PKK-Turquie: l’échec du séparatisme

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueAvec la dissolution du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie, le séparatisme prôné durant des décennies est désormais un échec consommé. Une leçon à tirer dans notre région, avec le mouvement séparatiste installé dans les camps des milices armées à Tindouf, en territoire algérien.

Le 15/05/2025 à 18h37

Le lundi 12 mai, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a prononcé sa dissolution. Il a ainsi décidé de mettre fin à une insurrection qui a fait quelque 40.000 morts en Turquie. La déclaration a été mise en ligne par l’agence prokurde ANF: «La lutte du PKK a fait tomber la politique de déni et d’annihilation de notre peuple, amené la question kurde à un point où elle peut se résoudre à travers des politiques démocratiques, et, à cet égard, a clos la mission historique du PKK».

La décision a été prise à l’issue d’un congrès tenu du 5 au 7 mai courant dans les montagnes de Qandil, dans le nord de l’Irak, refuge du commandement militaire du PKK. Cet acte historique fait suite à l’appel du «leader Abdullah Öcalan», en date du 27 février dernier, qui avait exhorté ses partisans et son mouvement à déposer les armes et à se dissoudre.

Le leader du PKK, âgé de 76 ans, avait été condamné à 42 ans de prison en 1999, dont il en a purgé aujourd’hui 26. Sera-t-il bientôt libéré? L’hypothèse paraît peu probable, mais il est admis, selon un responsable de l’AKP, parti au pouvoir, que ses «conditions de détention seront assouplies». Cette formation a salué «une étape importante vers l’objectif d’une Turquie débarrassée du terrorisme». Dans cette même ligne, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, considère «cette décision comme très importante pour la paix et la stabilité permanentes dans notre région». Une tonalité que l’on retrouve du côté de la Commission européenne, qui a appelé à «œuvrer pour la paix» et au «lancement d’un processus de paix crédible, visant à trouver une solution politique à la question kurde».

Cela dit, il vaut de rappeler, pour une meilleure appréhension de la dissolution du PKK, le point de la situation militaire. En Turquie, l’on a eu affaire à une menace sécuritaire marquée du sceau d’attentats et de fréquentes opérations de sécurité contre les sympathisants de ce parti. Dans le passé, les forces turques ont conduit de vastes opérations qui ont lourdement grevé les capacités du PKK à opérer dans ce pays. Ce qui a repoussé ce dernier plus particulièrement vers le nord de l’Irak et même vers le nord de la Syrie. C’est ainsi que le conflit avec Ankara est plus intense et plus meurtrier en Irak. Ce front relève pratiquement d’une guerre de mouvement, alors que le front turc se caractérise par des attentats et le front syrien par des tirs indirects (bombardements ciblés).

Le PKK a continué de se distinguer par sa résilience, mais aussi par la bienveillance, voire le soutien d’autres acteurs régionaux, au premier rang desquels l’Iran et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) dans la Région autonome du Kurdistan (RAK) en Irak. Le soutien de Téhéran est lié, entre autres, au projet de «route de développement irako-turque», laquelle ne fait pas les affaires de l’Iran -une alternative logistique au canal de Suez, avec donc le passage par le détroit d’Ormuz et non plus par celui de Bab al-Mandeb, soustrayant ainsi les navires de commerce à la menace des Houthis, alliés yéménites de l’Iran.

En Syrie, le statu quo est suspendu au maintien des forces américaines. La Turquie est mobilisée pour «compléter le corridor de sécurité le long de la frontière avec la Syrie». Le président Erdogan a affirmé que son pays se tenait prêt au cas d’un retrait des forces américaines de Syrie. Avec la réélection de Trump, l’on s’attend à un potentiel retrait des soldats américains déployés dans le pays et d’une réduction des effectifs militaires US en Irak, au profit d’un redéploiement dans le Golfe persique. Le renversement du régime El-Assad, le 8 décembre 2024, repose en des termes différents le statut des forces kurdes dans ce pays.

«La dissolution du PKK est la consécration de la voie gagnante du compromis, avec un prolongement institutionnel et politique devant nécessairement être inclusif, pluraliste et démocratique.»

Qu’en est-il maintenant des suites politiques et institutionnelles de la dissolution du PKK? Quelles hypothèses retenir «sur le papier»? Il faut préciser à cet égard les données objectives qui sont sur la table et qui forment le capital du PKK. Le mouvement représente et incarne les Kurdes turcs, composante minoritaire de quelque 15 millions de personnes vivant dans un pays qui en compte 85 millions. En Irak, les Kurdes sont estimés à 8 millions de personnes dans une population estimée à 47 millions. En Syrie, ils comptent 4 à 5 millions de personnes sur une population totale de 25 millions. Enfin, en Iran, ils sont au moins 10% dans un total de 92 millions de personnes. Ces chiffres sont hautement significatifs: ils attestent que l’ensemble des Kurdes dans ces quatre pays avoisine quelque 37 millions.

Une population notable, plus encore évidemment: un peuple. Un peuple sans État, mais avec un corps social uni et formaté à travers l’histoire par tant de liens! Dans leur grande majorité, les Kurdes sont des musulmans sunnites, les autres communautés se partageant entre les chrétiens et les Yézidis. Ils partagent une langue commune déclinée autour de plusieurs dialectes régionaux, et sont profondément imprégnés de leurs traditions et de leur identité. Ils ont lutté pour la reconnaissance de leur statut, en particulier en Turquie. Ils se sont confrontés au refus d’Ankara et également à celui de l’Iran. Il n’y a qu’en Irak où ils jouissent depuis une décennie d’une autonomie régionale, et dans une moindre mesure en Syrie, avec seulement une autonomie locale.

Quelle va être aujourd’hui la phase post-dissolution du PKK? Erdogan s’est résolu à finaliser dans des conditions non encore publiques un accord avec le PKK pour les insérer dans l’action légale et politique. Cela consolide la paix et la sécurité dans son pays et contribue à lui donner une position avantageuse en interne. C’est qu’il a en tête l’idée de sa reconduction pour un troisième mandat présidentiel en 2028. Et à cette fin, la modification de la Constitution est nécessaire. Cette réforme peut se faire de plusieurs manières: par référendum avec une majorité qualifiée des deux tiers du parlement (soit 400 voix sur 600); soit avec moins de 360 voix, mais alors la révision de la loi suprême ne peut se faire. Avec son parti l’AKP, il dispose de 272 sièges, auxquels il faut ajouter les 47 sièges du Parti d’action nationaliste (MHP) et ceux de petites formations, pour un total de 324 voix. Le parti DEM (pro-kurde) est, lui, le troisième groupe parlementaire avec 61 sièges. Le président turc peut alors compter sur 385 voix, à une quinzaine près des 400 requises pour l’adoption d’une loi constitutionnelle promulguée par le président Erdogan sans référendum. C’est la troisième procédure de révision constitutionnelle.

En fin de compte, après quelque 40 ans d’insurrection armée, avec une guerre asymétrique menée contre la Turquie et un cessez-le-feu aujourd’hui, commencera un processus certainement laborieux pour consacrer l’identité kurde dans l’État national et unitaire de la Turquie. C’est la consécration de la voie finalement gagnante du compromis, avec un prolongement institutionnel et politique devant nécessairement être inclusif, pluraliste et démocratique.

Le séparatisme prôné durant des décennies est un échec consommé. Une leçon à tirer dans notre région, avec le mouvement séparatiste installé dans les camps des milices armées à Tindouf, en territoire algérien. Sans peuple ni mémoire historique collective, avec, au surplus, le non-respect du cessez-le-feu décidé par le Conseil de sécurité de l’ONU en septembre 1991, et violé par le Polisario depuis novembre 2020.

Un peuple historique comme celui des Kurdes se distingue aujourd’hui par sa maturité et sa responsabilité. Un acte qui met à nu les menées séparatistes, vecteurs d’une Algérie dans son impasse intérieure et ses errements diplomatiques qui ne font qu’accentuer son isolement.

Par Mustapha Sehimi
Le 15/05/2025 à 18h37