Les élus marocains sont en train de tomber comme des mouches. Certains ont été déchus de leur mandat parlementaire, alors que d’autres croupissent en prison. On parle d’une trentaine de personnes, le chiffre est assez fou… Ils sont accusés de détournement d’argent et de biens publics, de corruption et, pour certains, de trafic de drogue, avec spoliation foncière, faux et usage de faux, etc.
On ne va pas entrer dans les détails, ni interférer dans des affaires en cours de jugement. L’essentiel est ailleurs. Politiquement et sociologiquement, la coupe est pleine. Il y a des enseignements à tirer.
C’est d’abord l’image de l’élu qui prend un coup. Encore et encore. Cette image n’a jamais été reluisante, ni populaire. Cela vient de l’histoire récente du pays, et surtout des décennies 1970-80 où le boom immobilier, la spéculation foncière et le phénomène dit de la marocanisation (des terres et des biens) ont coïncidé avec l’arrivée massive d’une nouvelle élite politico-économique recrutée à la va-vite et sans trop regarder le profil, ni le passif des uns et des autres.
Cette époque fut une sorte d’âge d’or pour les SAP (sans appartenance politique), les notables et les «moul choukara» riches et sans grande instruction. Politiquement, c’était une catastrophe. Mais cette catastrophe a collé avec un certain boom économique.
Entre autres conséquences, et pour faire vite: l’argent, beaucoup d’argent, est parti dans les mauvaises poches, pendant que des partis dits «cocottes-minute», parce qu’ayant surgi de pratiquement rien et sans base populaire, se sont mêlés de la gestion de la vie publique.
Ce lourd passif nous a menés à la fameuse campagne d’assainissement de 1996, une tentative maladroitement conduite, mais rendue nécessaire, pour moraliser ce qui pouvait l’être et restaurer un climat de confiance. Mais le mal était trop profond pour être extirpé avec une campagne d’arrestations et de jugements expéditifs qui fit, au final, plus de mal encore au monde des affaires, sans réellement restaurer l’honneur perdu de la classe politique.
Nous sommes peut-être aujourd’hui à la veille d’une nouvelle campagne d’assainissement. Certains ingrédients de base sont déjà là: une gabegie dans la gestion des chantiers publics, une trop grande collusion entre les milieux d’argent et la politique, une recrudescence du phénomène des notables qui accaparent des portefeuilles et des costumes trop voyants. Et une certaine fronde de l’opinion publique qui exige la reddition des comptes.
On va faire un dessin pour aller plus vite: nous sommes devant un arbre qui a poussé d’une manière trop sauvage et dont il faut couper, périodiquement, les mauvaises branches.
Le moment semble aussi venu de demander des comptes aux partis politiques. La plupart sont concernés par le phénomène de cooptation. La cooptation en version simple, c’est: les yeux fermés, on va chercher des notables et des réserves de voix pour gagner en représentativité et avoir plus de sièges et de portefeuilles. Tous les moyens sont bons, croit-on, pour gonfler artificiellement son poids politique et gagner le droit d’appliquer sa propre politique.
Mais que vaut donc cette «politique» qui est servie et menée par des gens qui n’ont, justement, rien à faire dans le monde politique?