Dans son discours à l’occasion de l’ouverture de la première session de la cinquième année législative, le Roi Mohammed VI a insisté sur la nécessité d’une mise en œuvre rigoureuse et efficace des mécanismes de développement durable des zones côtières. Le Souverain a notamment appelé à l’application du loi n°81-12 relative au littoral et à la finalisation du plan national du littoral, des instruments essentiels pour concilier le développement accéléré de ces espaces stratégiques avec la préservation de leur écosystème fragile. Objectif: bâtir une véritable économie bleue marocaine, génératrice de richesses et d’emplois.
Pour le quotidien Al Akhbar, dans son édition de ce mardi 14 octobre, le discours royal sonne comme un rappel à l’ordre. Citant des sources proches du secteur du développement durable, placé sous la tutelle de la ministre Leila Benali, Al Akhbar révèle que plusieurs responsables du ministère auraient subi des pressions de la part de puissants lobbies profitant du désordre qui règne sur les côtes marocaines. Ces groupes d’intérêts chercheraient à retarder la mise en œuvre complète du loi 81-12, qui vise à assurer une protection juridique claire du littoral, régulièrement victime de spoliations et de dégradations, a-t-on pu lire.
Malgré la commande à des bureaux d’études internationaux de marchés publics de plusieurs millions de dirhams portant sur la préparation du plan national et des plans régionaux du littoral, ainsi que sur la révision de la stratégie nationale de développement durable, le ministère n’a toujours pas réussi à adopter les décrets d’application de la loi, votée par le Parlement en 2015 sous l’impulsion de l’ancienne ministre Hakima El Haïti.
Adoptée depuis dix ans, la loi 81-12 sur le littoral établit un cadre clair pour une gestion intégrée de la zone côtière. Elle impose à l’administration l’élaboration d’un plan national définissant les grandes orientations, les objectifs à atteindre, et l’intégration de la protection du littoral dans les politiques sectorielles, sur la base de données scientifiques, socio-économiques et environnementales, rappelle Al Akhbar.
Pourtant, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a récemment tiré la sonnette d’alarme, a-t-on encore pu lire. Dans un rapport intitulé «Quel urbanisme pour un développement durable du littoral?», l’institution déplore les retards chroniques dans l’application du texte et pointe du doigt les failles structurelles affectant la planification urbaine, la gouvernance du littoral et le contrôle de l’aménagement des zones côtières.
Le CESE préconise une vision axée sur deux principes fondamentaux: le respect des droits humains et environnementaux et la préservation du patrimoine naturel et maritime. Il recommande également une gouvernance participative, une réforme en profondeur des politiques d’urbanisme, et une implication active des citoyens dans la gestion du littoral.
Le texte législatif prévoit des sanctions pénales et financières sévères. Ainsi, l’occupation illégale du domaine public maritime, la privatisation des plages ou l’extraction illégale de sable peuvent être punies de deux ans de prison ferme. Les mêmes peines s’appliquent aux responsables qui autorisent la construction de bâtiments en zones interdites, avec démolition obligatoire des édifices concernés.
La loi interdit également toute autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime si celle-ci entraîne la dégradation du site, ainsi que la création de campings, d’aires de stationnement ou de nouvelles zones urbaines dans la bande côtière protégée. Toute exploitation de sable ou de matériaux dans les dunes ou zones marines doit faire l’objet d’une étude d’impact environnemental préalable, écrit Al Akhbar.
Les amendes vont de 20.000 à 500.000 dirhams, voire davantage pour les récidivistes, et les infractions peuvent entraîner la démolition immédiate des constructions illégales. Un rapport du Conseil supérieur des comptes a révélé que nombre de bénéficiaires des autorisations temporaires d’exploitation des plages ne respectaient pas les conditions légales. Certains établissements saisonniers, construits avec des matériaux légers, ont été transformés en villas de luxe ou en commerces permanents, parfois vendus à prix d’or.
Ces abus, tolérés pendant des années, ont favorisé l’émergence de promoteurs immobiliers déguisés, qui transforment le littoral en zones résidentielles privées. Face à cette situation, le rapport souligne que le ministère de l’Équipement demeure incapable d’imposer le respect des cahiers des charges, laissant se détériorer un patrimoine naturel unique.
Le message du Roi Mohammed VI sonne ainsi comme un rappel à l’ordre: le Royaume ne peut prétendre à un développement durable sans une gouvernance ferme et transparente de son littoral. Entre pressions économiques, lenteurs administratives et enjeux environnementaux, l’avenir des côtes marocaines se joue aujourd’hui entre volonté politique et intérêts particuliers.
La mer, richesse commune, ne saurait être confisquée par quelques-uns au détriment des générations futures.








