Il était sept heures du matin. Le soleil envoyait ses premiers rayons. Le fond de l’air était frais. Les grandes avenues de Casa étaient presque vides. Je faisais mon jogging à petites foulées quand une enveloppe par terre attira mon attention. Je m’approchai, je vis mon nom écrit en arabe et en lettres latines. Pas d’erreur. Sauf que le nom était précédé de la mention «docteur». Je me dis ça doit venir d’un pays du Proche-Orient. Là-bas tout le monde est docteur. Je ramassai l’enveloppe. Avant de l’ouvrir, je repérai la terrasse d’un café où quelques lève-tôt prenaient leur petit déjeuner.
Je m’installai, commandai du café et un croissant.
L’enveloppe était posée devant moi, sur cette table en formica. Je me posais des questions: quelqu’un l’aurait déposée sur mon chemin, ou bien serait-elle tombée de la sacoche du facteur? Pourquoi moi? Qu’avais-je fait pour recevoir une lettre, d’autant plus que je ne savais pas ce qu’elle contenait? Je me dis: le Destin!
Qu’est-ce que j’attendais pour la décacheter et lire la lettre qui m’était adressée en principe? Je laissai le suspens s’installer. D’abord le café. Puis un grand verre d’eau minérale. Ensuite, délicatement, j’ouvrirai l’enveloppe et verrai ce qu’il y avait dedans.
Le garçon de café me dit que les temps sont difficiles et qu’il n’arrive pas à joindre les deux bouts. Je le plaignis et l’assurai de ma sympathie en lui glissant un billet de banque dans la main.
Le temps d’ouvrir l’enveloppe était arrivé. D’abord une lettre sur un papier précieux. La lettre est en arabe. Je la parcourus rapidement. Il était question d’un cadeau que l’État Machin avait décidé de me donner pour mon «humanisme et défense de l’entité arabe; il était question de la défense de l’islam et de ses valeurs, de la lutte que je mène contre l’islamophobie en Europe…». Tout cela?
Le cadeau consistait en un chèque en dollars américains libellé à mon nom. Il n’y avait pas de doute. Le cadeau était là, restait à voir avec la banque s’il était vrai ou en bois.
Les banques ouvraient vers 8 heures, le temps de manger tranquillement mon croissant. Le garçon m’apporta en plus une crêpe au miel délicieuse. Je me régalais. Pendant ce temps-là, je scrutais le chèque: quatre cents millions de dollars! Je répétais comme un enfant qui n’en croyait pas ses yeux: quatre cents millions de Dollars. Ça fait combien en dirhams? Pas la peine de convertir cette somme. Je le déposerai sur un compte en dirhams convertibles. Je cherchai sur mon téléphone le taux du dollar par rapport au dirham.
Je fus le premier à entrer dans la banque Chaabi. Je me présentai à l’agent derrière la vitre et dis: «Je souhaite déposer un chèque sur mon compte en dirhams convertibles».
Pas de problème.
Je lui tendis le chèque que je signai au dos.
L’agent me connaissait et était au courant de l’état médiocre de mes finances.
- C‘est une plaisanterie?
- Pas du tout. Vérifiez d’abord si les fonds existent.
- Ça me dépasse. J‘appelle le chef d’agence.
Celui-ci commença par m’engueuler.
- Mais Monsieur, ramassez votre chèque et assurez-vous que ce n’est pas une arnaque. Nous, on ne peut rien faire. J’appelle le président directeur général de la banque. C’est la première fois qu’un client se présente avec un chèque d’un tel montant… C‘est presque 400 milliards de centimes!
«Je ferai construire une bibliothèque par quartier; j’inciterai les jeunes à lire en leur offrant des livres et des cadeaux, genre des fringue à la mode»
Finalement, après des tractations, des vérifications, des appels téléphoniques au gouvernement émetteur du chèque, le PDG m’invite à prendre un café dans un bureau luxueux, réservé aux meilleurs clients. En quelques minutes, j’étais passé du client banal au client exceptionnel qu’il faut ménager.
- Qu’est-ce que vous allez faire avec tout cet argent?
- Justement, j’étais en train d’y penser.
- Si vous avez des plans d’investissements, notre banque sera heureuse de vous aider et même de vous faire des crédits…
Je quittai la banque, le reçu dans la poche. À présent, il allait falloir établir la liste de mes envies.
Chez moi, je m’installai à mon bureau et pris une feuille blanche:
- Cent millions pour un hôpital à Taroudant (mon ami le grand peintre Claudio Bravo est mort entre sa maison à Taroudant et une clinique à Agadir).
- Cent millions pour un autre hôpital bien équipé à Tanger. Les soins y seraient gratuits.
- Cinquante millions pour reconstruire les villages détruits par le séisme du 9 septembre 2023.
- Cinquante autres millions pour construire et équiper des écoles un peu partout dans notre pays.
Les cent millions restants, je les consacrerai à doubler les salaires des enseignants, des infirmiers et aides-soignants, à donner des bourses pour des étudiants dont les parents n’ont pas beaucoup de moyens. Je ferai construire une bibliothèque par quartier; j’inciterai les jeunes à lire en leur offrant des livres et des cadeaux, genre des fringues à la mode. Tu veux des baskets de telle marque? T’as pas les moyens de te les payer? Alors, tu lis ce livre, tu m’en fais un compte-rendu et je t’offre les chaussures de tes rêves.
Quant à mon plaisir personnel, je me contenterai d’un séjour dans une petite maison à l’Ourika, l’hiver et l’été j’irai en Toscane dans une ferme où l’on fabrique de l’huile d’olive.
Ensuite, j’ouvrirai une belle salle de cinéma dans chaque ville et village où on projettera les chefs d’œuvres du cinéma mondial; que des films classiques en version originale sous-titrée en arabe et en français.
J’ai oublié d’envoyer, en guise de remerciements, un immense bouquet de roses marocaines très parfumées à la première dame du dirigeant de l’État Machin, signataire du fameux chèque. Je le ferai tout à l’heure.
Au fait, combien coûte un avion Boeing 747 flambant neuf, l’intérieur aménagé pour qu’un président d’une grande puissance puisse se sentir hyper à l’aise?
Une voix me répondit:
- Quatre cents millions de dollars!
- Non, finalement je préfère dépenser cet argent pour des causes humanitaires. Un avion coûterait cher à entretenir. Et puis, j’aime bien voyager en train, surtout le Boraq.
Je me réveillai en sursaut. Rêve ou cauchemar? J’étais dans un état étrange. Soudain, je me rendis compte que nous étions lundi et que je n’avais pas encore écrit ma chronique pour Le360.