Ministères passés au crible – EP5: Elalamy, un ministre qui sait parler affaires

Moulay Hafid Elalamy. 

Moulay Hafid Elalamy.  . Adil Gadrouz / Le360

L’épisode de cette semaine traite des départements de l’Industrie et du Commerce, dirigés par un technocrate efficace et charismatique, qui sait séduire les industriels. Faits marquants de son mandat, au cours duquel il a réussi à cultiver un énorme capital sympathie.

Le 28/07/2021 à 09h03

Sur le plan de ses affaires privées, Moulay Hafid Elalamy (MHE, comme on l’appelle de ses initiales) a marqué son dernier mandat par la vente record, pour plus d’un milliard de dollars, de sa compagnie d’assurances Saham. Il n’a pas pour autant ménagé ses efforts dans la gestion des affaires publiques, surtout en période de pandémie.

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Dès l’apparition des premiers cas de Covid-19 au Maroc, MHE a sonné la mobilisation générale dans les départements dont il a la charge. Le Maroc devait non seulement faire face à la rareté des équipements indispensables à la lutte contre la propagation de la pandémie (masques, gel hydroalcoolique, etc.), mais devait aussi préserver l’outil industriel et sauver le maximum d’emplois en pleine période de confinement.

Le Maroc cité en exempleAu lieu de subir la crise, MHE a pris son bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des industriels, avec un seul mot d’ordre: nous sommes en guerre contre le Covid-19, priorité à l’autonomie et à la souveraineté nationale. L’exemple des masques de protection est particulièrement édifiant. Le ministre de l’Industrie et du Commerce a dépêché ses cadres sur le terrain, tout en gardant un œil attentif sur l’ensemble des process de production à l’intérieur des usines textiles, qui se sont converties à la fabrication de masques sanitaires.

«Le ministre a supervisé les opérations, dans leurs moindres détails, y compris le choix du tissu, voire des sociétés chargées de la distribution», se rappelle ce textilien de la zone industrielle de Ain Sebaâ, dans la banlieue de Casablanca. L’état d’urgence sanitaire aidant, de nouvelles mesures ont été immédiatement décrétées pour barrer la route aux spéculateurs: prix fixe subventionné, suspension de l’export et de l’import… Résultat: pas moins de 340 millions de masques produits durant la période du premier confinement, entre mars et août 2020. Un exploit qui a valu au Maroc d’être cité en exemple par plusieurs médias internationaux, à un moment où les masques devenaient une denrée rare dans le monde.

MHE n’a pas eu le temps de savourer ce succès, mais il s’en est immédiatement inspiré en enchaînant avec d’autres produits, frappés du sceau de la rareté. Nous assistons alors aux premiers balbutiements de ce qui deviendra une banque de projets «Made in Morocco». Un chantier majeur lancé en septembre 2020 par MHE avec l’ambition de substituer à travers l’industrie locale l’équivalent de 34 milliards de dirhams d’importations à l’horizon 2023.

La révolution Made in Morocco«MHE a su insuffler et diffuser un nouvel état d’esprit, en imposant une nouvelle manière d’entreprendre. Le mot «impossible» n’existe pas dans son vocabulaire», témoigne Mohamed Benouda, président co-fondateur de ABA Technology, un groupe industriel et technologique, spécialisé dans le numérique, l’électronique et les objets connectés. «Lorsque nous sommes partis présenter le thermomètre infrarouge que nous développons, il nous a beaucoup aidés en incitant d’autres ministères à encourager le produit marocain et à passer commande chez nous», reconnaît-il.

Grâce à l’appui du ministère de tutelle, les industriels marocains ont rivalisé d’ingéniosité pour développer des produits et équipements aux normes internationales, en mesure de répondre à la fois à la demande locale et aux marchés de l’export. Tests PCR de détection du Covid-19, lits médicalisés, machines de production des masques, kits de prélèvement, caméras thermiques, visières de protection, tunnels de décontamination, cartables scolaires, etc. La fabrication locale de ces produits a permis au Maroc d’économiser un montant équivalent à 4,2 milliards de dirhams d’importations, indique une source autorisée au ministère de l’Industrie.

Le don de l’écouteLa nature des portefeuilles ministériels dont il a la charge oblige MHE à recevoir beaucoup de chefs d’entreprises, avec lesquels il partage le même langage, étant lui-même issu du monde des affaires.

Ceux qui ont eu l’occasion de le rencontrer décrivent un haut commis de l’Etat, qui voit grand, à la hauteur de ses ambitions. «C’est un homme entier, sincère et disponible. Vous lui envoyez un WhatsApp à 1 heure du matin, il vous répond», témoigne ce président d’une fédération membre de la CGEM.

«MHE a toujours été à l’écoute des industriels. Il a assisté à toutes nos assemblées annuelles, à toutes les cérémonies d’inauguration d’usines, etc.», confirme de son côté Karim Cheikh, président du Groupement des industries marocaines de l'Aéronautique et du Spatial (Gimas).

Karim Cheikh cite un exemple concret pour illustrer l’efficacité de la «MHE touch»: au deuxième trimestre 2020, alors que les frontières aériennes du Maroc étaient fermées du fait de la crise sanitaire, le ministre a réussi à décrocher une autorisation spéciale pour les vols «techniques», réservés aux avions qui viennent pour les besoins de réparation.

Ce feu vert a permis d’assurer la continuité de toutes les activités qui gravitent autour de l’écosystème MRO (entretien-réparation, révision), l’un des 7 écosystèmes «aéronautiques» mis en place dans le cadre du Plan d’accélération industrielle (PAI). Une décision qui a sans doute contribué à atténuer l’effet dévastateur de la pandémie sur l’industrie aéronautique nationale. «Le secteur a perdu seulement 10% des emplois, contre plus de 40% dans de nombreux pays européens», assure Karim Cheikh.

Des initiatives à la faveur de la préservation de l’emploi, il y en a eu plusieurs au cours des deux mandats effectués par MHE. En avril 2019, suite à l’annonce du retrait du canadien Bombardier du marché marocain, il a fait de ce dossier une priorité. Un peu plus de 7 heures de vols plus tard, une rencontre à Montréal avec le président de Bombardier Monde, qui se trouve être son ancien camarade de promotion à l’université de Sherbrooke, lui aurait suffi pour négocier, non seulement le maintien des 400 emplois du site de l’avionneur à Casablanca, mais, en plus, un doublement (et bientôt un triplement) de la capacité de cette usine, rachetée plus tard par l’américain Spirit.

Globalement, se réjouit Karim Cheikh, le PAI a permis de structurer les activités aéronautiques en écosystèmes, dont le nombre est passé de 4 à 7 entre 2014 à 2020, attirant de plus en plus d’investisseurs étrangers (américains et canadiens notamment). Mieux encore, poursuit-il, le nombre des employés dans le secteur a presque doublé, passant de 10.000 à 18.000, le nombre de sociétés de 100 à 142, tandis que le taux d’intégration locale est quant à lui passé de 17% à 42% durant la même période.

La saga Renault-PSA continueDe même, les prouesses réalisées par les écosystèmes de l’industrie automobile ne sont plus à démontrer. Celle-ci s’est hissée au rang de premier secteur exportateur au Maroc, dépassant, depuis 2014, celui des phosphates. Ainsi, les exportations du secteur ont plus que doublé, passant de 32,7 milliards de dirhams en 2013 à 80,2 milliards de dirhams en 2019.

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«Moulay Hafid Elalamy et son équipe ont orchestré, avec leurs partenaires, l’accélération de l’industrie automobile ces dernières années et l’écosystème Renault est une excellente illustration de ces avancées», témoigne une source autorisée chez Renault Maroc. Cette vision partagée, poursuit cette même source qui a voulu rester anonyme, a permis au groupe de passer de 26 fournisseurs de premier rang en 2015, à 76 actuellement et de dépasser les 60% d’intégration locale, en ligne avec les engagements pris avec le Royaume lors de la signature du Contrat de performance en avril 2016.

Un petit goût d’inachevéMHE peut se targuer d’un bilan plus que satisfaisant. Chiffres à l’appui, avec une cinquantaine d’écosystèmes regroupés en 14 secteurs, le PAI a permis la création de 565.483 emplois entre 2014 et 2020 (dépassant l’objectif de 500.000), outre une progression de 53% des exportations industrielles (243 milliards de dirhams en 2019 contre 159 milliards en 2013).

MHE a toutefois raté son objectif visant à augmenter la part de l’industrie dans le PIB de 9 points supplémentaires, pour atteindre 23% en 2020. Cela ne peut naturellement pas passer inaperçu. Le tout récent rapport sur le Nouveau modèle de développement a d’ailleurs pointé une lenteur du processus de transformation structurelle de l’économie nationale, en se référant à la structure du PIB qui n’a pas connu une évolution majeure sur les deux dernières décennies.

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A la tête de quatre départements ministériels, MHE a passé le plus clair de son temps à s’occuper de l’industrie, donnant l’impression d’accorder peu d’intérêt aux autres portefeuilles dont il a la charge (Commerce, Economie verte, Numérique).

Le ministre ne s’en cache pas et reconnaît lui-même, publiquement, avoir relégué le commerce au second rang des priorités de son mandat. Mais comme le dit le dicton, mieux vaut tard que jamais: il a tenté de rattraper son retard en réunissant les Assises du commerce en avril 2019 à Marrakech, après une tournée dans les 12 régions du Royaume. «C’est lui qui a initié les discussions autour de la couverture médicale accompagnant la réforme de la Contribution professionnelle unique (CPU)», affirme ce membre de la coordination des trois syndicats les plus représentatifs des commerçants. Il n’empêche, poursuit-il, il a laissé un goût d’inachevé et plusieurs chantiers en suspens: l’organisation du métier, la réduction de la circulation du cash, la mise à niveau du commerce de proximité, etc.

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Côté «commerce extérieur», MHE a marqué un gros point en poussant la Turquie à réviser l’ALE de 2004, et il est sur le point de réitérer cet exploit avec l’Egypte (Accord d’Agadir), à l’égard de laquelle il a récemment haussé le ton pour mettre en garde contre des mesures protectionnistes imposés aux exportations automobile marocaines.

Enfin, on reproche au ministre d’avoir quelque peu négligé le secteur de l’économie numérique, dans lequel de timides avancées ont toutefois été réalisées, pour la plupart accélérées par le Covid (le Bureau d’ordre digital, le parapheur électronique, la refonte de la plateforme Chikaya). MHE en est parfaitement conscient, et compte bien remplir cette case, avant de passer éventuellement le flambeau. Son entourage évoque d’ailleurs une nouvelle feuille de route, dédiée aux acteurs de l’écosystème digital qui sera dévoilée prochainement…

Par Wadie El Mouden
Le 28/07/2021 à 09h03