«Qu’est-ce qu’on a perdu?» Cette question, lancée avec une pointe d’incrédulité par le président algérien Abdelmadjid Tebboune à un journaliste qui l’interrogeait sur le coût diplomatique de l’inflexibilité algérienne, résume à elle seule l’aveuglement stratégique dans lequel s’enferme le régime.
Tebboune refuse de reconnaître le moindre revers, le moindre choix erroné. Son pouvoir s’est bâti sur une fiction diplomatique qu’il érige en vérité d’État, imposée par le haut à l’ensemble de la population. Dans cette réalité parallèle, le Maroc ne gagne jamais, et l’Algérie ne perd jamais.
Tebboune refuse de voir que trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité — les États-Unis, la France et le Royaume-Uni — reconnaissent ouvertement la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Quant aux deux autres, la Chine et la Russie, elles adoptent une posture de neutralité bienveillante, comme en témoignent leurs positions lors des récents votes aux Nations unies.
Tebboune refuse d’admettre que les deux anciennes puissances coloniales de l’Afrique du Nord, la France et l’Espagne — détentrices de la mémoire et des archives de la région — reconnaissent aujourd’hui la marocanité du Sahara. Il feint également d’ignorer que ce sont les ciseaux coloniaux de la France qui ont dessiné, au gré de leurs intérêts, les frontières actuelles de l’Algérie. Un tracé effectué à une époque où l’on croyait la présence française en Algérie éternelle.
Tebboune persiste à ignorer qu’une écrasante majorité des pays arabes a choisi de soutenir la position du Maroc et de rejeter l’aventure séparatiste du Polisario. Il ne reste désormais que trois exceptions pour atteindre une quasi-unanimité au sein du monde arabe — une question de temps plus que de fond.
La Syrie, d’abord, en reconstruction après la chute imminente du régime de Bachar al-Assad. Le Maroc, rappelons-le, a soutenu le mouvement de changement en Syrie. Quels que soient les futurs dirigeants de Damas, il est peu probable qu’ils perpétuent l’alliance stratégique qu’entretenait le régime Assad avec Alger. La bascule vers Rabat semble donc inévitable.
Ensuite vient la Libye, encore en quête d’unité après des années de conflits tribaux et de divisions politiques. La diplomatie marocaine s’est engagée dès les premières heures dans la médiation et la stabilisation du pays. Les principaux processus de paix libyens ont vu le jour au Maroc et s’y poursuivent. Dès lors que la Libye parviendra à reconstruire une gouvernance unifiée, son ancrage aux côtés du Maroc sur la question du Sahara s’imposera naturellement.
«Le Maroc a remporté la bataille politique. Face à cette nouvelle réalité, Alger choisit de persister dans le déni, préférant s’inventer un monde parallèle et s’y enfermer.»
— Mustapha Tossa
Reste la Mauritanie, qui continue officiellement de reconnaître le Polisario. Mais cette position apparaît de plus en plus intenable. D’une part, Nouakchott ne pourra éternellement ignorer la dynamique régionale et internationale favorable au Royaume. D’autre part, les intérêts stratégiques et économiques de la Mauritanie sont désormais profondément imbriqués avec les projets marocains sur la façade atlantique, rendant un changement de posture inéluctable.
Sur le continent africain, la tendance est tout aussi claire. De nombreux États retirent leur reconnaissance du Polisario et se rangent aux côtés du Maroc. L’Union africaine elle-même commence à prendre conscience que l’adhésion du Polisario — obtenue à l’époque sous l’influence des pétrodollars algériens — constitue désormais un frein majeur au développement de ses relations extérieures. Cette question mine les chances de l’Afrique de dialoguer avec le reste du monde sur un pied d’égalité, et pèse lourdement sur ses ambitions stratégiques.
La situation pourrait basculer définitivement le jour où les processus en cours — aux États-Unis, en Europe et dans le monde arabe — aboutiront à la désignation du Polisario comme organisation terroriste. Ce jour-là, les institutions africaines elles-mêmes subiront l’onde de choc.
Et pourtant, seuls Abdelmadjid Tebboune et l’état-major militaire qui l’épaule refusent de voir ces évidences. Le Maroc a remporté la bataille politique. Face à cette nouvelle réalité, Alger choisit de persister dans le déni, préférant s’inventer un monde parallèle et s’y enfermer. Le fantasme a remplacé l’analyse, l’obsession idéologique supplante toute forme de lucidité stratégique. Mais cette posture s’érode sous la pression du réel: le pragmatisme reprend ses droits, et le temps du calcul froid s’impose.
Preuve de cette fuite en avant: lors de sa récente visite en Italie — censée briser l’isolement diplomatique qui entoure de plus en plus le régime algérien — Tebboune a tenté de faire dire à la diplomatie italienne ce qu’elle n’a jamais dit au sujet du Sahara marocain, dans une tentative maladroite de légitimer, auprès de l’opinion algérienne, les concessions économiques faites à Rome.
Ironie de l’Histoire, Tebboune semble avoir scellé le destin de son régime à celui du Polisario. Il ne peut se maintenir que tant qu’il parvient à faire croire à une victoire possible. Mais le jour où l’opinion publique algérienne réalisera qu’elle a été menée dans une impasse, que des milliards ont été dilapidés en vain, ce sera la chute.
En réaffirmant, contre vents et marées, son soutien inconditionnel au Polisario — tout en affirmant devant les Nations Unies que l’Algérie n’est pas partie prenante au conflit — Tebboune lie son sort personnel à celui des séparatistes. Il prend ainsi le risque de disparaître politiquement le jour même où la communauté internationale mettra un point final à cette discorde régionale.





