Tribune. L’imagerie médicale au service de la justice en cas de blessures par balles

Exercice de tirs sur une cible au stand de tir de la Société de tir de Versoix, dans le canton de Genève, en Suisse.

Exercice de tirs sur une cible au stand de tir de la Société de tir de Versoix, dans le canton de Genève, en Suisse. . Rama

Quelle est la place de l’imagerie médicale dans la prise en charge initiale des traumatismes balistiques, principalement les plaies par balle? Voici une approche d’une vision scientifique avec le Dr Bounhir Boumehdi, radiologue, ancien médecin militaire.

Le 13/03/2022 à 08h04

Plusieurs travaux scientifiques se sont intéressés à cette problématique médicale, d’autant plus que les agressions et les crimes par armes à feu se sont multipliés ces derniers temps.

Une étude scientifique française récente a été réalisée auprès de patients victimes d’une plaie par balle au cours d’émeutes qui ont été explorés systématiquement par des radiographies standard, des échographies et des scanner (TDM).

L’étude a conclu que l’âge moyen des blessés était de 26 ans. Toutes les plaies étaient uniques. L’atteinte des membres était la plus fréquente dans 76 % des cas. Le tronc est touché dans 20% des cas.

Les radiographies standard ont objectivé des fractures ouvertes dont 95 % se situaient au niveau des membres inférieurs.

Le TDM a permis d’objectiver la trajectoire de la balle et de faire un bilan lésionnel.

La confrontation des données du scanner à celles constatées pendant l’opération chirurgicale et durant la surveillance a montré que le scanner est très performant pour le diagnostic des épanchements pleuraux (masse liquidienne du sang dans la plèvre qui couvre les poumons).

De même pour les plaies vasculaires, thoraciques et des organes pleins ainsi que les lésions cérébrales et du massif facial. Cependant, l’imagerie médicale a une faible sensibilité pour le diagnostic des lésions d’organes creux (estomac, intestin, etc.).

Il ressort de cette étude, que le TDM est très utile dans la prise en charge initiale des blessés par balles stables. Il permet d’objectiver la trajectoire de la balle et de faire un bilan lésionnel précis.

Les radiographies standard sont incontournables pour les lésions des membres inférieurs et du rachis.

Par ailleurs que montre le scanner post-mortem lors d’une autopsie après mort par arme à feu? La conjugaison de l’informatique et de la radiologie a permis de décrire une méthode d’autopsie virtuelle visant à restituer le trajet d’un projectile ayant causé une mort par arme à feu.

Cette méthode de calcul des angles de tir a pour but, à partir d’une acquisition scanner corps entier, d’accroître l’exactitude du rapport de l’expert balistique et fournir les informations les plus précises possibles aux autorités judiciaires, notamment pour la reconstitution du crime.

Grâce à un logiciel d'animation, cela permet de visualiser les mouvements de la victime de façon à établir la compatibilité entre les blessures de la victime et les récits des protagonistes de la scène du crime.

Les données TDM sont reformatées afin de tracer les trajectoires de la balle dans les différents plans anatomiques (coronal, sagittal et axial).

Un logiciel d’animation pour obtenir des mesures fiables et reproductiblesA partir de ces progrès technologiques, une étude a été lancée basée sur l’utilisation d’un logiciel d’animation permettant de restituer les mouvements de la victime lors de l’accident.

Elle comporte l’exemple d’un homme tué accidentellement lors d’une chasse et dont on a pu déduire la position au cours du tir à partir du calcul des angles.

Cette évaluation est réalisée en considérant la victime dans une position anatomique, d’abord en visualisant la totalité de la coupe comportant l’orifice d’entrée, puis celle comportant l’orifice de sortie et enfin en mesurant la distance et la hauteur entre les deux orifices.

Le logiciel génère des mesures fiables et reproductibles de la position des projectiles et des orifices d’entrée et de sortie, et calcule l’angulation de la trajectoire de la blessure.

Un impact certain de la modélisation du corps de la victime devant une cour de justiceLes auteurs de l’étude démontrent ainsi l’apport de la TDM post-mortem permet de produire un rapport d’expert de grande qualité, et qu’elles permettent de consigner de manière définitive tous les aspects de la blessure, notamment la nature (orifice d’entrée ou de sortie) de certaines blessures dont l’apparence extérieure est atypique ou trompeuse.

L’exactitude des mesures obtenues et l’utilisation du logiciel d’animation permet, d’autre part, aux médecins légistes d’établir d’éventuels liens entre plusieurs blessures en s’appuyant sur des mesures métriques. 

Il faut rappeler que la balistique est une science multidisciplinaire qui permet l’étude de l’expulsion d’un projectile hors d’une arme et de sa trajectoire immédiate, selon des lois de la physique et des formules mathématiques précises.

La balistique met aussi en jeu des notions de biologie et de médecine lors de la pénétration du projectile dans un corps humain. Car, le traumatisme balistique est la conséquence du transfert d’énergie d’un projectile sur l’organisme.

Il faut également rappeler que la connaissance de notions élémentaires de la balistique lésionnelle apporte une aide précieuse au chirurgien et au réanimateur dans l'évaluation de la gravité potentielle d'une lésion.

Et si, il y a longtemps, les traumatismes balistiques étaient exclusivement réservés à la chirurgie de guerre, aujourd’hui, la disponibilité en temps de paix des moyens de diagnostic modernes (radiologiques...) a permis de faire évoluer la stratégie de prise en charge de ces lésions par balles.

L’augmentation des crimes commis par balles sous nos cieux impose le développement d’une véritable expertise nationale aussi bien sur le plan du diagnostic que thérapeutique.

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 13/03/2022 à 08h04