Des moutons au Dermato-Taliban

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueC’est très grave qu’une personne qui a fait médecine, qui a eu son diplôme de spécialiste, se conduise comme si nous étions gouvernés par les talibans d’Afghanistan.

Le 09/06/2025 à 11h00

1- Les moutons ont fait la fête

J’espère que vous avez passé de bonnes fêtes, que vous avez veillé à ne pas réveiller votre LDL (les lipoprotéines de basse densité), autrement dit le mauvais cholestérol, celui qui s’accumule dans les parois des artères et s’y oxyde au point de boucher les vaisseaux et provoquer un accident vasculaire cérébral.

La viande du mouton est connue pour être grasse. Et les mangeurs adorent ça. Le mal est dissimulé dans cette bonne viande qui, quand elle est bien cuite, fond dans la bouche.

J’entends souvent dire que l’Aïd-al-Adha est l’occasion pour une partie des citoyens de manger de la viande. Peut-être. Mais il faut voir à quel prix. Cette fête a souvent été l’occasion de spéculation indécente dans les marchés.

Vous verrez que petit à petit, nous nous passerons, non pas de la fête, mais du mouton égorgé à domicile. Ce qui occasionne pas mal de dégâts sur le plan environnemental et fait des trous dans le budget familial.

Pour le moment, c’est la sagesse qui a prévalu. Merci à Sa Majesté qui a pris cette bonne décision.

2- Dermato-Taliban

C’est une histoire vraie que m’a racontée un bon ami. Il a été victime de la bêtise scandaleuse de l’intégrisme religieux, autrement dit victime de l’ignorance et de l’obscurantisme. Cela se passe à Tanger, au centre-ville.

Devant consulter un médecin dermatologue, quelqu’un lui indiqua l’adresse d’une dame installée pas loin de son domicile. Il prend rendez-vous. La secrétaire le prévient que s’il vient pour des problèmes concernant son appareil génital, la doctoresse ne le recevra pas.

Surpris, il demande pourquoi.

La secrétaire: «Mme T. ne soigne que les femmes».

Lui: «Elle est médecin, donc capable de soigner tout le monde».

La secrétaire: «Oui, mais ses convictions religieuses ne le lui permettent pas. Au revoir, Monsieur» .

Ces mots échangés ne sont pas de la fiction. C’est hélas une réalité désespérante. Nous en sommes à ce niveau d’arriération. Pas étonnant, vu le discours de plus en plus caricatural et insultant tenu par un ancien premier ministre, Frère musulman, à ce qu’on m’a dit.

«La bêtise est contagieuse. L’aveuglement est une habitude. Et la religion a bon dos.»

—  Tahar Ben Jelloun

Sidéré, il appelle l’ami qui lui avait conseillé cette dermatologue. Il lui répond qu’il n’était pas au courant de cet ostracisme.

Non découragé, mon ami s’adressa à une autre dermato. Même scénario.

La bêtise est contagieuse. L’aveuglement est une habitude. Et la religion a bon dos.

Mon ami a voulu écrire à l’Ordre des médecins. On lui a dit: «Pas la peine; c’est courant; les islamistes sont partout; ils tirent le pays vers l’arrière et refusent de le voir se développer et se moderniser; va plutôt consulter un médecin homme!».

Il a beau dire à son entourage que le problème n’est pas là, que c’est très grave qu’une personne qui a fait médecine, qui a eu son diplôme de spécialiste, se conduise comme si nous étions gouvernés par les talibans d’Afghanistan.

Cette histoire rappelle un fait rapporté par Kamel Daoud dans son roman «Houris», Prix Goncourt 2024: un gynécologue reçoit les patientes derrière un rideau; de l’autre côté, c’est sa femme qui ausculte et palpe le sexe des patientes et décrit à son mari ce que sa main a trouvé.

Cette histoire est vraie. Mais elle se situe dans une Algérie en proie à une guerre civile terrible entre islamistes et militaires durant les années 1990.

Ce genre de médecins devraient quitter impérativement cette profession et se convertir en diseurs de bonne aventure dans les mosquées.

Le ministère de la Santé devrait intervenir: ou bien ces personnes pratiquent une médecine universelle, sans distinction de sexe, ou bien elles jettent leurs diplômes et changent de métier.

Elles devraient être sanctionnées, dénoncées, et mises à l’écart.

Cette histoire se passe à Tanger, ville réputée pour son ouverture sur la modernité depuis l’époque du statut international, et qui continue de croire en cette ouverture sur le monde. Mais que faire contre la bêtise, la stupidité, l’ignorance et la maltraitance de l’islam?

N’étant pas délateur par principe, je ne donne pas le nom de ces deux doctoresses qui font honte à la profession. Je leur conseillerais en revanche de revoir leur attitude et de relire le Coran avec intelligence. Elles découvriront combien elles sont dans l’erreur et combien elles font mal à cette religion si malmenée par des ignorants.

Un acte médical est un acte objectif. Il ne doit pas se mélanger avec des croyances et autres superstitions.

Nous savons qu’en Europe, des islamistes, adeptes de la mouvance des Frères musulmans, réclament aux hôpitaux des médecins femmes pour les femmes, et des hommes pour les hommes. Heureusement que les lois de la République résistent contre cet obscurantisme.

Quand on est malade, on fait confiance à celui ou à celle qui va vous ausculter et peut-être vous sauver. Le reste relève de l’incompréhension et de la bêtise la plus dangereuse.

Une enquête devrait être diligentée auprès de ces médecins qui ne méritent pas d’être des médecins.

3 - Abdelhak el Mrini

La disparition d’Abdelhak El Mrini est une grande perte.

Je le connaissais un peu. Un ami lointain mais présent. Chaque fois que j’ai eu affaire à lui, j’ai été intimidé par son humilité, par sa modestie et sa grande gentillesse. Il faisait un travail délicat. Sa discrétion, comme sa loyauté, était totale. C’était un homme de culture. Je me souviens lui avoir dédicacé certains de mes ouvrages. La dernière fois que je l’ai vu, c’était durant ses vacances d’été qu’il passait en famille à l’hôtel Le Mirage à Tanger. Il aimait marcher au bord de l’Océan. Je n’ai jamais voulu le déranger durant ces moments précieux. C’était un grand homme. Un homme rare. Natif de Fès, il n’en faisait pas une qualité, mais un simple fait. Nous aimions cependant évoquer l’enfance dans la vieille médina de cette ville, ses odeurs, ses parfums, son manque de lumière et surtout la proximité des familles. Tout le monde se connaissait et il existait une solidarité quasi naturelle.

Il me parlait du neuvième siècle, de l’immobilité des choses et de l’effervescence de la grande université de la Quaraouiyine.

Il a traversé le siècle et est resté le même, plein d’humanité, de savoir et de cette délicatesse qui caractérise l’intelligence discrète. Qu’Allah le couvre de sa miséricorde.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 09/06/2025 à 11h00