CNSS, notaires… L’art de cacher la poussière sous le tapis

Rachid Achachi.

Rachid Achachi. LE360

ChroniqueAlors que le groupe de hackers Jabaroot continue de divulguer des données sensibles liées à la CNSS, aux notaires et à d’autres institutions, l’absence de réaction gouvernementale interroge. Bien de zones d’ombre se cachent derrière cette affaire, avec les risques qu’elle soulève pour la stabilité sociale et le silence troublant des autorités.

Le 05/06/2025 à 11h00

À peine un mois et demi après la cyberattaque menée contre la CNSS, le groupe de hackers dénommé Jabaroot récidive en dévoilant des contrats de vente, des titres de propriété et des données personnelles (CIN, passeports...) de hauts responsables mais aussi de citoyens lambda, qui circulent librement sur la toile, sans que le gouvernement ne juge nécessaire de réagir en communiquant ouvertement avec les citoyens. Comme si les citoyens n’avaient aucunement besoin d’être rassurés quant au fait qu’une partie de leur vie privée soit ouvertement dévoilée aux yeux et au su de tous.

Mais beaucoup de questions demeurent en suspens, ou du moins, sans réponses claires et convaincantes. Premièrement, l’identité de «Jabaroot». Car bien que se revendiquant comme un groupe de hackers patriotiques algériens, d’autres possibilités ne sont pas à exclure. Il pourrait s’agir de hackers d’une autre nationalité à qui les services de renseignement algériens auraient sous-traité le travail. Comme il pourrait s’agir aussi d’une opération sous faux drapeau, où un service de renseignement étranger utiliserait l’Algérie comme paravent pour mener impunément ses opérations. Enfin, il ne faut pas exclure la possibilité qu’il s’agisse d’un inside job. Dans ce cas, il pourrait s’agir d’un groupe marocain hostile à l’État, qui chercherait à régler ses comptes en s’attaquant à nos institutions et en cherchant à nuire à la stabilité du pays. Aucune piste ne doit être exclue du point de vue sécuritaire.

Deuxièmement, le caractère socio-politique de ces révélations, qui jusqu’à présent n’a pas été pris au sérieux ni abordé par nos institutions et notre gouvernement. Certes, les écarts de richesse et de revenus au Maroc sont un secret de Polichinelle. Mais la possibilité de les quantifier et mettre des noms sur des fortunes est de nature à alimenter la tension socio-économique qui habite une bonne partie de la population marocaine, dans un contexte d’inflation et de paupérisation. Et là, la communication ne suffira pas. Ce que les gens attendent, ce sont des enquêtes et des investigations concernant certains dossiers révélés. Autrement dit, ils attendent que la justice apporte la preuve concrète qu’elle n’est pas dans le «deux poids, deux mesures», et que nous sommes tous réellement égaux devant la loi.

Mais la loi autorise-t-elle de sévir contre des délits comme ceux révélés par ces fuites? Malheureusement, pas tout à fait. Certes, la corruption, le blanchiment d’argent et les détournements de fonds sont punis par la loi marocaine. Mais, sur un volet plus global, Abdellatif Ouahbi, l’actuel ministre de la Justice, a eu la malheureuse et douteuse idée de retirer définitivement deux projets de loi pourtant cruciaux pour lutter efficacement contre la corruption institutionnelle au Maroc. Il s’agit du projet de loi contre l’enrichissement illicite, et de celui concernant les conflits d’intérêts. La logique est simple: pas de lois, pas de criminels!

Enfin, il nous reste à déterminer la pertinence et l’authenticité des données révélées. Sont-elles vraies? Partiellement fausses? Ou intégralement mensongères? Face au silence assourdissant des personnes concernées par ces scandales, il me paraît tout à fait légitime que des citoyens puissent y croire, faute de démentis ou de preuves d’innocence, a fortiori quand il s’agit de hauts responsables politiques.

Ainsi, qu’il s’agisse du gouvernement, des institutions ou des personnes ciblées, la stratégie de communication demeure fidèle au célèbre adage arabe: Combien de choses avons-nous accomplies en les laissant de côté. Mais jusqu’à quand? Sachant que les nouvelles générations de jeunes Marocaines et Marocains ont soif de transparence, d’équité et de justice?

Maintenant, que faire? Rester dans le déni en adoptant la stratégie de l’autruche en attendant que la vague passe, sans se préparer à la prochaine? Ou bien tirer les conséquences de ce qui s’est passé, et adopter un autre adage: Ce qui ne me tue pas me rend plus fort?

La balle est dans le camp des décideurs. Car ôter tous les moyens à nos ennemis, à l’intérieur du Maroc comme à l’extérieur, ne peut se limiter à une démarche sécuritaire ou cyber-sécuritaire. Ce qu’il faut avant tout, c’est soigner le malade en luttant activement et impitoyablement contre la corruption dans nos institutions, contre les inégalités socio-économiques explosives, et en renforçant la transparence politique au profit des citoyens. J’imagine que les Danois ou les Suédois ne sont pas particulièrement inquiétés par la possibilité d’un piratage des données des revenus de leurs citoyens et de leur patrimoine. Car quand vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre!

Par Rachid Achachi
Le 05/06/2025 à 11h00