Depuis le 12 janvier, le journaliste français Rachid M’Barki a été écarté de l’antenne de BFMTV, chaîne où il officiait depuis 18 ans à la présentation du Journal de la nuit, en raison d’un contenu jugé douteux par la direction de la chaîne.
Le contenu en question, révèle la presse française en se basant sur un article du site Politico, concerne le Maroc et la marocanité de son Sahara, exprimée par le journaliste qui évoquait, lors d’une brève diffusée au journal télévisé, la reconnaissance par l’Espagne du Sahara marocain et le réchauffement diplomatique entre les deux pays qui s’en était suivi.
Plusieurs choses nous interrogent aujourd’hui, s’agissant de cette suspension d’un journaliste connu et reconnu par la profession, à commencer par le hasard pas si accidentel du calendrier. Pourquoi une séquence datant de juin 2022 et qui ne présente rien de scandaleux –car la marocanité du Sahara a bien été reconnue par l’Espagne– fait-elle tout à coup l’objet d’une telle tempête médiatique en France, au moment même où le Parlement européen tient en joue le Maroc en l’accusant sans preuves d’ingérence?
Pourquoi un tel emballement de toute la presse hexagonale sur cette affaire prétendument d’ingérence alors même que celle-ci observait un silence consternant face à des cas flagrants d’ingérence qui n’ont pourtant fait l’objet d’aucun audit?
Comment expliquer que cette presse si attachée au respect de la liberté d’expression n’ait pas pipé mot –pas une ligne!– quand Ferhat Mehenni, chef du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, a été refoulé du plateau de CNEWS quelques minutes seulement avant son passage en tant qu’invité du journal télévisé, à la plus grande surprise de celui-ci mais aussi d’Ivan Roufiol, journaliste censé l’interviewer?
Alors que le présentateur, dans une séquence filmée en coulisses, évoquait l’ingérence de l’Algérie dans cette censure scandaleuse et la pression mise par l’Elysée sur la chaîne pour annuler cette interview, étrangement, cette censure de surcroît documentée n’a fait tressaillir personne.
Que dire aussi de l’ingérence de l’Elysée au sein du journal Le Monde, contraint de dépublier une chronique du politiste Paul Max Morin le 1er septembre 2022, car jugée trop critique quant au déplacement d’Emmanuel Macron en Algérie? Que penser du silence observé par la presse française quand Le Monde a dû également présenter ses excuses à l’Elysée…?
Ingérence dites-vous? Et si chacun commençait à balayer devant sa porte car personne n’est dupe de cette mascarade, où certains tentent de jouer les Marianne drapée dans sa vertu. L’affaire de Rachid M’Barki a de quoi inquiéter et n’est nullement à prendre à la légère car elle donne le ton exact d’une marocophobie que l’on tente de légitimer. Que les médias français réservent à l’un des leurs le même traitement qu’à un criminel –qui aurait crié «Allahou akbar» avant de tout faire péter– en rappelant, comme si cela était un élément de preuve, ses origines marocaines, est proprement scandaleux.
Ce qui l’est tout autant, c’est de monter en épingle une interview accordée à Le360 par Rachid M’Barki, en avançant que le média est proche du pouvoir marocain, et que l’homme y déclare en plus son attachement au pays dont sa famille est originaire et au Roi Mohammed VI dont on célébrait ce jour-là le 20e anniversaire de l’accession au trône.
Depuis quand le fait d’accorder une interview à un média est-il révélateur de connivences? Depuis quand est-on accusé en France d’être au cœur d’une conspiration en fonction du média auquel on accorde une interview?
Si l’on devait suivre cette ridicule logique, tous les médias donnant la parole à l’extrême-droite devraient alors être affiliés à la même idéologie. Qu’on nous explique à nouveau, à nous autres incultes, la notion de liberté d’expression… Nous ne sommes plus sûrs de bien comprendre les leçons qu’on vient nous donner.
Certains médias affirment d’ores et déjà, menaçants, que le BFMTV gate fera assurément l’objet de débats au sein du Parlement européen. On voit déjà la chose venir tant l’odeur de l’hypocrisie qui règne dans cet hémicycle de la honte pue à des kilomètres à la ronde. Et si ces chers eurodéputés, et la presse qui relaie leurs pseudo-valeurs, commençaient par s’indigner du fait que Salima Yenbou, l’une des membres du parti Renaissance, celui du président Macron, se permette de clamer avec véhémence «Tahiya Djazaïr! Vive l’Algérie» à la fin d’une prise de parole enflammée sur son pays d’origine, en plein parlement. L’ingérence… plus c’est gros, plus ça passe.
Venons-en maintenant à l’autre nœud du problème, celui qui ne dit pas son nom, à savoir la binationalité franco-marocaine. L’affaire Rachid M’Barki révèle la complexité aujourd’hui d’être riche de deux cultures en France quand la deuxième n’est pas européenne ou du moins occidentale. Le pouvoir français, par le truchement de ses médias, est en train d’envoyer un message d’une rare violence à ses citoyens d’origine marocaine, déjà malmenés par l’islamophobie ambiante.
Ce qu’on attend désormais d’eux, c’est de se désolidariser de causes chères à l’un de leurs deux pays, en l’occurrence la souveraineté du Maroc et son intégrité territoriale. Peut-on être franco-marocain et ne pas soutenir la marocanité du Sahara? Inutile de mener un audit interne en France sur la question, la réponse est et sera toujours majoritairement non! Peut-on être franco-marocain et ne pas prêter allégeance à son souverain, le Roi Mohammed VI? A moins d’être opposant au régime, la réponse est toujours non.
Il en va évidemment de même pour les citoyens franco-britanniques ou franco-belges qui partagent une double culture, tant républicaine que royaliste. Peut-on toutefois rester neutre sur ces questions au nom de la déontologie inhérente à la fonction qu’on occupe, la réponse est évidemment oui. C’est le cas des journalistes ou encore des politiciens français d’origine marocaine qui exercent en France. A moins que leur intégrité à eux tous soit désormais remise en question…
Il devient urgent pour la France de se faire une raison et de changer de stratégie car son problème est incarné par le second groupe ethnico-culturel le plus important du pays, la diaspora marocaine, laquelle participe grandement à faire rayonner la France et à lui conférer la puissance qu’elle se targue d’avoir aujourd’hui. Mais jusqu’à quand?