Le triste destin d’une merveilleuse petite plage

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueUne plage artificielle a été créée il y a 25 ans par une amicale de résidents, entre Mansouria et Bouznika. Elle est aujourd’hui envahie par des estivants inciviques, qui la laissent chaque jour jonchée d’ordures et de détritus. Que faire face à cette situation? Éduquer, mais aussi sanctionner.

Le 09/08/2024 à 11h00

Il y a 25 ans, une amicale a été créée par un groupe de personnes qui a construit la première résidence entre Mansouria et Bouznika, face à la mer, dans le respect strict de la loi. Sur cet axe, il y a peu de possibilités de baignade à cause des rochers. De grands travaux ont été menés par cette amicale pour construire une crique, avec un budget dépassant les 2 millions de dirhams.

Des employés sont payés pour assurer le nettoyage et la sécurité. La main-d’œuvre locale a été favorisée pour donner de l’emploi aux jeunes ruraux voisins.

Depuis, des résidences ont poussé, dont des blocs de béton disgracieux face à une si belle côte. Des milliers de personnes occupent cet axe, mais sans plage pour se baigner. Certains de ces projets immobiliers vendent, dans leur publicité, notre plage comme étant leur plage privée.

Un grillage entoure cette plage artificielle, laissant plusieurs entrées libres. L’accès n’a jamais été interdit aux baigneurs. Aujourd’hui, c’est l’invasion: des résidents voisins et des vacanciers qui viennent de loin. Les voitures, dont des luxueuses, déversent des personnes bien chargées, surtout de sacs en plastique.

Des parasols sont installés pour nous. Des vacanciers les occupent de force. Lorsque les gardiens protestent, ils les agressent verbalement. Certains deviennent soudainement patriotiques: «La plage appartient au peuple, pas à vous.» Une fois installés, plus de patriotisme!

Certains installent des parasols, collés à des tentes qu’ils entourent de draps de couleurs, occupant une grande place, alors que l’espace est restreint. D’autres accrochent des draps au grillage ou y étendent du linge à sécher.

Le problème? L’anarchie, l’incivisme sur lesquels nous n’avons aucune autorité. Ce qui nous prive de cet espace que nous avons créé et que nous entretenons avec nos propres moyens, toujours dans le respect des lois.

Le soir, nos pauvres employés ramassent des monticules de saleté. Le matin, le sable est tout propre. Avec l’arrivée des vacanciers, il se jonche d’emballages, de bouteilles et de sachets en plastique, de canettes, de bouts de verre, de couches-bébés, de carcasses de melons et de pastèques et d’épluchures de fruits…

Des campeurs y passent la nuit malgré l’interdiction. Le lendemain, il faut ramasser les bouteilles vides, les déchets et les canettes de bière.

Le plus grave est l’absence de toilettes publiques. Les rochers s’y substituent. Lorsque la marée monte, elle draine des saletés écœurantes.

Pourtant, des poubelles sont installées, vidées régulièrement par nos employés qui sont malmenés. Moi-même, chaque fois que je me suis adressée à des indisciplinés, je me suis fait insulter: «Va t’éduquer toi-même. La plage appartient à Dieu.»

Tiens! Mais l’Islam ne dit-il pas annadafatou mina al iman, que la propreté fait partie de la foi? Les imams des mosquées devraient le rappeler régulièrement aux si nombreux pieux pour qui la foi se limite à la prière et au ramadan!

Face à ces pollueurs arrogants, que faire? Appeler à chaque fois les gendarmes pour qu’ils rétablissent l’ordre?

Que faire pour que chaque individu fasse le lien entre son geste et la pollution? Comment éduquer ces personnes se croyant tout permis, incapables d’éduquer leurs enfants au civisme? J’ai fait une remarque très polie à une mère qui mangeait, avec ses deux enfants, des tranches de melon et jetait le reste dans l’eau. J’ai essuyé une salve d’insultes, sur le thème des riches qui hguer (méprisent) les pauvres!

Au bord de l’eau, on trouve de tout, y compris des os de poulet, des serviettes hygiéniques et même des préservatifs! Jetés par des bateaux ou par des vacanciers sur place? Allahou a’lam! J’ignore ce qui se passe sous les tentes de jour et de nuit!

Avant, nous faisions des marches agréables jusqu’à une petite forêt. Aujourd’hui, c’est impossible. Les voitures y stationnent pour la journée et repartent en laissant des monticules de déchets. Il n’y a pas de service public de nettoyage.

Le système scolaire devrait s’impliquer fortement pour apprendre aux enfants à respecter l’environnement et pour qu’ils influencent leurs parents.

La pollution des plages se fait par l’évacuation des eaux usées, mais également par des gestes inconscients de vacanciers.

Les sacs en plastique sont interdits depuis 2016, après l’opération «Zéro mika». Ils continuent à être fabriqués de façon informelle, mais vendus et utilisés au grand jour par des commerçants qui ne sont ni inquiétés ni sanctionnés.

Cette plage n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. La majorité des plages fréquentées de manière intense souffre de ces comportements, sauf quelques-unes qui font exception, parce qu’elles bénéficient d’une attention particulière d’organismes ou d’associations veillant à leur propreté.

Polluer est un délit au Maroc. Il faut le sanctionner. Aucune loi ne peut être respectée sans sanction.

Ces mêmes pollueurs cessent de l’être dès qu’ils sont dans un pays où les lois sont appliquées?

Il n’y a pas de secret. Dans ces pays, les campagnes de sensibilisation sont agressives, l’enseignement éduque les enfants et, surtout, les sanctions s’appliquent en cas d’infraction.

Il faut sanctionner. Mais cela suppose que notre police de l’environnement existe réellement et qu’elle soit présente. Mais même si elle l’était, va-t-on mettre un policier face à chaque vacancier?

Vivement que chaque citoyen ait conscience de son rôle dans la protection de son environnement et dans le respect de son prochain. Jeter des ordures dans un espace public est un préjudice pour les autres. Un danebe, péché, condamné par le Coran, mais ignoré par une population qui se dit pourtant «très» musulmane!

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 09/08/2024 à 11h00