Respect

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueDes scènes de ce genre nous renseignent sur certains changements dans notre société. Normalement, un minimum de respect aurait prévalu. Mais les temps changent et le regard qu’une certaine jeunesse pose sur les «vieux» est sans pitié.

Le 05/05/2025 à 11h02

J’ai été témoin d’un incident qui en dit long sur l’éducation dans notre pays. Dimanche matin, je prenais l’avion de 8H10 en partance de Rabat et en direction de Paris.

Dans l’avion, mon siège, numéroté D9, me permettait d’être côté couloir. J’aime avoir la liberté de me lever sans déranger mes voisins. Arrive un homme âgé et surtout malade. Il s’installe dans le siège 9F, près du hublot. Cela se voyait qu’il était fatigué et que son état inspirait le respect.

À ce moment-là arrive une jeune fille, la vingtaine, bien habillée, iPhone dernier cri dans une main, sac (de contrefaçon) à la mode dans l’autre. Je me lève pour la laisser passer et s’installer au milieu. Là, elle résiste.

- Non, ce n’est pas ma place. Je suis du côté hublot.

- Ce n’est pas grave. Vous n’allez pas bousculer ce vieux monsieur et lui faire changer de place, lui dis-je.

- Rien à foutre! J’ai payé pour avoir cette place. Je la veux et il n’a qu’à se déplacer.

Le pauvre homme ne comprenait pas ce qui se passait. L’hôtesse vint et lui demanda de changer de siège. La jeune femme, sans la moindre gêne, s’installa collée au hublot, mettant ses jambes pliées du côté de son vieux voisin.

J’appelle l’hôtesse et lui demande de trouver un siège plus confortable pour le monsieur, proposant de lui céder ma place. Finalement, il a pu rejoindre sa femme installée quelques rangées plus loin. Et on lui a donné un siège près du hublot.

Ce sont des scènes de ce genre qui nous renseignent sur certains changements dans notre société. Normalement, un minimum de respect aurait prévalu et la jeune femme aurait accepté de se mettre dans le siège du milieu sans protester. Mais les temps changent. Le regard qu’une certaine jeunesse pose sur les «vieux» est sans pitié. Cette jeunesse vient souvent de l’étranger, d’un de ces pays où les personnes âgées sont jetées dans des hospices où elles attendent que la mort vienne les délivrer.

Lorsqu’en 2003, la France connut une vague de canicule, quinze mille personnes âgées sont décédées. Mortes de solitude ou de déshydratation, oubliées par leurs familles. Les choses n’ont pas changé. Mais ce qui est grave, c’est que certains enfants d’immigrés se conduisent comme de bons petits Européens, égoïstes et ignorant ce qu’est la culture du pays d’origine de leurs parents et grands-parents.

«Quand on vous fait croire que vous avez mille deux cents amis sur le réseau social X, cela signifie que vous n’en avez réellement aucun.»

Le respect étant une valeur qui s’impose d’elle-même, cette jeune femme a dû manquer d’éducation, ou alors elle est passée outre ce que ses parents lui ont appris.

Dans «Journal d’un écrivain», Fiodor Dostoïevski écrit: «Toute société, pour se maintenir et vivre, a besoin absolument de respecter quelqu’un et quelque chose, et surtout que ce soit le fait de tout le monde, et non pas de chacun à sa fantaisie».

Je pense que cette jeune femme ne s’est pas respectée elle-même en mettant en avant son petit égoïsme, qui lui a procuré un certain confort.

Pour Jean-Jacques Rousseau, «la première loi du bonheur est le respect des autres». Ce que confirme Goethe en écrivant que «le respect de nos semblables est la règle de notre conduite». En fait, le respect ne s’oblige pas, il se doit.

Je ne pense pas que la jeune femme a lu ces auteurs. La lecture ce n’est pas son «truc». Elle est plutôt addict au téléphone où défilent des images à l’infini. Elle n’a pas cessé de consulter son iPhone durant tout le voyage.

Avant, on baisait les mains des parents. Aujourd’hui, on se fait la bise. Quelque chose s’est perdu dans ce changement de pratique.

Pour ma part, je dois paraître ringard, mais j’avoue n’avoir jamais fumé devant mon père. Il m’est même arrivé de baiser la main de mon professeur d’arabe à l’école primaire. Mes parents m’avaient appris qu’il faut respecter celui qui nous a mis au monde et celui qui nous apprend quelque chose.

Tout cela a été balayé depuis l’apparition des réseaux sociaux et la facilité de communiquer à travers le monde. «Communiquer» est un grand mot, car le vide et le néant se bousculent sur ces écrans faits pour étourdir les gens.

Quand on vous fait croire que vous avez mille deux cents amis sur le réseau X, cela signifie que vous n’en avez réellement aucun. L’illusion est là et les bonnes traditions se sont éloignées pour disparaître entièrement.

Avec les réseaux sociaux, un autre respect a disparu: celui de l’orthographe. La vitesse doublée de paresse a créé un nouveau mode de communication simpliste, pauvre, médiocre et souvent stupide. Je ne réponds jamais à un texto mal rédigé. J’exige le respect et de l’orthographe et de ma personne.

Le discours de l’ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane lors du congrès de son parti est justement un fleuron de non-respect. Mais cet individu parle trop. Il dit n’importe quoi. Il se moque pas mal de se laisser aller à sa malveillance habituelle. Il doit penser que la politique consiste à injurier et diffamer les autres. Lisez la chronique de Zineb Ibnouzahir intitulée «Hmar ou Bikhir!». Elle dit, avec justesse et colère, ce qui a choqué l’écrasante majorité de notre beau pays.

En politique, l’absence de respect est une erreur, une faute, un mépris de soi avant d’être le mépris des autres.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 05/05/2025 à 11h02