Le Tunisien Taieb Baccouche est un Maghrébin convaincu. Cet ancien syndicaliste, professeur universitaire en linguistique, plusieurs fois ministre, dont une fois chef de la diplomatie tunisienne (2015-2016), et toujours président honoraire de l’Institut arabe des droits de l’homme, s’apprête à quitter le secrétariat général de l’Union du Maghreb arabe (UMA) qu’il dirige depuis le 5 mai 2016. Il s’en va avec un seul regret, celui d’avoir été empêché par l’Algérie de mener à bien sa mission de faire avancer, ne serait-ce que d’un iota, la construction maghrébine.
C’est ce sentiment qu’il a clairement exprimé lundi 1er mai lors d’un entretien avec la chaine arabophone France24. Dans cette brève sortie médiatique d’environ un quart d’heure, il s’est surtout exprimé sur ses récents démêlés avec la junte algérienne suite à la nomination de la diplomate marocaine, Amina Salman, en tant que représentante permanente de l’UMA auprès de l’Union africaine. Il s’est dit surpris d’avoir appris, à travers la presse, la réaction, qu’il qualifie de «tempête dans un verre d’eau», de la diplomatie algérienne, s’opposant à cette nomination. La seule réaction officielle, précise-t-il, qu’il a reçue est une note venant… d’Addis-Abeba et signée par l’ambassadeur d’Alger auprès de l’Union africaine.
Sur France24, il a à nouveau défendu la légalité de sa démarche, car, selon lui, le «principe de la nomination à ce poste est acquis depuis 2018, quand les cinq États maghrébins y ont donné le feu lors du Sommet de l’UA à Nouakchott, suite à une demande du président de la Commission africaine, Moussa Faki».
Cette nomination, qui a tardé à cause de la pandémie du Covid, devait être aujourd’hui la bienvenue pour tous les pays de l’UMA, car elle met fin à l’absence remarquée de leur représentation en tant que communauté économique auprès de l’UA, alors que les 7 autres communautés économiques régionales du continent y sont représentées depuis longtemps. Il s’agit de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN–SAD) et l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD).
Baccouche a aussi justifié la nomination de la diplomate marocaine par le fait que l’UMA, étant une communauté économique régionale, c’est le Maroc, dépositaire de la gestion des affaires économiques de cette instance, qui est naturellement habilité pour la représenter auprès de l’UA.
Bien que son 2ème mandat de trois ans ait effectivement expiré depuis le mois d’août dernier, comme ne cessent de le lui reprocher les médias algériens, Taieb Baccouche, est toujours, et légalement, Secrétaire général de l’UMA tant que son successeur n’a pas été désigné. C’est ce que lui ont d’ailleurs signifié son pays d’origine, qui a l’exclusivité de ce poste, et le Maroc, où se trouve le siège permanent de l’UMA, lorsqu’il a voulu présenter sa démission à la mi-novembre 2022.
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Cette affaire de mandat ne signifie d’ailleurs absolument rien, puisque le prédécesseur de Baccouche, à savoir son compatriote Habib Ben Yahya, est resté durant trois mandats successifs à la tête de l’UMA (du 1er février 2006 au 5 mai 2016), en plus d’une autre année dans l’attente de la nomination de son successeur, sans que l’Algérie ne remette en cause sa qualité de SG de l’UMA.
L ‘Algérie, rappelle Baccouche, est le dernier pays à pouvoir parler de légalité ou s’opposer à la nomination de la diplomate marocaine, car non seulement Alger a retiré, à partir de 2016, tous ses diplomates accrédités auprès de l’UMA, mais aussi depuis cette date, le régime algérien n’a plus versé le moindre sou dans les caisses de l’organisation maghrébine, laissant sans vergogne au secrétariat de l’UMA le soin de payer les salaires des fonctionnaires algériens. Pire, elle a coupé les ponts avec le SG de l’UMA, et n’a même pas daigné accepter que l’UMA soit invitée au dernier sommet de la Ligue arabe tenu à Alger en novembre dernier, bien que le secrétaire général de la Ligue des États arabes ait adressé une invitation personnelle à son homologue de l’UMA.
Interpellé sur le dossier du Sahara, Baccouche a affirmé que ce n’est pas le vrai problème qui bloque le processus de l’intégration maghrébine, comme certains ont tendance à le croire, mais que c’est l’inexplicable intimité de l’Algérie envers le Maroc qui en est la principale cause, «car l’UMA a été créée en 1989 alors que le conflit du Sahara a éclaté quinze ans plus tôt, en 1975», affirme-t-il.
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Il a regretté que ses multiples tentatives de rapprocher les deux grands voisins maghrébins, en mettant entre parenthèses le conflit du Sahara, aient échoué à cause de la surenchère algérienne qui est allée crescendo pour aboutir à une rupture totale des relations diplomatiques entre les deux pays.
En plus de la dégradation extrême des relations algéro-marocaines, l’Algérie a aussi créé la zizanie entre le Maroc et la Tunisie car, selon Baccouche, l’accueil réservé par Kaïs Saied au chef des séparatistes du Polisario en août dernier est une «manœuvre» dont «l’origine n’est pas à rechercher du côté tunisien», Tunis ayant «toujours affiché une neutralité positive dans le conflit du Sahara».
Malgré tout, Baccouche reste optimiste quant à l’avenir de l’UMA, qui sera bientôt impulsée par de nouvelles générations, c’est-à-dire quand les gérontocrates algériens auront, dans les toutes prochaines années, voire moins, élu domicile dans les cimetières.
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Le même optimisme est également de rigueur quant au dossier du Sahara. Taieb Baccouche a clairement expliqué que le «règlement de ce conflit est possible, du moment que l’ONU s’y attelle et avance lentement mais sûrement dans le bon sens, celui d’une inéluctable solution politique».
Une façon de dire que l’UMA n’a plus rien à voir dans le règlement de ce conflit, qui reste du ressort exclusif de l’ONU, comme en a décidé l’Union africaine depuis maintenant une demi-décennie.
Ce franc-parler du SG de l’UMA lui a évidemment valu des attaques virulentes de la part des médias de la junte algérienne, comme le site Echoroukonline, qui titre: «Baccouche le Tunisien endosse sa toge noire pour défendre le Makhzen», alors qu’Algérie maintenant demande à Kaïs Saied de trouver rapidement un remplaçant à Taieb Baccouche.