Les Lions de l’Atlas n’ont pas réussi à se hisser au sommet de l’Afrique. Stoppés dans leur élan dès les huitièmes de la CAN, ils sont rentrés au bercail l’air penaud, en présentant leurs excuses au public marocain. Si le football a ceci d’extraordinaire qu’il déchaîne les passions et nous fait vivre de grandes envolées émotionnelles, il a aussi cela de cruel qu’il nous écrase au sol violemment après que nous sommes montés si haut dans le rêve.
Après la Coupe du monde, les espoirs qu’elle a fait naître, le goût de la victoire qu’elle a éveillé, cette défaite-là, à la CAN, a un goût particulièrement amer pour nous tous. Si cela ne justifie pas pour autant le déchaînement de violence qui s’en est suivi sur les réseaux sociaux, prenant pour cible l’équipe nationale et son sélectionneur, cette rage en dit long sur un état d’esprit qui s’est doucement installé au sein de notre société.
Cette équipe a éveillé quelque chose en nous, un vieux souvenir pour certains, un sentiment nouveau pour d’autres: la fierté qui résulte de la réussite. On peut se rengorger de beaucoup de choses futiles et inutiles, d’autant que la société dans laquelle nous vivons tend à glorifier le superficiel et la facilité, mais le sentiment du devoir bien fait et couronné de succès n’est à nul autre pareil. C’est à cela que nous avons goûté lors de notre dernière Coupe du monde, et c’est cela que nous voulions revivre, car nous en avons soif.
Le fait d’en être privés a vraisemblablement ravivé une blessure, celle de devoir faire contre fortune bon cœur, et se satisfaire du peu que l’on récolte, de voir toujours, en toute circonstance, une petite victoire dans une défaite, en se disant: «Bon, ce n’est pas si mal. On est tout de même arrivés là. C’est déjà bien…».
De cette rengaine-là, nous sommes nombreux à ne plus vouloir. Car en matière de sport de haut niveau, comme de politique, de business, d’éducation, de santé, etc., la fatalité et la logique du «hamdoullah 3la kouli hal», on prend ce que la vie nous donne et on en est reconnaissant, ne nous sera d’aucune utilité et ne nous servira au pire qu’à reculer, au mieux à stagner et à asseoir encore et toujours notre réputation de «gentils Marocains». Il est temps de dissocier la foi, de la croyance en soi, de la nécessité de s’améliorer, de se perfectionner, d’être exigeant envers soi-même afin de viser l’excellence et accepter l’effort à fournir pour y accéder.
Alors oui, il convient de soutenir notre équipe nationale dans ses hauts et ses bas, mais cet esprit de famille, qui nous a tant touchés lors de la Coupe du monde au sein de nos rangs, ne saurait prendre le pas sur l’excellence que l’on exige désormais. Parce qu’on le vaut bien, et parce qu’on le peut. Le roi Mohammed VI a visé juste lorsque, dans un discours prononcé en juillet 2023, il prônait la valeur du sérieux, clé de voûte d’une approche intégrée qui subordonne l’exercice de la responsabilité à l’exigence de reddition des comptes, et fait prévaloir les règles de bonne gouvernance, la valeur travail, le mérite et l’égalité des chances.
Le football a ceci de particulier qu’il sert de puissant catalyseur de nos ambitions. Dans les tribunes comme sur la Toile, en temps de victoires comme en temps de défaites, s’expriment nos rages, nos rêves, nos espoirs et surtout nos aspirations à grandir et à être plus forts. Ce sport nous offre une tribune magnifique pour crier haut et fort ce qui nous habite, en l’occurrence l’attachement profond à notre pays, l’envie irrépressible de le propulser vers les sommets et de participer chacun à sa façon à sa montée des marches du podium.
Les Lions de l’Atlas et leur sélectionneur ont ouvert une brèche en nous qu’il est aujourd’hui impossible de colmater et pour cela, nous ne pouvons que leur en être reconnaissants. À nous tous, désormais, de faire preuve envers nous-mêmes et les autres, autant qu’envers eux, de la même exigence, pour performer, ne pas nous contenter de résultats médiocres, ne pas accepter ce qui ne doit pas l’être et venir à bout d’un état d’esprit qui veut que le mieux soit l’ennemi du bien.