Ministères passés au crible – EP 9: Khalid Aït Taleb, une pathologie nosocomiale à l’ère du coronavirus

Khalid Aït Taleb, ministre de la Santé.

Khalid Aït Taleb, ministre de la Santé. . DR

Il vient de l’hôpital public, mais il n’est pas parvenu à lui redorer son blason. Pourtant une feuille de route royale pour la lutte contre le coronavirus devait lui faciliter la tâche. Symptômes d’un mandat raté du ministre d’un grand département, foncièrement malade.

Le 25/08/2021 à 09h02

Son prédécesseur Anas Doukkali était prêt à renier son Parti du progrès et du socialisme pour s’accrocher à son fauteuil de ministre de la Santé. Sauf que le remaniement d’octobre 2019 lui a été fatal, propulsant au passage Khalid Aït Taleb à la tête de ce département stratégique, sur lequel reposent de nombreux chantiers sociaux.

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On murmure que sa nomination, Khalid Aït Taleb la doit à une relation hautement placée. Pourtant, on ne connaît pas à l’homme des connivences avec la techno-sphère. Déjà, quand il dirigeait le CHU de Fès, Aït Taleb était réputé pour être un solitaire, qui préférait rester en retrait. «Il était effacé au point de passer inaperçu même dans les réunions», témoigne un de ses anciens collègues du bloc opératoire.

Fébrilité face à la pandémieQuatre mois seulement après avoir rejoint le gouvernement, Aït Taleb est confronté à la pire pandémie que la planète ait encore jamais connue. Son département est le plus attendu, le plus visible. Son nom est vite appris par tous les Marocains, qui attendaient une entrée sur scène, digne des grands opéras, une épopée avec un maestro et qui ont finalement eu droit à quelques apparitions furtives. Des sketches.

Fébrilité, hésitation et instabilité sont les premiers symptômes que le médecin en chef du Royaume manifeste, alors que les pays voisins, européens, sont dévastés par un virus insaisissable. Illustration-type: il tient une conférence de presse, en ce fameux 2 mars 2020, au cours de laquelle il affirme que le Royaume reste à l’abri de cette pandémie, alors que le premier cas de contamination sera officiellement déclaré, par ses propres services du département de la Santé, quelques heures plus tard.

Quand le Covid-19 a commencé à frapper fort, les hôpitaux du Royaume ont été cruellement en manque de moyens matériels et humains, héritage d’une faillite structurelle de ce secteur. Heureusement que le pays n’a pas eu à compter sur Khalid Aït Taleb pour opérer un redressement rapide. La stratégie clairvoyante du roi Mohammed VI a néanmoins permis de tracer la voie au ministre. «Aït Taleb n'avait qu'à appliquer alors à la lettre les consignes royales, une bouée de sauvetage pour un chirurgien praticien, loin d’être reconnu pour ses capacités managériales ou de leadership», explique un médecin qui l’a côtoyé au CHU de Fès. «N’était-ce la stratégie royale de réforme et de soutien accordé au ministère de la Santé (2 milliards de dirhams d’aide du Fonds Covid-19) pour faire face à la pandémie, le système de la santé se serait écroulé comme un château de cartes», ont unanimement estimé des professionnels de la santé.

Gestion chaotiqueGrâce au fond de solidarité, l’Etat a vite pu débloquer quelque 2 milliards de dirhams additionnels à son département, pour équiper les structures sanitaires en matériels, en équipements et en médicaments.

Confronté à la pandémie, Aït Taleb a eu toutes les autorisations pour dépenser sans compter, en vue de stopper la propagation du virus et soigner les malades. «Aucun ministre de la Santé n’avait eu pareil blanc-seing avant lui. Aucun ministre de la Santé n’avait et l’écoute, et le soutien instantanés des autres départements, en particulier des Finances et de l’Intérieur», témoigne un ancien cadre au ministère de la Santé.

Une série de dysfonctionnements dans le processus d’approvisionnement va néanmoins se répandre comme des métastases dans le département que dirige Aït Taleb.

Un rapport parlementaire accablant accuse en effet le ministre de la Santé d’avoir accordé des lots d’acquisition pour 220 millions de dirhams de matériel à 45 sociétés «non reconnues». Convoqué à plusieurs reprises par la commission parlementaire des secteurs productifs, Khalid Aït Taleb ne s’est jamais plié aux injonctions des députés. «Nous regrettons cette attitude du ministre», a déploré le président de la Chambre des représentants, Habib El Malki, à propos des absences répétées du ministre, qui semble ainsi défier les représentants du peuple.

La gestion frénétique de Khalid Aït Taleb n’a pas non plus épargné la campagne de vaccination dont les débuts ont été marqués par un retard inquiétant des livraisons des commandes passées par le Maroc. Les hautes autorités avaient pourtant tout planifié et tracé la voie pour que le Royaume ne rate pas ce rendez-vous avec cette importante étape dans la longue voie vers l’immunité collective. Le Maroc avait même pris part aux essais cliniques du vaccin, à la seule fin de figurer parmi ses premiers bénéficiaires. Ce sont ainsi 600 volontaires qui ont participé aux tests de la troisième phase de Sinopharm. Pourtant, au moment où tout le monde s’attendait à ce que le Maroc fasse partie des premiers pays livrés par le vaccin chinois, les annonces sans effet se sont succédées.

Une source proche du dossier impute les retards dans les livraisons de Sinopharm à «l’amateurisme» dont a pu faire preuve le département d’Aït Taleb. «Dans le contrat, les quantités de vaccins étaient bien mentionnées, mais pas l’échéancier des livraisons. Du coup, le fabricant n’avait aucune contrainte de délai et il a bien profité de cette lacune pour vendre les vaccins plus chers à des clients davantage pressés», précise cette source. Il a fallu que les relais diplomatiques interviennent pour parer à l’urgence et démarrer effectivement la campagne de vaccination le 29 janvier.

Un ministre solitaireD’ailleurs, les apparitions publiques du ministre se sont ensuite faites rares, alors que la lutte contre le Covid-19 battait son plein. Khalid Aït Taleb a même trouvé même le moyen de congédier le visage public du ministère en matière de lutte contre la pandémie. Mohamed Lyoubi, directeur de la direction de l’épidémiologie, est subitement retiré des bulletins quotidiens du ministère qui avait dû, sur instructions royales, informer régulièrement les Marocains de l’évolution de la pandémie.

Un porte-parole du ministère a lui aussi subi le même sort, et le ministre a même décidé de rompre tout contact avec la presse, sauf avec les médias du pôle public. «Il nous a clairement sommé de garder nos distances avec les journalistes. Il a même demandé que toutes les demandes de reportages soient impérativement soumises à son accord», témoigne un de ses anciens collaborateurs.

«Le grand défaut du ministre réside dans le fait qu'il aime travailler en solitaire. Il n'a pas eu de chef de cabinet. Il n'a pas été entouré de conseillers. Il n'a pas eu de secrétaire général du ministère. Il agit seul et prend des décisions seul», commente Mohamed Zidouh, chirurgien et vice-président de l'Association nationale des cliniques privées.

Les maux de l’hôpital publicLe Dr Zidouh pointe par ailleurs du doigt la législation relative à l’autorisation d’exercer au Maroc pour des médecins étrangers. Ce projet de loi, le 33.21, modifiant et complétant la loi 131.13, relative à l’exercice de la médecine, vise à mettre en place un ensemble d’incitations pour attirer les médecins étrangers. Si le corps médical marocain a applaudi cette mesure, il a néanmoins tiré la sonnette d’alarme afin qu’une carte sanitaire soit instaurée. Celle-ci permettrait en effet de déployer ces médecins dans le monde rural, et ainsi réduire la problématique des déserts médicaux. «L'axe Marrakech, Casablanca, Rabat, Tanger ne manque pas de médecins. Il faut une carte sanitaire pour un meilleur déploiement», estime Mohamed Zidouh.

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Ce manque de ressources humaines est d’ailleurs une problématique que soulève le docteur Oussama Alami, un des hauts cadres syndicalistes des médecins publics.

«Le secteur public ne compte que 8.000 médecins actuellement, alors que leur nombre était presque le double il y a quelques années», regrette-t-il, expliquant que «les départs volontaires ont permis à bon nombre de médecins formés dans l’hôpital public marocain de partir à l'étranger». «Le corps soignant, y compris les infirmiers et les techniciens mènent souvent des grèves», ajoute celui qui a été le directeur de l'Hôpital Moulay Abdellah de Salé.

Tous ces ratés ont fait que ce n’est pas le ministre en charge de la Santé qui s’est illustré dans la lutte contre le Covid-19, mais bien celui en charge de l’Intérieur. La majorité des mesures gagnantes contre la pandémie, à l’instar de la plateforme pour gérer les rendez-vous pour le vaccin, ont été prises par le département que dirige Abdelouafi Laftit.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 25/08/2021 à 09h02