Mohammedia, cité des fleurs et des aberrations

ChroniqueDans cette ville qui grossit à vue d’œil, où les côtes sont aujourd’hui bordées de barres d’immeubles façon cages à poules, on s’interroge sur le devenir des plans de développement, dont celui de la corniche de la ville qui a été gratifiée d’un projet d’extension pharaonique…

Le 19/02/2023 à 13h42

Mohammedia, c’est une jolie petite ville où il fait bon vivre pour ceux qui fuient, le soir venu, le tumulte bouillonnant de Casablanca. C’est ce qu’on appelle donc une ville-dortoir. Pas très sympa comme qualificatif mais bon, ça correspond depuis des décennies à une réalité. La ville a beau avoir attiré une flopée de call centers et quelques grandes enseignes de la restauration et de la grande distribution… sa petite routine ronronnante reste égale à elle-même.

Celle qui a pour principaux atouts ses plages et son parc, et qui doit sa renommée à la présence de la Samir sur sa côte, se repose en quelque sorte sur ses lauriers, ceux tressés au cours de son passé, bien plus attrayant que ne l’est son présent. Mohammedia, ancienne Fedala, était célèbre pour son casino qui attirait les célébrités de tous bords, l’hôtel Le Sphinx dirigé par une certaine Madame Andrée qui faisait le bonheur de ces messieurs, dont Jacques Brel qui était un habitué des lieux… On aime à se répéter la petite histoire selon laquelle la chanson Mathilde a été écrite en hommage à Mme Andrée, que la chanson Jeff fait aussi référence à cette maison close dont la réputation dépassait les frontières. On se gargarise en évoquant ces temps lointains où la ville était le fief de Moulay Abdellah et où le Feu Roi Hassan II venait y jouer au golf.

Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, le Casino n’est plus, ni le célèbre hôtel Miramar qui l’abritait. Après être resté à l’abandon pendant plusieurs décennies, l’édifice qui faisait face à la mer, sur la corniche de la ville, a été rasé. Ces derniers vestiges de l’âge d’or de la ville ne sont plus.

Mohammedia a récemment fait la Une de la presse suite à l’explosion survenue dans des stockages de gaz. Toute la ville a retenu son souffle, car chaque habitant de cette petite ville tranquille le sait, la catastrophe n’est jamais loin. Car bien que dotée du sobriquet de cité des fleurs, notamment grâce au parc des villes jumelées, il n’en demeure pas moins que la proximité entre les habitations et les usines est une aberration. Comment cette proximité entre entreprises gazières et d’hydrocarbures, traitant des produits dangereux et hautement inflammables, est-elle possible? Comment des quartiers entiers ont-ils pu être construits face à des sites qui présentent des risques évidents? Ces entreprises seront-elles délocalisées?

Les explosions qui ont eu lieu en décembre 2022 auraient pu faire de nombreuses victimes, à commencer par l’endroit où elles se sont produites qui est en soi aussi contre nature. Imaginez donc, une falaise accessible à tous et qui est d’ailleurs un haut lieu de promenades, de pêche, de posage de couples cherchant l’intimité, mais aussi un spot de surf prisé des amateurs de ce sport, qui surplombe donc la mer et qui est entouré… de citernes de stockage de gaz. Il aura fallu qu’on frôle la catastrophe pour que cette falaise soit interdite d’accès aux riverains.

Dans cette ville qui grossit à vue d’œil, où les côtes sont aujourd’hui bordées de barres d’immeubles façon cages à poules, on s’interroge aussi sur le devenir des plans de développement, dont celui de la corniche de la ville, gratifiée d’un projet d’extension pharaonique.

Ce projet, qui entre dans le plan de développement du Grand Casablanca 2015-2020, avait pour objectif la valorisation du littoral allant de Mohammedia à Dar Bouazza, avec un aménagement des corniches de Dar Bouazza, Aïn Diab, Aïn Sebaâ et Mohammedia. Mais à l’heure actuelle, les corniches de Casablanca et Dar Bouazza ont volé la vedette à celle de Mohammedia dont on ne parle pas, un peu comme si elle n’existait pas.

Ce qui est encore plus inquiétant c’est que ces travaux d’aménagement, annoncés en 2015 et qui devaient mobiliser un budget de 200 millions de dirhams, «semblent» aujourd’hui terminés mais sont déjà dans un état catastrophique, au point que les promeneurs préfèrent toujours marcher sur la plage plutôt que sur ladite corniche, et que les cyclistes ne s’y aventurent pas.

Le sable a envahi la promenade par endroits, les poubelles sont inexistantes, ça et là des bancs qui brillent par leur rareté, des détritus jonchent l’ensemble, le contrebas de la promenade est devenu un déversoir à ordures, l’éclairage n’est toujours pas fonctionnel et les points d’accès à ladite promenade sont encombrés de gravats… Les travaux sont-ils terminés ou pas? C’est la question qui se pose.

La corniche étant accessible à tous, aucune barrière n’empêche son accès, on peut présumer que oui. Une façon de faire qui rappelle celle de la promenade maritime de la Mosquée Hassan II, rendue accessible au public sans véritable inauguration et qui accusait déjà des dégradations, sans compter les infrastructures non fonctionnelles à l’instar des toilettes publiques et des espaces de restauration promis.

Il est aussi question, se dit-il, que cette corniche bétonnée poursuive son extension vers d’autres plages. Des rumeurs qui ne font pas le bonheur des riverains, car cette promenade en béton se dresse désormais à quelques mètres des maisons situées en première ligne, les privant ainsi d’accès direct à la plage. Et côté esthétique, il faudra aussi repasser, car cette longue bande de bitume dénature désormais la côte, qui était le principal atout de la ville.

Quel avenir pour Mohammedia? C’est la question qui se pose et qui appelle des réponses.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 19/02/2023 à 13h42