La France humilie la junte algérienne, après la tentative avortée de l’enlèvement en Tunisie de la journaliste Amira Bouraoui

Amira Bouraoui, l'une des figures les plus connues du Hirak algérien, tenant un masque facial à la main alors qu'elle célèbre sa sortie de la prison de Kolea près de la ville de Tipasa, à 70 kilomètres à l'ouest de la capitale Alger, le 2 juillet 2020.. AFP or licensors

La journaliste franco-algérienne Amira Bouraoui a échappé, in extremis, lundi soir à une extradition vers Alger, d’où elle a fui quelques jours plus tôt vers la Tunisie. C’est son passeport français et l’intervention directe des autorités françaises auprès du président tunisien qui ont permis à Amira Bouraoui d’être placée sous la protection de l’ambassade de France à Tunis, avant de prendre un avion et d’atterrir à Lyon.

Le 07/02/2023 à 13h15

La journaliste Amira Bouraoui était sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire algérien, qui lui a été verbalement signifiée le 12 novembre 2021 à l’aéroport Houari Boumediene par la police locale, au moment où elle s’apprêtait à prendre, ce jour-là, un avion pour la France où réside l’un de ses fils.

Bête noire du régime algérien, cette journaliste à Radio-M, média privé, animait jusqu’à récemment une émission de débat politique intitulée «CPP» (Café politique presse), au cours de laquelle elle a l’habitude de décortiquer, avec ses invités, les dérives répressives des dirigeants de «l’Algérie nouvelle». Radio-M diffuse actuellement ses émissions sur le web depuis l’emprisonnement de son patron et fondateur, le journaliste Ihsane El Kadi, et la mise sous scellés de ses locaux en décembre dernier.

Répression implacable

C’est donc dans ce climat de répression implacable et de musèlement total de la presse et de la liberté d’expression en Algérie qu’Amina Bouraoui a réussi, la semaine dernière, à fuir l’Algérie et entrer en catimini en Tunisie en passant par la frontière terrestre. Mais, vendredi dernier, au moment d’embarquer dans un avion à destination de Paris, avec son passeport français, elle a été placée en garde à vue à l’aéroport de Carthage et accusée d’entrée illégale en Tunisie. Lundi, elle a été présentée devant une juge à Tunis qui l’a libérée et convoquée pour une autre audience programmée le 23 février courant. Mais dès sa sortie de chez la juge, Amira a été kidnappée en pleine rue par des policiers en civil qui l’ont ramenée dans les locaux de la police des frontières, en vue d’accélérer une procédure d’extradition vers l’Algérie.

L’intervention coordonnée de ses avocats tunisien (Maître Hashem Badra) et français (François Zimeray), mais aussi de certaines associations des droits humains, a fait réagir l’ambassade de France à Tunis, qui a placé la journaliste sous sa protection. Selon le journal Le Monde, Amira Bouraoui «a dû à sa nationalité française la protection diplomatique de Paris qui, après l’avoir mise en sécurité quelques heures à l’ambassade de France à Tunis, a obtenu du président tunisien, Kaïs Saïed, l’autorisation de la laisser rejoindre la France au lieu de l’extradition vers Alger à laquelle elle semblait condamnée».

Enlèvement et séquestration

Selon l’avocat François Zimeray, également ancien ambassadeur de France au Danemark, Amira «a fait l’objet d’une tentative d’enlèvement et de séquestration de la part de certaines autorités dépositaires de la force publique en Tunisie, à la demande des autorités algériennes».

Pour sa part, une responsable de l’ONG Human Rights Watch à Tunis a expliqué qu’en aucun cas la journaliste ne pouvait être extradée «vers un pays où elle a été emprisonnée et fait l’objet d’une série de poursuites pour son militantisme pacifique et ses opinions», et où elle risquait un nouvel emprisonnement de deux années ferme.

Ce happy-end pour la journaliste, qui s’est échappée de la plus grande prison du monde qu’est devenue «l’Algérie nouvelle» pour atterrir finalement à Lyon dans la nuit de lundi à mardi, constitue une gifle douloureuse pour le duo Abdelmadjid Tebboune-Said Chengriha. Le régime algérien a en effet raté, à travers cet enlèvement avorté, une nouvelle occasion de terroriser ses nombreux opposants à la face desquels il voulait exhiber Amira Bouraoui comme un trophée.

Cette affaire tombe également au mauvais moment pour un régime algérien de courte mémoire, qui veut transformer sa lune de miel avec la Macronie en épouvantail pour toutes les voix dissonantes avec le narratif officiel. Il est donc certain que ce régime n’osera pas broncher face à cette intervention salutaire de la France, qui l’a humilié en arrachant de ses griffes une journaliste qui allait croupir pendant des années dans les geôles d’Alger.

Hirak

L’ex-pasionaria de «Barakat», ce mouvement algérien qui s’est farouchement opposé en 2014 au 4e mandat d’Abdelaziz Bouteflika, chassé par le Hirak à la veille de briguer un 5e, a été condamnée, en 2020 et 2021 à la prison, pour «offense au président de la République, incitation à violer le confinement en exposant directement la vie d’autrui ou son intégrité physique à un danger pendant la crise sanitaire, offense à l’islam, publication via les réseaux sociaux d’informations pouvant porter atteinte à l’unité nationale et susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public».

Militante invétérée du Hirak, gynécologue de formation, mère de deux enfants (14 et 17 ans), Amira Bouraoui, bien que fille elle-même d’un colonel de l’armée algérienne et nièce d’un officier du tristement célèbre DRS (Département du renseignement et de la sécurité), a failli subir le même sort que l’opposant algérien Slimane Bouhafs. Réfugié politique et légalement établi en Tunisie, où il était enregistré et protégé depuis 2018 par le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), Slimane Bouhafs a été arrêté et livré, menotté, le 25 août 2021 à la police algérienne par son homologue tunisienne. Slimane Bouhafs croupit dans les geôles algériennes, de même que 300 autres détenus d’opinion.

Par Mohammed Ould Boah
Le 07/02/2023 à 13h15