Le procès de Saad Lamjarred, accusé de viol et de violences aggravées, n’aura échappé à personne, pas même aux ermites qui ont la chance de ne pas être connectés. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, au café, dans le taxi, pendant les soirées entre amis… tout le monde en a parlé et a, comme il se doit, donné son avis sur l’affaire.
«D’après toi, il l’a violée ou pas?» est l’interrogation qui s’est certainement hissée dans le top 5 des questions les plus posées du moment. Une question aussi inutile que «comment tu vas?», en ce qu’on la pose en n’attendant jamais vraiment la réponse de l’autre pour embrayer sur la suite.
C’est précisément ce dialogue de sourds, opposant deux camps fermement campés sur leurs positions respectives, qui a le plus retenu notre attention ces dernières semaines. D’un côté, les pro-Laura Prioul, de l’autre, les pro-Saad Lamjarred, chacun brandissant à la figure de l’autre des arguments qui se veulent convaincants, contre-argumentant, jugeant, condamnant… Encore une fois, la Toile s’est transformée en un vaste tribunal populaire peuplé de juges, d’avocats, de procureurs, de jurés et d’enquêteurs détenant la vérité ultime.
À l’heure de la liberté d’expression que garantissent ces réseaux sociaux, jamais la tolérance et le débat n’auront été aussi piétinés dans le cadre de cet espace, où on affûte ses arguments comme on aiguise une arme pour asséner à son ennemi un coup fatal, et où s’affirme, chaque jour un peu plus, le règne de la pensée unique.
Au-delà de cette perte et de temps et d’énergie qui consiste à vouloir débattre sans admettre les règles du débat, on ne peut s’empêcher de tiquer sur certains arguments qui méritent qu’on s’attarde dessus, brandis de part et d’autre, et qui en disent long sur les mentalités qui pétrissent nos sociétés.
Il y a ceux qui n’accordent aucun crédit à la décision de la justice française en ce qu’elle serait biaisée et témoignerait du mauvais état des relations entre la France et le Maroc. Comment remettre la vie d’un Marocain entre les mains d’un jury français, soumis depuis des années à un Maroc Bashing dans les médias français? C’est une question qui a le mérite d’être posée, si toutefois on considère qu’aucune justice n’est à l’abri de la corruption des esprits, mais ceux qui se la posent ont tôt fait d’être taxés de complotistes.
De la même manière, comment accorder du crédit à une presse marocaine qui, pour couvrir le procès, s’est contentée de publier des dépêches de l’AFP (agence de presse française)? En sachant pertinemment que ce qui a trait au Maroc est loin d’être traité avec objectivité dans la presse hexagonale, en ces temps de crispation en particulier, ces articles écrits en France et publiés au Maroc avaient tout d’une aberration. Comment se peut-il qu’au Maroc, dans une affaire qui de surcroît concerne un compatriote, des médias marocains diffusent une information écrite par le service de presse d’un autre pays avec lequel les relations ne sont pas au beau fixe? A-t-on jamais vu une dépêche de la MAP publiée en France ou ailleurs? La réponse est non. Cette façon de faire conforte juste la position de ces lecteurs marocains qui, quand ils veulent partager une information sur les réseaux sociaux, préfèrent partager un article du Monde ou du Figaro plutôt que celui d’un média marocain. Ça fait plus chic et plus «crédible».
Dans cette grande guerre qui s’est déroulée sur les réseaux sociaux, il y avait bien entendu les fans de la première heure, pour qui l’innocence de Lamjarred ne fait aucun doute. Avec cette catégorie, il n’y a pas de débat possible car toucher à leur idole est un acte sacrilège. Cela nous donne-t-il pour autant le droit de les traiter d’écervelés hystériques?
Dans cette même catégorie des soutiens à Lamjarred, il y a ses amis qui n’ont pas failli dans leur mission de lui apporter leur soutien en toutes circonstances. À vrai dire, on souhaiterait tous avoir des amis qui jamais ne faiblissent dans leur amitié. Ceux-là se sont fait littéralement laminer par le camp adverse avec une campagne de bashing à leur encontre. Sur Twitter, une internaute a même partagé son échange écrit avec la marque Dior sur Instagram, dans lequel elle interpelle la maison de luxe sur le fait d’avoir invité à son dernier défilé Mimia Leblanc, «une femme qui soutient un violeur». N’est-on pas en train d’aller trop loin?
Dans ce même camp, il y a ceux qui se foutent pas mal qu’il s’agisse d’une célébrité mais qui ont tôt fait de condamner sa présumée victime sous prétexte qu’elle n’avait rien à faire dans une chambre d’hôtel à 6 heures du mat’. Comment débattre de la notion de consentement avec des mentalités pour qui cette question ne se pose même pas? Il l’a frappée? Elle l’a cherché. Il l’a violée? Elle l’a cherché. Si c’était une fille bien sous tout rapport, elle ne se serait pas mise dans cette situation. In fine, elle est responsable de ce qui lui est arrivé.
Face à eux, un groupe principal se distingue, celui des féministes, en tout cas c’est sous cette appellation qu’ils –hommes et femmes– se revendiquent, et qui considèrent que toute femme qui accuse un homme de viol est une victime. Par conséquent, tout homme accusé de viol par une femme est forcément un violeur. Ainsi va cette logique qui omet volontairement au passage que le monde compte aussi des monstres féminins, des femmes pédophiles, des femmes qui violent, des femmes psychopathes et des femmes manipulatrices. Des siècles et des siècles de domination masculine dans une société patriarcale sont passés par là et expliquent aujourd’hui cette position tranchée qui ne supporte aucune contradiction. Pourtant, nombreuses sont les femmes -et les hommes- «féministes», en ce qu’ils soutiennent l’égalité des droits et la complémentarité des sexes, qui ne se reconnaissent pas dans cette pensée rigoriste qui consiste à victimiser toutes les femmes pour mieux condamner tous les hommes. Est-ce vraiment la bonne façon de se conduire pour faire entendre la voix des victimes?
Certains se sont essayés à défendre cette position-là, quitte à jouer les contorsionnistes et risquer la foulure, voire le déchirement musculaire. Ainsi, beaucoup de ces partisans dans l’affaire Lamjarred du «je crois toutes les femmes qui se disent victimes» ont tantôt brillé par leur absence dans d’autres affaires de viol, pourtant tout aussi médiatisées, tantôt enfoncé la femme qui se disait victime. Et oui, l’être humain a la mémoire vraisemblablement courte mais Internet est là pour nous rappeler nos contradictions. C’est ainsi que l’affaire Omar Radi s’est invitée dans l’affaire Lamjarred et que les accusateurs de la pop star ont tenté d’expliquer pourquoi dans le cas d’Omar Radi, ils avaient pris la défense du journaliste et pas de sa victime… La justice marocaine a pourtant, une fois n’est pas coutume, rendu justice à la femme violée. C’est un grand pas qui aurait dû être salué par tous, à commencer par ces féministes aux convictions en acier trempé. Et bien non, pour la simple raison, arguent-elles et ils, que la justice marocaine serait «corruptible» contrairement à la justice française qui, elle, «fait son travail proprement».
Ainsi, quand on dit que l’affaire Lamjarred fait office de diagnostic de l’état de santé de notre société, ce dernier cas de figure fait état d’une pathologie incurable, qui tire ses racines dans le complexe du Marocain qui pensera toujours que les choses sont mieux faites ailleurs. Cette espèce de gymnastique à laquelle se sont livrées ces féministes à géométrie variable est une insulte aux femmes marocaines victimes de viol, reconnues par la justice de leur pays en tant que telles. Pourquoi croire Laura Prioul davantage que Hafsa Boutahar? Soit on se range du côté de toutes les femmes qui se disent victimes, peu importe leur nationalité, soit on épargne aux autres un avis biaisé et hypocrite.
L’affaire d’Achraf Hakimi, lui aussi accusé de viol, a achevé de faire la lumière sur tant de contradictions. Après avoir dû trouver une cohérence dans le fait de soutenir Omar Radi et accuser Saad Lamjarred, la gymnastique contorsionniste est devenue davantage complexe quand il a fallu prendre position pour ou contre Hakimi. «Non! pas Hakimi» a-t-on pu lire. Et oui, que dire sur ce petit jeune de 24 ans, qu’on associe à une figure d’excellence, de gentillesse, d’humilité, qui a porté haut les valeurs du Maroc, qui est si fier de rendre hommage à sa mère… À peine le temps de reprendre notre souffle que la guerre des arguments a repris de plus belle.