Les grèves des étudiants de médecine durent depuis plusieurs mois. Elles se sont intensifiées en janvier à l’approche des examens à l’université. Le dialogue semble désormais rompu entre les représentations des étudiants, notamment la Commission nationale des étudiants en médecine, et les deux ministères de tutelle (Enseignement supérieur et Santé). Beaucoup d’étudiants n’ont pas passé leurs épreuves, par choix de grève ou parce qu’ils ont en été empêché, sur place, par les manifestants.
Boycott des cours, des stages, des examens... Les différentes parties se jettent mutuellement la pierre. Principal point de litige: la réduction des cursus de 7 à 6 ans de formation. Ministères et étudiants s’arc-boutent sur leurs positions respectives. Personne ne veut lâcher du lest.
Le passage du cursus à 6 ans est proposé dans cette réforme pour pouvoir, plus rapidement, former davantage de praticiens opérationnels. Le Royaume affiche une densité de personnel soignant inférieure au seuil critique de 2,5 pour 1.000 établi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ces grèves ne concernent «que» les étudiants en médecine, en médecine dentaire et en pharmacie. Elles n’ont pas enflammé les rues comme celles de l’Éducation nationale. D’où le risque de les voir s’éterniser sans réelle solution. Les deux ministères ont annoncé conjointement que les discussions étaient abandonnées, mais que ces vénérables institutions demeuraient à la disposition des grévistes.
Pour l’heure, c’est l’impasse. La situation parait inquiétante. Le gouvernement s’est retranché dans ses barricades et a tendu un piège, en cette période d’examens, aux jeunes rebelles d’Hippocrate. Ceux qui n’ont pas participé aux épreuves vont récolter une note éliminatoire, même aux rattrapages, et vont trimbaler des modules à repasser durant leurs cursus.
Devenir médecin, aujourd’hui, demande au bas mot une quinzaine d’années, voire dix-huit dans certaines formations. Entre cours généralistes et spécialisation, les étudiants passent une partie de leur vie entre les hôpitaux et les amphithéâtres. Le matin ils sont attendus, en blouses blanches, sur le terrain des stages, et l’après-midi ils se dépêchent de rejoindre les facultés pour assister aux cours. Ils reçoivent une bourse étatique ridicule de 600 dirhams par mois. C’est-à-dire 20 dirhams par jour. Juste de quoi payer une partie des frais de leur mobilité. Quand ils deviennent des externes à l’hôpital, les étudiants de la 3ème à la 6ème année sont payés 165 dirhams par mois jusqu’à leur 7ème année, où leur rémunération passe alors à 2.000 dirhams mensuellement. Ils ont alors facilement 25 ou 27 ans, un âge où beaucoup de jeunes gagnent déjà bien leur vie et ont entamé un projet de famille. Les futurs médecins devront vivre, encore pendant une dizaine d’années, avec ça, jusqu’à la fin effective de leurs longues études.
Il est important de distinguer, dans cette affaire, les étudiants des facultés privées et des facultés publiques de médecine au Maroc. Les premiers n’ont pas connu de grève et ont pu passer les examens sans embûche. Ils sont souvent mieux lotis pour aller terminer leurs études ailleurs, en Tunisie, Sénégal, Ukraine, France, Hongrie, Pologne, Roumanie, Russie... Ils pourront, si la réforme des 6 ans est entérinée, facilement assumer une année d’étude supplémentaire à l’étranger afin d’obtenir l’équivalence de leur diplôme.
En général, les praticiens issus des facultés privées vont mieux se débrouiller professionnellement, ce sont les jeunes défavorisés, qui n’ont pas les mêmes moyens, qui vont pâtir de cette réforme.
Car le nerf de la guerre, ici, est l’équivalence du diplôme de médecine à 6 ans, qui ne serait plus reconnu par la plupart des pays qui accueillent les étudiants marocains. Cette conformité des diplômes est nécessaire pour obtenir des bourses étrangères, et surtout pour prétendre travailler dans les hôpitaux du monde tout en poursuivant les études.
Le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, sait qu’il doit enrayer la fuite de l’élite marocaine médicale vers l’étranger. Le Royaume du Maroc est l’un des pays les plus touchés par l’émigration des médecins vers la France. Selon le Conseil national de l’Ordre des médecins, plus de 7.000 médecins marocains exercent en France, soit près de 20% du total des médecins marocains.
Sur les 2.100 médecins formés chaque année, environ 700 quittent le Maroc pour l’Hexagone, l’Allemagne, le Canada ou la Belgique. Le nombre de médecins marocains établis dans le monde a atteint 14.000, soit un peu moins de la moitié des effectifs exerçant au pays. On voit comment la France peut devenir très généreuse avec les médecins du Maghreb, leur proposant de facto une carte de séjour longue durée de 10 ans, et un statut de « Travailleur» SVP et non plus d’étudiant.
Donc un tiers des diplômés en médecine part chaque année à l’étranger, alors que le pays est confronté à un déficit de 47.000 praticiens, selon la Cour des comptes.
La cause est entendue, personne n’a envie de voir partir ailleurs l’un des fleurons de ce que le Maroc forme, et qui réussit avec excellence dans le monde.
Pourtant, la sagesse nous interpelle dans ce dossier. Beaucoup d’experts pensent qu’il faut permettre à plus de Marocains d’accéder aux études de médecine. Il faut dupliquer les facultés et nous obtiendrons ainsi plus de diplômés chaque année pour combler le déficit des praticiens. C’est comme ça que plusieurs pays ont résorbé le problème, sans empêcher leurs diplômés de partir ailleurs s’ils le désirent.
Forcer les oulad chahb à rester dans leur pays n’est pas une solution moderne, humaine. Elle brise des rêves sans résoudre la problématique du déficit des praticiens. Il faut inciter autrement l’élite médicale: par de meilleurs salaires et plus de moyens dans son environnement de travail.
Depuis le gouvernement Jettou, dans les années 2000, l’État propose des stratégies pour former davantage de praticiens, mais les résultats n’ont jamais suivi. Celle-là, non plus, ne va pas réussir. Elle ne renflouera pas les ressources humaines manquantes des hôpitaux du Maroc.
C’est pourquoi ce bras de fer entre la Commission nationale des étudiants et le gouvernement semble absurde. Il fera des victimes et des sacrifiés de la cause estudiantine, sans apporter une solution définitive au problème. C’est tout.