Réformer les libertés fondamentales, telle est l’ambition du document que vient de publier ce groupe de travail composé de huit personnalités publiques. Sans vouloir dévoiler de quelle mouvance il s’agit, une source du collectif ayant requis l’anonymat a déclaré pour Le360 que ce document-texte, à l’allure d’un manifeste, a été demandé par un parti politique dans l’objectif qu’il aboutisse sur un projet de loi sur les libertés fondamentales.
Le collectif comprend l’écrivaine Asma Lamrabet, l’ancienne ministre de la Santé Yasmina Baddou, l’ancien ministre des Transports et du tourisme Driss Benhima, la communicante Monique Elgrichi, l’ancien président du Conseil national du tourisme Jalil Benabbès Taarji, le professeur-gynécoloque Chafik Chraibi, l’ancien patron de l’Office national des pêches Mohamed Gaizi et l’avocate Khadija El Amrani.
Le groupe précise avoir, avant de s’attaquer à l’élaboration et la rédaction de ce document, demandé l’avis de plusieurs oulémas marocains de référence afin qu’ils puissent apporter un avis religieux sur l’ensemble des questions traitées.
Ces oulémas ont répondu que «les questions soulevées sont une étape importante pour la réforme et doivent être sujettes à discussion et à révision, et les efforts doivent être intensifiés afin de trouver des solutions en passant, s’il y a lieu, par la création d’une cellule de concertation afin d’élaborer une pensée réfléchie, sereine et pragmatique».
Cette réponse a conforté le collectif dans sa démarche visant à proposer des pistes de travail et de réforme organisées en quatre chapitres, à savoir la Constitution, la Moudawana, le Code pénal et le Code de la nationalité.
Liberté de culte
Le collectif considère que la liberté de culte, de conscience et de religion, non traitée dans la Constitution de 2011, fait partie des libertés fondamentales individuelles universelles. «Interdire à un citoyen de choisir librement sa religion, d’en sortir ou de ne pas en avoir est une mesure récessive par rapport aux droits humains universels et contraire aux engagements du Maroc aux fondements des droits humains ainsi qu’à l’esprit du message spirituel de l’islam».
Les oulémas consultés ont répondu que «le Coran a définitivement réglé ce problème en reconnaissant la liberté de croyance et le respect du choix de la religion». Le collectif appelle ainsi à l’abrogation de l’article 3 de la Constitution qui stipule que «la religion de la majorité des Marocains est l’islam, dont le garant est Amir Al Mouminine, qui garantit à toutes et à tous le libre exercice des religions, des cultes et la liberté de conscience».
Egalité hommes-femmes
Les femmes marocaines sont actives et aujourd’hui la majorité d’entre elles travaillent hors du foyer, assumant parfois des responsabilités dans les plus hautes sphères de la société. Pour le collectif, une réforme des lois actuelles s’impose pour un héritage équitable homme-femme.
Il est recommandé d’adopter l’usage préalable du testament dans l’héritage avant tout partage en respectant le fiqh marocain actuel dans son esprit. Le testateur fera ainsi à ses héritiers, filles ou garçons ou autres, un testament leur léguant jusqu’au un tiers de son héritage, selon sa propre volonté et sans l’approbation de quiconque.
«A noter que la manière de rédiger le testament permettrait au testateur qui le désire de léguer à ses filles la quote-part de son héritage juste nécessaire pour équilibrer le partage entre filles et garçons», souligne le collectif, qui propose également l’amendement de l’article 280 en suggérant que le testament peut être fait en faveur d’un héritier sans l’accord des autres héritiers.
Héritage
Dans le cas où les enfants du défunt sont uniquement des filles, la grande part de l’héritage est octroyée aux hommes de la famille les plus proches comme les oncles ou les cousins éloignés, laissant ainsi la mère et ses filles dans une situation précaire.
Cette problématique est inhérente à l’application du concept juridique du droit musulman dit «Taâsib». Cet héritage était justifié par la responsabilité matérielle et sociétale de l’homme sur la femme (quiwamah).
Le collectif propose qu’en cas d’absence de mâle parmi les héritiers, les filles pratiquent le aâssab par elles-mêmes, c’est-à-dire qu’elles restent héritières (waratas) et qu’elles deviennent également waratas en taâsib ou encore qu’elles partagent entre elles-mêmes ce qui reste après la distribution, dont elles bénéficient également.
Les membres du collectif suggèrent d’amender l’article 349 en proposant que les héritiers âsaba par eux-mêmes soient classés dans un ordre de priorité: d’abord, les descendants de père en fils à l’infini, puis, les descendantes de mère en fille à l’infini.
Héritage des non-musulmans
Concernant l’héritage des non-musulmans parents ou conjoints de musulmans, il y a lieu, pour le collectif, de revoir tous ces cas aberrants des conjointes chrétiennes ou juives qui ne peuvent pas hériter de leurs propres maris ou enfants ou des enfants nés non musulmans et dont les parents se sont convertis à l’islam.
Le collectif appelle à autoriser dans un premier temps l’héritage des gens du livre (confession juive ou chrétienne) de leurs parents ou du conjoint musulman décédé. Ainsi, le non-musulman n’a aucune obligation de se convertir à l’islam pour hériter.
Un héritier par filiation ou par alliance, chrétien ou juif, doit hériter, selon le collectif, de la même part qu’un musulman.
Mariage des mineures
Le mariage de filles mineures est théoriquement interdit depuis 2004. La loi prévoit cependant des dérogations et des milliers de filles sont ainsi mariées avant l’âge de 18 ans. Le Code de la famille prévoit des «dérogations» dans des cas exceptionnels. Le juge de la famille peut ainsi autoriser le mariage d’un garçon ou d’une fille de moins de 18 ans si les parents ou le représentant légal de l’enfant le demande. Lorsque le juge donne son accord, sa décision est irrévocable et l’épouse mineure n’a droit à aucun recours.
Au final, les dérogations légales accordées sont très nombreuses et concernent de jeunes filles à 100%. Pour cette raison, il y a lieu, selon le collectif, de simplement abolir ces dérogations exceptionnelles qui deviennent très courantes. Il faut adopter un nouvel article de la Moudawana, qui donne le droit au mineur marié contre sa volonté, une fois arrivé à l’âge adulte, d’attaquer en justice celui qui l’a obligé à se marier, que ce soit le père, la mère ou autre.
Mariage des femmes marocaines musulmanes à des non-musulmans
Actuellement, un homme marocain peut se marier avec une femme étrangère sans demander à sa future femme de se convertir à l’islam, notamment si elle est juive ou chrétienne. Mais la réciprocité n’est pas admise si une femme marocaine désire se marier avec un étranger juif ou chrétien. Le futur époux doit se convertir au préalable à la religion musulmane.
Les oulémas interrogés sur la question répondent qu’une discussion s’impose.
Pour le collectif, il y a lieu, à l’instar de la Tunisie par exemple, de traiter les femmes et hommes marocains de la même manière et de ne plus exiger que le futur marié d’une Marocaine se convertisse à l’islam, notamment s’il est chrétien ou juif.
Garde des enfants après un divorce et droit de visite
C’est parce que les enfants se retrouvent automatiquement privés de l’un ou l’autre de leurs parents, avec un droit de visite qui ne dépasse pas un jour par semaine, qu’il faut, d’une part, donner la possibilité dans le cadre de la procédure légale de divorce de mettre en place une garde partagée applicable tant à la mère qu’au père, et, d’autre part, étendre le droit de visite à plus d’un jour par semaine lorsque le choix est porté sur la garde exclusive de la mère.
Le tribunal prend toutes les mesures qu’il estime appropriées, y compris la modification de l’organisation de la visite ainsi que la déchéance de la garde en cas de manquement ou de manœuvres frauduleuses dans l’exécution de l’accord ou de la décision organisant la visite.
«Nous proposons la possibilité pour le père de réclamer dans le cadre de la procédure de divorce la garde alternée afin de permettre à l’enfant de jouir de la présence de ses parents dans son éducation, nonobstant leur divorce et leur remariage après leur divorce, à condition que l’enfant ait atteint l’âge de 4 années», lancent les auteurs du document d’une soixantaine de pages.
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Ceux-ci souhaitent également l’abrogation de l’article 174, qui stipule que le mariage de la femme qui assure la garde, autre que la mère, entraîne la déchéance de la garde, sauf si son époux est un parent de l’enfant avec lequel il a un empêchement à mariage ou s’il est son représentant légal, ou si elle est la représentante légale de l’enfant.
Occupation du domicile
Lors du divorce, et dans le cas où les parties possèdent un bien immobilier à parts égales, lequel constitue le foyer conjugal, le collectif propose que dès le prononcé du divorce, la partie qui resterait dans ledit immobilier serait tenue de payer une indemnité sur logement à l’autre partie, dans les limites de sa part, sans produire de procès-verbaux d’abstention à l’accès.
Tutelle légale
La tutelle légale est systématiquement attribuée au père des enfants selon l’article 231. «Cela pose des problèmes administratifs rocambolesques à la mère qui garde les enfants, notamment au niveau de leur scolarité et des voyages hors du territoire marocain», note le collectif, qui propose d’abolir cet article de loi. Et si les décisions administratives ne font pas l’objet du consentement des deux parents, la décision finale devrait revenir à la partie gardienne. C’est la problématique de la déchéance de la tutelle, rejetée par le collectif et qui rappelle l’histoire de la comédienne Jamila El Haouni et son époux Amine Ennaji.
Relations sexuelles hors mariage et reconnaissance de paternité
Actuellement, toute relation sexuelle est considérée légitime si les concernés possèdent au préalable un acte de mariage reconnu par les autorités marocaines compétentes. Cette Loi puise ses fondements d’une certaine définition du mariage selon la tradition islamique.
Au Maroc, ces relations peuvent mener les personnes impliquées à la prison ferme conformément à la Loi.
Les oulémas interrogés sur les rapports sexuels, la nature des sanctions pour les coupables et la reconnaissance obligatoire de paternité en cas de preuve de paternité biologique du père, ont répondu sans ambages que ce sont des thématiques ouvertes à discussion et débat.
«Partant du fait que tout acte ne peut être interdit que s’il porte atteinte à autrui, et en respectant le concept de l’Habeas corpus dans son aspect juridique, un acte sexuel entre adultes consentants peut nuire au conjoint si un membre du couple est marié (adultère), pourrait avoir des conséquences désastreuses si un enfant est né de cette relation et si le père biologique refuse de le reconnaître».
«Le traitement légal des relations intimes devra donc maîtriser ces deux risques de nuisance dans le cadre d’un package indissociable», souligne le collectif.
En considérant que tout acte sexuel entre adultes consentants est une liberté individuelle n’entraînant aucun préjudice à autrui, le collectif suggère d’adopter des peines financières sans emprisonnement, et de donner le droit au conjoint victime d’adultère de divorcer éventuellement dans des conditions juridiques et matérielles à définir, préservant les pleins droits de ce dernier et ses enfants.
Concernant la reconnaissance de la paternité, le collectif propose qu’en cas de contestation du présupposé père, la mère peut engager une action de recherche de paternité au nom de l’enfant auprès du juge. Celui-ci déclenchera l’enquête adéquate en usant de tous les outils et tests scientifiques adéquats. Si les tests et enquêtes prouvent la paternité biologique de l’homme indiqué, il devient de fait le père légitime de l’enfant.
Avortement
Au Maroc, l’avortement est puni par la loi d’une peine de prison ferme (articles 449 à 452 et 454 à 458). Il n’est autorisé que si la vie ou la santé de la femme enceinte est en danger (article 453). Pourtant, entre 500 à 800 interruptions de grossesse sont pratiquées illégalement tous les jours, selon l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC).
Le collectif a demandé aux oulémas quelle était la durée maximale de grossesse autorisée pour pratiquer un avortement. Ils ont répondu que «cela doit être soumis à une discussion profonde, car le jugement sur l’avortement dans l’islam ne se limite pas à la seule interdiction absolue, mais selon la loi en vigueur. Suite à cela, la décision sera prise relativement au délai autorisé».
Le plaidoyer propose d’amender l’article 453 en suggérant que «l’avortement médical de grossesse ne soit pas puni quand il est pratiqué sur un embryon qui n’a pas dépassé 12 semaines et quand il vise à sauvegarder la vie ou la santé physique ou mentale de la mère et qu’il est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien».
Quiconque, par des aliments, des breuvages, des médicaments, des manœuvres, des violences ou par tout autre moyen, provoque ou tente de provoquer l’avortement au-delà du délai autorisé par l’article 453 d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, devrait, selon le collectif, être puni d’un à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende allant jusqu’à 500 dirhams. «Et si jamais une mort résulte de cet avortement, la peine est la réclusion de dix à vingt ans», ajoute le texte du collectif.
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Ce n’est pas tout. Quiconque a indiqué, favorisé ou pratiqué les moyens de provoquer l’avortement au-delà du délai autorisé à l’article 453 est, suivant les cas, puni des peines prévues aux articles 449 ou 450. L’interdiction d’exercer la profession prévue à l’article 87 est, en outre, prononcée contre les coupables, soit à titre temporaire, soit à titre définitif.
Respect de la vie privée au domicile
Pour des raisons telles que le tapage nocturne, des représentants des autorités ou de la sûreté nationale peuvent s’introduire au domicile des citoyens sans ordonnance judiciaire, provoquant des dommages touchant leur intimité. Le collectif appelle à adopter une loi imposant l’ordonnance judiciaire préalable aux agents de la police.
Alcootest et vente d’alcool aux mineurs dans le code pénal
L’usage de l’Alcootest par les autorités compétentes et l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs ne sont traités par aucune législation marocaine. Le collectif signale qu’il faudrait adopter des lois interdisant la vente d’alcool aux mineurs et autorisant l’usage de l’alcootest.
Violence faite aux femmes et harcèlement
Si le collectif reconnaît que la nouvelle loi 103-13 sur la violence faite aux femmes ou sur le harcèlement au Maroc considère comme des crimes certaines formes de violences familiales, instaure des mesures de prévention et fournit des protections nouvelles aux victimes, il affirme néanmoins que cette même loi oblige les victimes à engager des poursuites pénales pour obtenir une protection. Ce que peu d’entre elles sont en mesure de faire.
«La loi actuelle devra nécessairement être améliorée en imposant à la police et aux autorités judiciaires compétentes d’ouvrir des enquêtes judiciaires en pénal pour toute violence familiale et de fournir une protection aux victimes déposant une plainte pour violence familiale», stipule le collectif.
Il appelle également à ce que toute relation sexuelle conjugale entre une femme et un homme, même mariés, sans le consentement de l’un des membres du couple et donc effectuée sous la violence, doit être considérée comme un viol.
Nationalité marocaine
Ces dernières années, avec la réforme de la Moudawana et du Code de la nationalité, la femme étrangère mariée à un Marocain peut acquérir la nationalité par le mariage selon l’article 10. Cependant, le même droit n’a pas été prévu pour un homme étranger qui a épousé une Marocaine. Ce qui est en contradiction totale avec l’égalité des droits et des devoirs indépendamment des sexes, prônée par la Constitution.
Le collectif propose d’amender ce fameux article 10 et suggère que la femme étrangère qui a épousé un Marocain ou l’homme étranger qui a épousé une Marocaine peut, après une résidence habituelle et régulière au Maroc du ménage depuis cinq ans au moins, soumettre, pendant la relation conjugale, une demande adressée au ministre de la Justice, en vue d’acquérir la nationalité marocaine.
La fin de la relation conjugale n’a aucun effet sur la demande déposée avant ladite fin. Le ministre de la Justice statue sur la demande dans un délai d’un an à compter de la date de son dépôt. Le fait de ne pas statuer dans ce délai vaut opposition. L’acquisition de la nationalité prend effet à compter de la date du dépôt de la déclaration.