Pretoria ou l’art de se battre contre des moulins à vent...

Rachid Achachi.

ChroniqueCertaines anomalies existent, et se traduisent par des hostilités et des animosités entre États, qui ignorent les distances et les limites objectives de leur puissance. Il en va ainsi de l’Afrique du Sud vis-à-vis du Maroc.

Le 05/05/2023 à 09h01

En géopolitique, mis à part les grandes puissances dont les zones d’influence s’entrechoquent à des milliers de kilomètres de leurs frontières, les puissances moyennes ou intermédiaires voient naître des schémas de conflictualité et de tension le plus souvent aux abords de leurs frontières. Tout au plus, à une échelle régionale, correspondant à leur zone d’influence immédiate. Celle qu’ils ont les moyens d’entretenir, voire d’étendre relativement quand le contexte le permet.

Cependant, certaines anomalies existent, et se traduisent par des hostilités et des animosités entre États qui ignorent les distances et les limites objectives de leur puissance. Il en va ainsi de l’Afrique du Sud vis-à-vis du Maroc.

Les exemples d’actes hostiles à notre égard ne manquent pas. Le dernier en date remonte à il y a à peine quelques jours, puisque Pretoria a tenté en vain, comme l’explique cet excellent article, d’instrumentaliser les BRICS dont elle fait partie pour servir l’agenda du régime algérien contre le Maroc, concernant notre intégrité territoriale.

De mémoire, jamais une guerre ne nous a opposé à l’Afrique du Sud. De même, aucun litige territorial ne nous oppose.

Comment donc peut-on expliquer ce genre d’anomalie?

Généralement, on retrouve ce genre de schémas atypiques dans les cas où la politique extérieure des États est régie soit par des stratégies d’hégémonie fondées sur un logiciel, ou du moins sur un argumentaire religieux, comme dans le cas de la rivalité qui a opposé l’Arabie saoudite (sunnisme) à l’Iran (chiisme), ou encore, par le passé dans une perspective ethno-religieuse, Israël (judaïsme/suprématisme régional) à certains pays arabes comme l’Égypte, l’Irak et la Syrie (islam/panarabisme). Mais, à l’instar de la religion, l’idéologie opère selon les mêmes procédés. Car au fond, elle est une religion sans Dieu, autrement dit un messianisme matérialiste, qui se déploie dans une négation dangereuse et mortifère du réel et de sa complexité.

C’est en l’occurrence le cas de Pretoria, qui comme le démontre très bien l’historien Bernard Lugan, a tout intérêt à entretenir la rente mémorielle dont elle a hérité suite à la longue parenthèse historique de l’apartheid et de son abolition en 1991. Une rente sur laquelle elle fonde une visibilité et un rayonnement autant continental qu’international, qu’elle tente d’entretenir contre vents et marées, quitte à inventer de faux parallèles, à l’image d’un Don Quichotte combattant des moulins à vent.

Cela se traduit par un soutien apporté au régime algérien, fondé lui-même sur une rente mémorielle souvent mythifiée, celle du «pays du million et demi de martyrs». Mais aussi par un soutien diplomatique direct au Polisario, dans le cadre d’une soi-disant lutte de libération, contre un prétendu occupant. Car, comme l’a dit le ministre de la Propagande d’Hitler, Joseph Goebbels, du moins, on lui attribue cette phrase, «un mensonge répété mille fois se transforme en vérité», en tout cas dans l’esprit de ceux qui veulent à tout prix y croire.

Car du point de vue interne à l’Afrique du Sud, il en va non seulement de son soft power, mais de la légitimité même du Congrès national africain, l’ANC, le parti au pouvoir depuis 1994. Certains en parlent même comme d’un «parti État», tellement son idéologie syncrétique (nationalisme, communisme, racialisme...) sert à camoufler une oligarchie noire au pouvoir, qui n’a au fond fait que remplacer une oligarchie blanche. En témoignent les niveaux dramatiques d’inégalités socio-économiques qui déchirent jusqu’à aujourd’hui la société sud-africaine, avec des niveaux de violence (homicides, viols...) qui laissent entrevoir une forme de guerre civile permanente ou larvée.

Une autre manière de définir ces apparatchiks serait de les voir comme une forme de gérontocratie, incapable, en raison de l’absence de rupture générationnelle au sein du pouvoir, de percevoir la dimension anachronique de sa perception géopolitique, toujours structurée par un prisme idéologique d’un autre temps.

Dans cette perspective, l’unique moyen de pouvoir espérer un jour voir une relance de relations diplomatiques saines et constructives entre Rabat et Pretoria serait, premièrement, d’attendre qu’une rupture générationnelle s’opère au sein de l’establishment politique sud-africain, soit au niveau de l’ANC. Dans une approche prospective, il nous est possible de quantifier approximativement l’horizon temporel d’une telle mue. Il suffit de calculer la différence entre l’âge moyen de l’élite politique de l’ANC et l’espérance de vie à la naissance dans cette tranche de population.

Blague à part, quoique cette approche me semble très pertinente, la deuxième étape serait d’attendre que cette rupture se traduise par une ouverture du champ politique sud-africain à de nouveaux horizons politiques, portés par une nouvelle génération de politiciens, jeunes et au fait des nouvelles réalités géopolitiques et des transformations qu’a connues le monde depuis le début des années 1990. Une nouvelle génération capable aussi d’appréhender les intérêts bien compris de l’Afrique du Sud, en évacuant toutes les fausses rivalités et hostilités, qui ne font au final qu’entraver le développement de notre continent.

Le Maroc, hier comme aujourd’hui, mise sur le temps long, et comme dit l’adage: «tout vient à point à qui sait attendre».

Rendez-vous donc dans 20 ou 30 ans, en espérant que le transhumanisme n’offre pas d’ici là de nouvelle perspective de longévité à une certaine élite politique sud-africaine, qui a tout intérêt à ne point attendre la mort pour passer le relais à une nouvelle génération, avide de progrès et de développement pour le continent.

Par Rachid Achachi
Le 05/05/2023 à 09h01