Moncef Marzouki, ancien président tunisien et figure majeure de la transition post-2011, livre un diagnostic sévère mais structuré de la situation politique au Maghreb. Son analyse aborde trois dimensions essentielles: l’évolution du dossier du Sahara marocain, la crise tunisienne et le positionnement régional de l’Algérie. L’ensemble souligne les conséquences directes et indirectes pour le Maroc ainsi que la reconfiguration plus large de l’espace maghrébin.
Sur le dossier du Sahara marocain, Marzouki met en avant une inflexion majeure de la communauté internationale. Selon lui, les acteurs mondiaux, en particulier les États-Unis et l’Europe, souhaitent désormais clore un dossier devenu une source de gêne globale. Il interprète la nouvelle approche onusienne comme la reconnaissance explicite de quatre acteurs impliqués: l’Algérie, le Polisario, le Maroc et la Mauritanie. Cette vision affaiblit la lecture traditionnelle algérienne, qui limitait le conflit à un face-à-face entre le Maroc et le Polisario.
Marzouki inscrit cette évolution dans une perspective favorable à Rabat, qualifiant la résolution récente de victoire diplomatique pour le Maroc. Il insiste toutefois pour éviter une perception de défaite algérienne, car la stabilisation régionale exige selon lui un repositionnement de l’Algérie dans un cadre constructif. Il estime que ce changement permettrait à Alger de se défaire d’un coût politique, économique et diplomatique devenu lourd.
Le discours de Marzouki implique donc une reconnaissance explicite de la nouvelle centralité diplomatique du Maroc dans la région, tout en soulignant le besoin d’une transition stratégique algérienne pour permettre une relance du projet maghrébin. Cette reconfiguration ouvre, selon lui, la possibilité d’un réexamen du fonctionnement de l’Union du Maghreb, aujourd’hui paralysée.
Fin de régime
Concernant la Tunisie, Marzouki décrit une situation de fin de régime. Il compare la période actuelle aux mois précédant la chute de Ben Ali en 2011. Selon lui, Kaïs Saïed a installé un pouvoir personnel, rempli les prisons, marginalisé les élites politiques et provoqué un recul économique majeur. Il insiste sur le fait que la démocratie qui a porté Saïed à la présidence servira également à le déloger. Pour Marzouki, la scène politique tunisienne est marquée par l’exil, l’emprisonnement et l’intimidation, ce qui explique le déplacement progressif de l’opposition vers la rue. Il affirme que cette dynamique annonce la fin prochaine de ce cycle autoritaire.
Lire aussi : Moncef Marzouki plaide pour un rapprochement entre le Maroc et l’Algérie
Cette lecture est essentielle pour le Maroc, car l’instabilité tunisienne perturbe davantage la possibilité d’une coordination régionale et affaiblit un acteur historiquement modérateur. Marzouki, défenseur d’une Tunisie capable de jouer un rôle équilibré, considère que la politique actuelle de Kaïs Saïed a éloigné son pays de cette tradition diplomatique.
Le rôle de l’Algérie constitue un autre axe majeur de ses propos. Marzouki accuse explicitement Alger de soutenir Kaïs Saïed et de le pousser dans une direction nuisible pour l’ensemble de la région. Cette critique s’inscrit dans une conception plus large selon laquelle l’Algérie maintient une logique d’influence qui entrave le fonctionnement du Maghreb. Il affirme qu’une telle posture nuit même à l’Algérie, tant sur le plan international que sur le plan interne. Pour lui, la fermeture prochaine de la parenthèse Saïed ouvrirait également la possibilité d’un rééquilibrage diplomatique, susceptible de ramener la Tunisie vers son rôle traditionnel de médiateur.
À travers ce triple développement, Marzouki propose une lecture convergente des enjeux maghrébins: l’évolution du dossier du Sahara marocain redéfinit les équilibres régionaux, la crise tunisienne fragilise un pilier de l’espace maghrébin et le rôle de l’Algérie apparaît comme un facteur de blocage persistant. Il en résulte une vision dans laquelle le Maroc se trouve conforté dans sa position internationale, tandis que la région, pour se stabiliser, devra repenser ses logiques politiques internes et ses dynamiques régionales.







