Les conditions d’accès de Saâd-Eddine El Othmani au poste de Chef du gouvernement laissaient déjà présager qu’il allait se contenter de jouer les seconds rôles. Souvenez-vous, sa nomination n’est pas intervenue au lendemain des élections, mais après un long feuilleton de blocage dans la composition d’une majorité gouvernementale, clôturé par un arbitrage royal. Un arbitrage qui avait certes laissé au PJD le privilège de conduire l’Exécutif, mais avec comme patron un personnage moins clivant que n’a pu l’être Abdelilah Benkirane, lâché par une bonne partie de ses frères.
Ce déchirement au sein du parti, qui a apporté la démonstration éclatante du fait que les islamistes étaient prêts à tout pour s’accrocher au pouvoir, a lourdement pesé sur l’ensemble du mandat de Saâd-Eddine El Othmani. Il a ainsi souvent dû subir des attaques virulentes en provenance de ses propres partisans, dont les débordements ont été à l’origine de multiples crises au sein de la majorité gouvernementale.
Majorité vacillanteLa coalition des six partis de la majorité parlementaire a d’ailleurs explosé en cours de mandat, avec le retrait du Parti du progrès et du socialisme (PPS) en octobre 2019. Et cela n’a pas été le seul remaniement forcé du cabinet El Othmani, qui a changé à deux reprises. Un fait qui renseigne, d’ailleurs, sur les capacités du chef de l’Exécutif à savoir animer son équipe.
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Le style El Othmani? «C’est le genre de pilote qui se rend à l’arrière se mêler des chamailleries, alors qu’il n’a pas le luxe de faire dans le pilotage automatique», décrit un ancien ministre. «Dans la gestion de la crise sanitaire, on se rappellera bien de son discours sur l’inutilité des masques, quelques jours avant que ceux-ci ne deviennent obligatoires», ironise un cabinard, pour résumer l’incapacité d’anticipation du chef de l’Exécutif.
D’autres bourdes d’El Othmani sont moins anecdotiques, et viennent illustrer son sens du tact diplomatique (qui frôle le néant) et qui lui a d’ailleurs déjà valu, en 2012, de figurer comme le ministre des Affaires étrangères le plus furtif de l’histoire du Royaume. Sa sortie intempestive sur les relations avec l’Etat d’Israël aurait pu coûter au Maroc la signature d’un accord historique consubstantiel à la reconnaissance du Sahara marocain par les Etats-Unis. Son tweet maladroit sur les manœuvres militaires de l’African Lion ont conduit au chamboulement d’un programme que la diplomatie et l’armée marocaine voulaient négocier discrètement avec le Pentagone.
Conseil de fin de mandatL’arrivée à terme du mandat El Othmani est sans doute un soulagement pour de nombreux Marocains, qui ne le regretteront pas, tout autant que beaucoup d’autres membres de son gouvernement. Mais il y a bien d’autres ministres dont l’absence risque de laisser un vide abyssal, alors que certains devraient en toute logique rempiler.
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Pour clôturer notre série pré-électorale du bilan gouvernemental, quoi de mieux, donc, que de passer au crible toute l’équipe El Othmani, dans un conseil de fin de mandat qui fait le tour des départements gouvernementaux. Bulletin ministériel, façon Le360.
Ceux qui ne vont pas nous manquerIls sont plusieurs, parmi les collègues de Saad-Eddine El Othmani, dont la cérémonie de passation des pouvoirs, dans les ministères qu’ils auront dirigés, sera synonyme de nouvel espoir. Leur contribution à l’action gouvernementale aura été peu marquante, si ce n’est par des scandales qui ont maculé leur macaron ministériel. Le petit nouveau, Mohamed Amekraz, propulsé en novembre 2019 de la présidence de la Chabiba du PJD au poste de ministre du Travail et de l’insertion professionnelle –sans doute à la faveur de négociations partisanes– en est peut-être l’exemple-type.
L’opinion publique découvre soudainement que cet avocat de métier ne prenait même pas la peine de déclarer les assistantes de son cabinet à la CNSS. C’est d’ailleurs un scandale de même nature qui a finalement entaché le dernier mandat de son aîné, tant au barreau, qu’au parti. Mustapha Ramid, ministre d’Etat, a été le premier à avoir été exposé aux révélations explosives de la famille d’une de ses ex-employés, pour laquelle il ne s’était jamais donné la peine de payer de cotisations sociales.
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Deux autres de leurs collègues au sein du PJD devraient aussi quitter leurs fauteuils ministériels sans vraiment ressentir ce sentiment du devoir accompli. Abdelkader Amara et Aziz Rebbah, qui, sur les deux mandats qu’ils ont effectué au gouvernement, ont interchangé leurs ministères –couvrant l’équipement, le transport, la logistique l’eau, l’énergie, les mines et l’environnement– n’ont vraiment pas laissé d’empreintes indélébiles dans un aucun de ces domaines. C’est à peine s’ils n’ont pas entravé la bonne marche de chantiers amorcés par des stratégies nationales, réfléchies et élaborées bien en amont, très loin de leurs départements.
Au revoir et merciLe ministre de la Justice, Mohamed Ben Abdelkader, pourrait lui aussi figurer dans une liste des responsables gouvernementaux à oublier. Celui qui a commencé un mandat gouvernemental à la tête du département de la Réforme de l’administration a essentiellement brillé grâce à son projet de loi sur l’usage des réseaux sociaux, lequel a fait des remous avant d’être retiré du circuit législatif.
A l’actif de ce ministre, néanmoins, la mise en place des procès à distance, en pleine période de confinement. Une prouesse que son collègue Saaïd Amzazi a également réussie dans le département de l’Education nationale, mais qui reste insuffisante pour gagner en popularité. Celui qui a été aussi le porte-parole du gouvernement s’est en effet démarqué auprès des reporters des grands médias nationaux par l’inconsistance patente de ses déclarations.
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Le dernier personnage à lister parmi les ministres qui ne risquent pas de nous manquer n’est autre que le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb. Car si le Royaume a été exemplaire dans la gestion de la situation sanitaire en période de pandémie, ce n’est sans doute pas grâce au cabinet Aït Taleb. Bien au contraire, la manière de procéder du ministre a même été contestée par les parlementaires, qui ont constitué une commission d’enquête sur les contrats passés par son département.
Des ministres efficaces qui devraient rempilerDans l’équipe El Othmani, il y a fort heureusement bien d’autres personnages qui ont été d’une efficacité remarquable. Il y a lieu de citer l’argentier du Royaume, Mohamed Benchaaboun, présent sur tous les fronts, au point qu’on a pu le prendre, parfois, pour le véritable chef du gouvernement. Le ministre des Finances conserve d’ailleurs toutes ses chances de rempiler lors du futur gouvernement, surtout qu’il a déjà amorcé le processus d’un emprunt national à lancer dès le lendemain du scrutin.
Son collègue, Moulay Hafid Elalamy, devrait lui aussi rester à la tête du ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Economie verte et numérique. Un portefeuille pléthorique, qui semble être le nouveau destin de cet homme d’affaires dont le groupe privé n’a jamais été freiné dans son élan par les responsabilités de son fondateur, en poste depuis 2013. D’autant que le bilan Elalamy est plus qu’honorable, que ce soit en matière de conduite du Plan d’accélération industrielle, en matière de gestion de crise ou encore en termes de relations commerciales.
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Un autre ministre qui ne devrait pas bouger de son poste est sans doute Nasser Bourita, en charge de la diplomatie chérifienne. Avec son ministre délégué, Mohcine Jazouli, les deux hommes ont été très actifs au cours de ce dernier mandat, couronné par une reconnaissance des Etats-Unis de la marocanité du Sahara. Depuis les Provinces du Sud, où s’est justement rendu le ministre une vingtaine de fois (à l’occasion de l’inauguration de représentations consulaires), Nasser Bourita incarne cette diplomatie marocaine offensive et décomplexée qui collectionne les victoires.
Les gardiens du templeLe plus jeune ministre des Affaires étrangères que le Maroc a encore jamais connu est d’ailleurs en passe de devenir l’un des gardiens du temple. Il pourrait même devenir comme ces incontournables serviteurs de l’Etat, qui ont fait et font toujours partie de différentes équipes gouvernementales, que sont Ahmed Toufiq, Mohamed El Hajjoui et Abdellatif Loudiyi. C’est que les Affaires islamiques et la défense nationale sont des domaines régaliens, tout comme la diplomatie chérifienne, qui avait déjà connu dans le passé des ministres qui durent.
Une tradition qui a été abolie du ministère de l’Intérieur où l’on change désormais de visage à l’avènement de chaque nouveau gouvernement. Pourtant, le duo composé de Abdelouafi Laftit et de Nourredine Boutayeb mériteraient de rompre cet us, tellement l’attelage a été efficace sur tous les fronts. Respect de l’état d’urgence imposé par la crise sanitaire, préparatifs de l’arsenal législatif électoral avec ses nouvelles règles, lancement du processus de légalisation du cannabis malgré bien des résistances… Ce sont là tout autant de réalisations réussies du département efficacement géré par Laftit.
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Autre ministre qui mériterait d’être repêché: Othman El Ferdaous. Du moins, c’est tout le petit monde médiatique qui vante ses mérites, pour avoir rémunéré des journalistes pendant quasiment neuf mois. Les acteurs du monde culturel ont également eu droit à un précieux soutien pendant cette période de crise sanitaire, marquée par un arrêt total des activités culturelles et de divertissement.
Ceux qu’on n’a même pas vu passerQuoi qu’il en soit, le jeune ministre estampillé Union Constitutionnelle a été plus dynamique que nombre de ses collègues que l’on n’a quasiment pas vus pendant ce mandat. La plus grande déception dans ce sens est peut-être Nadia Fettah. La ministre du Tourisme, que l’on espérait voir révolutionner ce secteur, est restée comme estomaquée par la crise sanitaire qui a anéanti le secteur. Son temps de réaction a été lent, ses décisions, hésitantes, et souvent contradictoires avec d’autres mesures reliées à l’état d’urgence sanitaire.
Deux autres femmes ministres n’ont pas non plus brillé durant ces dernières années: Nezha Bouchareb et Jamila Moussali, respectivement titulaires des départements de l’Habitat et du Développement social, lesquelles sont restées également assez effacées. Quant aux deux ministres délégués que sont Nezha El Ouafi (Affaires étrangères) et Driss Ouaouicha (Enseignement supérieur), impossible de ne pas remarquer que leur exposition médiatique a frôlé le néant.
Tout le contraire du dernier responsable gouvernemental qui manque à l’appel à ce conseil de fin de mandat. Vous l’avez peut-être déjà relevé, il s’agit de Aziz Akhannouch, le plus ancien ministre de tous, puisqu’il chapeaute l’Agriculture et la Pêche depuis… 2007. Son bilan plaide largement pour sa reconduction. Sauf que lui aspire désormais à d’autres fonctions: il dispute ses chances d’accéder au statut de Chef de gouvernement. Tout se jouera pour lui le 8 septembre…