Adam Muhammad, victime de Soulaïmane Raïssouni, vent debout contre l’avis de l’ONU sur sa détention «arbitraire»

Adam Muhammad, victime de Soulaïmane Raïssouni, lors de la conférence du 17 octobre 2022, organisée au siège de l'AMDV à Casablanca.

Adam Muhammad, victime de Soulaïmane Raïssouni, lors de la conférence du 17 octobre 2022, organisée au siège de l'AMDV à Casablanca. . Anas Zaidaoui / Le360

Des approximations, beaucoup de non-dits, des mensonges colportés et une seule source consultée… Voici sur quoi repose l’avis émis par un groupe de travail de l’ONU au sujet de la détention jugée «arbitraire» du journaliste marocain Soulaïmane Raïssouni.

Le 18/10/2022 à 16h14

Lors d’une conférence de presse organisée le 17 octobre 2022, au siège de l’Association marocaine des droits des victimes (AMDV), à Casablanca, Adam Muhammad, victime de Soulaïmane Raïssouni, ainsi que ses avocats, ont vivement réagi à l’avis émis par un groupe de travail de l’ONU dénonçant la détention «arbitraire» de l’ancien rédacteur en chef du journal Akhbar Al Yaoum et réclamant sa libération immédiate.

Quand un avis partial dénonce un procès «arbitraire»Bien que condamné en février 2022 à cinq ans de prison ferme pour «agression sexuelle» contre le militant LGBT+ Adam Muhammad, Soulaïmane Raïssouni conteste les faits qui lui sont reprochés.

Celui-ci affirme avoir été poursuivi «à cause de ses opinions», est-il déclaré dans cet avis émis par un groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, qui, citant des soutiens du journaliste, qualifie son procès de «politique».

En effet, affirme le groupe de travail dans son avis, Raïssouni aurait été arrêté deux jours après la publication d’un éditorial dans lequel il reprochait aux autorités leur excès de zèle dans l’application de la législation sur l’état d’urgence pendant la pandémie de Covid-19. Or, selon le groupe de travail de l’ONU, l’éditorial en question «relève de la liberté d’expression» et le journaliste est, de facto, «détenu pour avoir exercé pacifiquement ce droit».

Mais, pour les autorités marocaines, en revanche, est-il indiqué dans l’avis de l’ONU, les poursuites «n’ont rien à voir avec son travail journalistique».

Ainsi, c’est suite à un «examen de son cas» que ledit groupe de travail de l’ONU a conclu que «les violations du droit à un procès équitable sont d’une gravité telle qu’elles rendent la détention de M. Raissouni arbitraire». 

Une prise de position, des affirmations et beaucoup d’approximations qui n’ont pas manqué de faire réagir avec virulence la défense de la victime dans cette affaire, Adam Muhammad.

Lors d’une conférence de presse organisée dans son bureau du centre ville casablancais, l’AMDV a exprimé son indignation à la lecture de cet avis, dénué de toute objectivité.

«Ce n’est pas un avis fondé, ni sur la forme, ni sur le fond», clame Maître Aïcha Guellaâ. «Adam a été ignoré dans ce processus», dénonce-t-elle en pointant du doigt le fait que les seules sources citées par cet avis sont la famille, les amis de Soulaïmane Raïssouni, ainsi que l’association qui le défend. L’AMDV, ainsi que la victime, n’ont en revanche pas eu voix au chapitre pour s’exprimer dans cette affaire.

Comment dénoncer un procès arbitraire en ne tenant aucun compte des éléments de l’enquête présentés au tribunal, sur la base desquels le jugement a été émis, et de surcroît sans donner la parole à la victime de cette affaire? C’est la question qui se pose et qui devient dangereusement habituelle.

L’invisibilisation de la vraie victime et des éléments à charge contre Raïssouni interrogentL’AMDV a par ailleurs épinglé les nombreuses incohérences de cet avis et a dénoncé les mensonges qui y sont colportés, sans compter le fait qu’aient été passés à la trappe plusieurs éléments de l’enquête. Quid de l’enregistrement audio expertisé qui atteste d’une conversation entre Adam Muhammad et Soulaïmane Raissouni, alors que celui-ci soutenait ne pas le connaître et ne lui avoir jamais adressé la parole? Quid aussi de la localisation de leurs deux téléphones portables qui a permis de confirmer leur présence à tous les deux au même endroit et à la même heure?

Et la liste des éléments à charge contre Soulaïmane Raïssouni est encore longue… Pourtant, si la justice du Maroc en a tenu compte, le groupe de travail de l’ONU a, quant à lui, choisi d’en faire abstraction. De là à voir dans cette «omission» une mise en doute de l’intégrité de la justice marocaine et une atteinte à sa souveraineté, il n’y a qu’un pas.

Pourtant, «tout ce qui garantit un procès équitable était présent pour Soulaïmane Raïssouni» affirme l’avocate, que ce soit «la convocation de la police judiciaire, la garde à vue, la détention provisoire», énumère-t-elle en rappelant les décisions prises par «la cour d’appel de Casablanca à chaque étape», ainsi que le «parquet général et les Assises».

Quant aux affirmations émises dans cet avis s’agissant d’une atteinte à la liberté d’expression de Raïssouni, incarcéré pour avoir exercé ce droit pacifiquement, Maître Aïcha Guellaâ rappelle au cours de la conférence que «le Maroc ne vit plus dans les années de plomb», et que la profession de journaliste bénéficie de droits et de libertés régis par un code de la profession. Il y a lieu donc, rappelle-t-elle, de ne pas instrumentaliser des affaires de droit commun en les faisant passer pour des procès politiques, à des fins de déstabilisation du pays.

Adam Muhammad a bien été reconnu victime d’agression sexuelle par la justice de son pays, c’est un fait immuable. «Pour l’heure, nous avons les deux décisions de la Cour d’appel qui lui a donné le droit à une indemnisation matérielle en tant que partie civile», explique par ailleurs Maître Guellaâ qui annonce son intention d’apporter au groupe de travail de l’ONU les éléments dont il aurait dû tenir compte avant d’émettre cet avis, à savoir, énumère l’avocate, le déroulement des faits, les démarches entreprises, la tenue du procès, son équité, la présence de la défense de l’accusé…

L’AMDV balaie, par la même occasion, d’un revers de la main la «vive inquiétude» exprimée par les auteurs de cet avis «quant (au) bien-être physique et psychologique» de Soulaïmane Raïssouni, expliquant que celui-ci n’a eu de cesse de tout faire pour retarder le procès, multipliant dans le même temps les sorties médiatiques par le biais de son entourage et menant contre la victime une véritable campagne de diffamation sur les réseaux sociaux.

Appelant le gouvernement marocain à répondre également à cet avis émis par le groupe de travail de l’ONU, l’AMDV affirme sa ferme intention «de reproduire ce qui s’est passé avec les victimes de Taoufik Bouachrine, lesquelles ont pu obtenir un contre-avis qui affirme qu’elles ont été victimes d’abus sexuels dans une affaire qui ne concerne pas le droit et la liberté d’expression, mais des faits de droits communs, en l’occurrence des abus sexuels».

Adam, la vraie victime dans cette affaire, ne baisse pas les bras«Il y a des choses qui doivent être clarifiées. Peu m’importe de répondre à des individus et des parties connues pour leurs agendas politiques sous couvert de défendre la justice. Je prends la parole aujourd’hui, car malheureusement cette affaire est débattue sur la place publique. Je ne voulais pas que cela arrive, car je ne suis pas une personnalité publique pour que mon affaire soit ainsi exposée à l’opinion publique», déplore Adam au micro, pour Le360.

Cette exposition, le jeune homme qui dissimule son visage derrière un masque, des lunettes de soleil et une casquette et use d’un pseudonyme pour se protéger et protéger ses proches, explique à quel point il en souffre, celui-ci ayant subi des menaces, du chantage, des pressions, de la part de la partie adverse et de ses soutiens, au point de changer trois fois d’adresse, confie-t-il.

Mais aujourd’hui, face aux mensonges et aux approximations émis dans l’avis du groupe de travail de l’ONU, celui-ci a décidé de prendre la parole. Cette absence de soutien des victimes marocaines de la part d’institutions prônant la défense des droits de l’homme, Adam Muhammad s’y attendait, lui à qui ni Human Rights Watch, ni Amnesty International n’ont donné la parole, dans leurs rapports en soutien à son agresseur, pas plus qu’ils ne l’ont donnée à Hafsa Boutahar, victime d’un viol commis par le journaliste Omar Radi.

«Malheureusement, je considère que ces organismes qui prétendent être du côté des droits défendent aujourd’hui les accusés, et contribuent à normaliser le harcèlement et les agressions sexuelles au sens large du terme», dénonce-t-il. «Quand je vois des rapports publiés par ces organismes sans que je n’aie même été contacté pour donner ma version des faits, je me dis qu’il est question de calculs qui me dépassent, des calculs politiques avec lesquels je n’ai aucun rapport».

«Ces organismes continuent de m’instrumentaliser dans ces affaires politisées à dessein», juge Adam Muhammad en dénonçant la communication sur les réseaux sociaux faite par ces organismes, visant à dénoncer la fabrication de toute pièce de son affaire, et de protéger ainsi un accusé dépeint comme une victime innocente.

«Mais les preuves sont là», poursuit-il, et contre ça, toutes les tentatives d’instrumentalisation de cette affaire n’y pourront rien.

Un point positif, et non des moindres, ressort toutefois de tout ça: c’est la première fois que l’agression sexuelle d’une personne homosexuelle sera condamnée par un tribunal marocain, bénéficiera d’une telle médiatisation dans un pays où l’homosexualité est considérée comme un crime, et où les viols sont tus de peur d’aller en prison. Une première, qui tient lieu de grande avancée, et qui aurait dû, à ce titre, être soutenue et applaudie par les organismes droits-de-l’hommiste qui accusent aujourd’hui le jeune homme de mensonges.

Une première qui a d’ailleurs fait sortir de ses gonds la défense de l’accusé sans pour autant que cela n’offusque ces mêmes organismes de défense des droits de l’homme. Son avocat, Maître Abdelmaoula El Marouri, ne déclarait-il pas, en mai 2020, en guise de ligne de défense:«la justice marocaine a approuvé la recevabilité de la plainte d’un individu qui se targue d’être un sodomite, et dans laquelle il prétend avoir subi une tentative de viol. Mais dans quel pays sommes-nous?»

Mais qu’à cela ne tienne, Adam Muhammad, lui, est conscient de cette avancée et en mesure l’importance. «J’espérais que mon cas marquerait le début d’une série de victoires pour l’application des droits de personnes qui ont subi certainement des choses encore pire que moi… Qu’on commence à les écouter, qu’on prenne en considération leurs plaintes», confie-t-il.

Pour le jeune homme, «ce sont les gouttes d’eau qui font les grandes rivières». C’est ainsi qu’il se considère, comme cette goutte d’eau qui permettra d’aboutir à plus de justice et de droits.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 18/10/2022 à 16h14