Le titre de cette chronique paraît, au premier abord, ironique, voire sarcastique. Mais dans les faits, il en va de notre devenir en tant que pays aspirant à l’émergence économique dans les décennies à venir et, pourquoi pas, à une renaissance civilisationnelle.
En attendant, nous nous accrochons tant bien que mal à une corde tendue entre le tiers-monde et le développement.
Nos villes en sont les témoins les plus flagrants, puisqu’elles sont un espace de cohabitation paradoxale entre une modernité économique et architecturale des fois flamboyante, une tradition esthétique comme pour rappeler l’enracinement historique de la cité, et un néo-archaïsme chaotique et profondément laid qui dénature le tout.
Parlons-en d’ailleurs de ce néo-archaïsme, de ce chaos auto-entretenu qui, non seulement défigure nos villes et porte atteinte à notre image à l’international, mais qui prend également en otage notre quotidien et notre santé mentale.
À ce propos, l’occupation anarchique, arbitraire et sauvage de notre espace public en est un symptôme majeur.
Tout d’abord, les soi-disant gardiens de rues, surnommés «Boussefir» par certains, ou «bardin lktaf» par d’autres, autrement dit, les «paresseux». Ces derniers pullulent dans nos villes au point de devenir un vrai fléau urbain. À Casablanca, mais j’imagine qu’il en va de même dans bon nombre de villes du Royaume, il y a quasiment autant de prétendus gardiens que de rues et de ruelles, même les plus improbables.
Des fois, il arrive qu’une même ruelle soit littéralement occupée par 2 ou 3 gardiens. Soit, des dizaines de milliers d’occupants illégaux de l’espace public, peut-être même des centaines de milliers à l’échelle du pays. De quoi construire un chemin de fer reliant Tanger à Dakhla si l’État décidait de les mobiliser pour effectuer un vrai job, utile à la société.
J’arrête de rêver. Car dans le monde réel, ces derniers imposent une taxe allant de 2 à 10 dirhams des fois à tous les citoyens qui auraient le culot de vouloir profiter de l’espace public en garant leur véhicule à quatre roues. Vous croyez que payer la vignette suffit pour exercer ce droit? Que nenni! Vous devrez payer, en plus, une dîme à ces milices en uniforme jaune, qui se sont auto-institués en percepteurs de la commune.
Car oui, ce phénomène n’existe que grâce à la connivence de certains responsables au sein des communes, qui ont mis en place un système économique juteux, mais surtout contraire à la loi, dont le citoyen est le citron, dont il faut extraire jusqu’à la dernière goutte. Mais aussi grâce au laxisme des autorités au sens large, qui, non seulement, tolèrent ce phénomène, mais laissent souvent les citoyens livrés à eux-mêmes. Puisque quand vous décidez d’entamer un dialogue avec ces pseudo-gardiens, ils vous rétorquent qu’ils louent cette rue, et qu’ils sont tout à fait légitimes pour prélever cette dîme.
Et si par malheur, il vous venait à l’esprit de refuser de payer les 2 dirhams, voire plus selon l’humeur du gardien, vous risqueriez d’entrer dans une altercation verbale ou physique avec ce dernier, avec tous les risques qui vont avec pour vous et votre voiture. De plus, vous serez sommé de ne plus revenir parquer votre voiture dans cette ruelle. Si dans ce cas vous appelez la police, ce gardien fera immédiatement preuve de sa maîtrise de la téléportation en disparaissant sur-le-champ, pour réapparaître immédiatement comme par magie après le départ de la police. De vrais David Copperfield, ces gars-là!
Mais la plupart des citoyens étant occupés par de vrais métiers, ces derniers préfèrent, à contrecoeur, se plier à ce diktat. Car c’est une vraie logique de mafia qui est instaurée par ces «Boussefir»: «Tu dois me payer pour que je te protège de moi-même». Et c’est davantage vrai quand il s’agit d’une femme.
Des groupes imposants existent sur Facebook pour mobiliser et sensibiliser les gens concernant ce fléau. On pourrait citer le groupe «Boycott moul gilet», qui comptabilise pas moins de 257.000 abonnés, mais jusqu’à présent, les autorités continuent de faire la sourde oreille.
À ce fléau, d’autres viennent s’ajouter, comme le sabot et les horodateurs, dont la légalité est, semble-t-il, très douteuse. Ou encore l’occupation sauvage des trottoirs par certains cafés, ou encore des vendeurs ambulants…
Ainsi, si rien n’est fait, nos villes risquent très rapidement de ressembler davantage à Bombay qu’à Florence.
Pour conclure, vous pourrez me rétorquer: «Tu parles souvent de géopolitique et de sujets sérieux, qu’est-ce qui te prend tout d’un coup de parler d’un sujet aussi trivial?»
Ma réponse sera qu’il est très compliqué, pour moi comme pour n’importe quel citoyen, de se consacrer pleinement à son travail quand on est quotidiennement harcelés par des profiteurs dans une logique de parasitisme, et quand on se sent occupés dans nos propres villes et jusqu’à la ruelle où l’on travaille et où on l’on habite.
Libérer l’espace public, c’est libérer l’esprit des citoyens afin qu’ils puissent mieux se consacrer à ce qu’ils font le mieux.
Quant à l’argument selon lequel cette tolérance des autorités permet d’acheter la paix sociale, je réponds à nouveau qu’une paix sociale ne s’achète pas, mais se construit!