Prolongement des échanges épistolaires de l’été, la visite d’État du Président français devait d’abord signifier in situ son soutien, dans les mêmes termes, à la marocanité du Sahara. Scripta manent, mais il était essentiel que la parole de la France s’envole, pour résonner du Mechouar au Parlement marocain: «Le présent et l’avenir du Sahara Occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine».
Ce déplacement devait également mettre en scène la concrétisation des engagements français. Il n’y a pas d’amour sans preuves d’amour: les premières ont été annoncées à Rabat, opérateurs et entreprises françaises pour accompagner le développement du Sahara «à travers des investissements et initiatives durables et solidaires au bénéfice des populations locales», création d’ une Alliance française; déjà la France communique sur le déplacement de son ambassadeur au Sahara dès la semaine prochaine, une première – et à une allure qui montre aussi la volonté des Français de regagner le temps anormalement perdu.
Le Président français est allé crescendo: «Nous agirons en nous engageant diplomatiquement pour convaincre que la solution marocaine est la seule au sein de l’UE et aux Nations unies». Cette promesse, au dernier jour d’un voyage de 72 heures, est lourde de conséquences. Faut-il d’abord rappeler que, depuis le Brexit, la France est le seul État de l’Union européenne membre permanent du Conseil de sécurité. Et considérer qu’effectivement, elle a une «opportunité historique» à agir, dans une Europe qui connaît déjà une dynamique autour de la reconnaissance du Sahara – amenant aux deux-tiers le nombre de pays de l’UE ayant marqué leur intérêt ou engagement en faveur de la solution marocaine – et où Paris compte déjà des alliés de poids autour du plan d’autonomie marocain.
Reste à juger de la capacité de la France à convaincre que, non seulement cette solution est la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du dossier du Sahara, mais en plus, qu’elle est la seule solution; et des moyens déployés pour accompagner le Royaume dans sa pédagogie sur les fondamentaux de la position marocaine, lesquels, pour le roi Mohammed VI, «doivent encore être expliqués au petit nombre de pays qui continuent de prendre à contrepied la logique du droit et de dénier les faits de l’Histoire», mais aussi au grand nombre d’Européens ignorants de l’Histoire du Maroc – à commencer par ceux qui peuplent les institutions européennes.
Vaste ambition pour une diplomatie française amenée à agir dans un environnement européen moins lyrique que les envolées du président Macron. «C’est un devoir stratégique, de construire entre nos deux pays, mais aussi entre l’UE et le Maghreb, et au-delà de l’Afrique, un projet qui offre à nos peuples, à nos économies, la possibilité d’une prospérité, d’une sécurité, d’un horizon absolument nouveau». Certes, mais aucun des partenaires de la France – même le plus amical – n’imagine, en 2024, que «l’Europe, c’est la France en grand».
Si le Maroc peut effectivement s’enorgueillir d’avoir à proposer, à ses voisins africains, des projets riches de perspectives nouvelles, en fait de développement économique, énergies, transports, protection des frontières, en bilatéral – ou collectivement via l’Initiative Atlantique pour le Sahel, c’est en tant que puissance régionale souveraine, dans ses alliances et ses choix politiques.
Souverain, Paris, ne l’est plus tout à fait, car la France a pris des engagements européens qui la dépassent. Aussi, l’Europe n’est pas tant les quelques initiatives sur l’Euro-Méditerranée évoquées par le Président dans son discours au Parlement, énumérées d’ailleurs comme autant d’échecs, l’Union européenne, c’est d’abord un triangle institutionnel et des juges, qui, chacun à leur façon, s’imposent à la volonté des 27 Etats membres, par exemple sur les accords commerciaux avec les pays tiers (telle la France soumise, malgré elle, au Mercosur), mais aussi pour chacun d’eux dans leurs relations bilatérales (comme l’Italie entravée dans ses politiques migratoires). Autant de considérations pavées sur le chemin du partenariat stratégique Maroc-France. À cet égard, il était capital que le président français s’engage aussi fermement, dès octobre, depuis Rabat, sur le lancement de projets économiques et culturels au Sahara. C’est un signe fort donné à ses voisins de l’UE et aux institutions européennes.
C’est donc bien en Europe que se jouent aussi, allegro tempo, les prochains mois du partenariat renforcé entre le Maroc et la France, et c’est à Bruxelles que le «devoir stratégique» affiché solennellement au Parlement marocain va prendre sens: que les engagements moraux formulés à Rabat se déclinent en autant d’initiatives politiques.