Baptisée «pays-bac» par le poète du symbolisme hongrois Endre Ady, la Hongrie, placée au carrefour Est-Ouest, possède, par son histoire comme grâce à sa géographie, une double ouverture à ces deux pôles. Tout comme le Maroc, qui a su patiemment consolider ses ancrages méditerranéen, arabe et africain, et se positionner comme la passerelle entre l’Afrique et l’Europe. Deux États également au carrefour de défis sécuritaires et migratoires, deux nations enfin dont les dirigeants mènent le combat impérieux de la souveraineté et de l’intégrité territoriale.
De points communs en intérêts communs, le développement de l’Afrique et sa sécurité, voici qu’on assiste depuis quelques années à une accélération des relations bilatérales, politiques d’abord, Budapest soutenant le plan d’autonomie au Sahara, qu’il «appuie dans les instances internationales», économiques ensuite, Rabat devenant le premier partenaire commercial africain de la Hongrie, l’un et l’autre servant également de porte d’entrée, le premier sur l’Afrique, et le second vers une Europe Centrale et Orientale longtemps figure de Terra incognita.
Si la Hongrie est une étape classique des échanges universitaires intra-européens -et le financement d’Erasmus l’une des armes de la guerre d’attrition entre Bruxelles et Budapest- moins connu est l’«Erasmus magyar» mis en place par les autorités hongroises en 2013, un système de bourses universitaires appelées Stipendium Hungaricum, ouvertes chaque année à plus de 2.000 étudiants francophones d’Afrique. Au Maroc, ce sont 165 étudiants qui bénéficient à chaque rentrée d’une telle bourse d’études, et on estime qu’environ 800 jeunes Marocains ont déjà profité de cette immersion en Europe centrale entièrement financée par Budapest.
Plus largement, la Hongrie, bien que n’étant pas traditionnellement francophone -membre observateur de l’OIF-, mène une politique active de promotion de la langue française vers l’Afrique (et le Liban), notamment depuis la vieille Université de Szeged (fondée au 16ème siècle) et son Centre universitaire de la francophonie, initié par le très francophile et érudit ambassadeur, ancien ministre, et actuellement eurodéputé, Laszlo Troscanyi. Szeged accueille notamment depuis dix ans la première formation délocalisée de l’Université Senghor d’Alexandrie: le Campus Senghor forme ainsi, en vingt-quatre mois, à la frontière de la Roumanie et de la Serbie, des étudiants hongrois et étrangers aux relations internationales, dont un master en «Développement Europe-Afrique».
Mais au-delà de la coopération bilatérale, quel peut être, pour Rabat, l’atout hongrois dans ses relations institutionnelles avec l’UE? Que pèse la Hongrie dans l’Europe des 27? À Bruxelles, le Premier ministre hongrois n’est-il pas la bête noire de la Commission européenne? À Strasbourg, la délégation Fidesz n’a-t-elle pas disparu des listes de vote en quittant le plus grand groupe de l’hémicycle, le PPE, pour siéger parmi les non-inscrits? Et quid du groupe de Visegrad, qui portait haut les intérêts de l’Europe centrale? Ce V4, auquel le Maroc avait obtenu un accès inédit du temps de sa présidence hongroise, et qui laissait espérer des projets régionaux ambitieux, apparaît très divisé depuis l’invasion de l’Ukraine, Polonais et Tchèques en soutiens zélés de Kiev, tandis que les Hongrois et les Slovaques rechignent à armer Zelensky: survivra-t-il seulement à la guerre? Sans doute le Maroc considère à juste titre le temps long, qui donnera raison à une Réalpolitique de Budapest, servant tant l’intérêt des Européens -«il n’y a pas de solution militaire à l’Ukraine; la seule solution est diplomatique et implique des négociations de cessez-le-feu et de paix»- que celui de ses voisins, selon les mots du ministre des affaires étrangères hongrois rappelés à Tanger cet hiver: «Nous assistons à un débat politique international centré sur les critiques, les jugements, la morale, et les sanctions. En Hongrie nous voulons un débat politique international basé sur le respect mutuel, dénué d’approche coloniale et d’interférence dans les questions souveraines des pays».
Le 1er juillet 2024, et pour six mois, la Hongrie présidera le Conseil de l’Union européenne. L’occasion pour Rabat d’avancer avec Budapest sur un agenda commun Europe/Afrique, qui pourrait bien rythmer les cinq ans de la prochaine mandature.