-africaine avec l’apport du judaïsme ou du christianisme dans sa branche arianiste, proclamant la transcendance divine et préparant le terrain spirituel à l’installation de l’Islam.
Une manière d’indiquer que toute cette région n’était pas terra nullius en matière religieuse, et encore moins baignant dans la nuit primitive avec les seules croyances panthéistes et païennes, dans le sillage des récits de conquête qui visaient là à appuyer un prétendu rôle civilisateur.