PJD: congrès national ou internationale islamiste?

Rachid Achachi.

ChroniqueQue des étrangers viennent ici, avec des agendas qataris ou turcs, nous donner des leçons sur qui doit diriger notre pays et qui est musulman et qui ne l’est pas, est tout simplement inacceptable.

Le 01/05/2025 à 11h00

Beaucoup d’encre a coulé sur la récente réélection de Abdelilah Benkirane à la tête du Parti de la justice et du développement (PJD), lors de son congrès national tenu à Bouznika le week-end dernier. Si cette victoire n’est certes pas une surprise, des surprises, on en a eu quand même lors de ce congrès dit «national», mais qui avait toutes les apparences d’une «internationale islamiste».

Commençons par le plus grave, à savoir la pitoyable et dangereuse intervention de Doğan Bekin, qui n’est autre que le vice-président du Nouveau parti de la prospérité (Yeniden Refah Partisi). Qualifié par certains de formation d’extrême droite d’obédience islamiste, il a été créé après la dissolution du Parti de la prospérité par la Cour constitutionnelle turque en 1998.

Juger ce parti ne m’incombe pas. Je ne suis pas turc et je m’interdis par conséquent toute forme d’ingérence dans les affaires de ce pays que je respecte. Cependant, Doğan Bekin n’a pas, semble-t-il, fait preuve du même tact ni de la même retenue. Loin de là. Il est allé jusqu’à partager avec nous ses rêves pour le monde islamique et, surtout, ses désirs et sa lecture prospective pour le Maroc. Il nous annonce donc sans sourciller, et dans un arabe pour le moins approximatif, que les pouvoirs dans le monde qui soutiennent ou sont soutenus par l’Occident sont temporaires, et qu’ils vont finir par chuter au profit de pouvoirs musulmans. Quant au Maroc, il affirme avec une certitude militante que le PJD reprendra le pouvoir, car il est, nous dit-il, le vrai représentant du peuple.

Ces propos ne peuvent être qualifiés que de deux manières: ingérence étrangère flagrante et délire idéologique. Car, loin de se contenter de distribuer les bons points en qualifiant quels pouvoirs sont musulmans et lesquels ne le sont pas, Doğan Bekin se permet en plus de nous donner de leçons sur nos choix politiques en nous désignant qui est notre vrai représentant politique et, surtout, qui va gagner lors des prochaines élections, et ce, avant même que l’expression de la volonté populaire à travers le vote n’ait lieu.

Imaginez un instant si un politicien marocain, invité pour assister au congrès d’un parti turc à Ankara, s’était permis de tenir des propos similaires, en disant que «le pouvoir et la laïcité turcs soutenus par l’Occident va chuter, et vous, cher parti X, vous être le vrai représentant du peuple turc, et vous allez gagner». Je pense ne pas exagérer en disant que, dans ce cas, ce politicien marocain aura très peu de chances de prendre son vol retour pour Casa, et à juste titre.

Mais chez nous, ça va. Ça passe comme une lettre à la poste. Pas de convocation, pas de condamnation de la part du ministère des Affaires étrangères et pas de couverture médiatique massive de cette ingérence inacceptable.

Certes, Doğan Bekin s’est par la suite exprimé en affirmant qu’il avait été mal compris, et que par pouvoir, il entendait le gouvernement et non pas la monarchie marocaine pour qui il a beaucoup de respect. Soit. Je veux bien le croire. Mais cela lui donne-t-il le droit de nous dire quel gouvernement, nous Marocains, devons choisir? Pour qui voter? Et surtout, qui est le pouvoir musulman et qui ne l’est pas? Une ingérence est une ingérence, et elle demeure inacceptable, peu importe le niveau politique concerné par cette dernière.

Sinon, on attend toujours une réaction de notre ministère des Affaires étrangères… Mais mis à part le silence assourdissant de notre ministère, le plus à déplorer est que les propos de Bekin ont été chaleureusement applaudis par les personnes présentes, y compris par des représentants d’autres partis marocains, dont aucun n’a daigné protester ou quitter la salle en signe d’indignation.

«De quel droit un cheikh, qui plus est étranger, dont le domaine de compétence se limite à la théologie, s’autorise-t-il à juger un choix stratégique du Maroc?»

Sur un autre registre, l’invitation et la prise de parole, durant ce congrès, du Cheikh Mohamed Hassan Ben Dadou qui, bien que mauritanien, réside depuis des années au Qatar (quelle surprise!), avaient aussi de quoi choquer.

Car bien que se revendiquant d’un islam modéré, ce dernier n’a pas hésité par le passé à justifier l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo. Il s’est même permis d’inviter à en commettre d’autres contre ce même journal dans un message audio toujours consultable sur la Toile. Certes, certaines des publications de ce média ont de quoi donner la nausée. Mais il y a dans la critique que l’on peut faire une ligne rouge à ne pas franchir, celle du meurtre ou de l’appel au meurtre.

Sur un plan plus national, ce cheikh s’est autorisé à porter un jugement sur notre politique extérieure, en qualifiant la signature des Accords d’Abraham de trahison, et le signataire, en l’occurrence Saad Dine El Otmani, de traître à la Oumma du point de vue, selon lui, de la jurisprudence musulmane.

Ce cheikh, qui en même temps représente un instrument de Soft Power qatari, au même titre que son défunt mentor Al Qaradawi, n’est ni un expert en géopolitique, ni un spécialiste du droit et des relations internationales. Car dès lors qu’un non-théologien s’autorise à formuler une opinion ou une analyse sur un sujet religieux, ces cheikhs n’hésitent pas à lui sauter à la gorge en lui reprochant de ne point avoir de légitimité, car n’ayant pas étudié la théologie. Cette règle ne s’applique-t-elle que dans un sens?

Ainsi, de quel droit un cheikh, qui plus est étranger, dont le domaine de compétence se limite à la théologie, s’autorise-t-il à juger un choix stratégique du Maroc sans connaître ni sa réalité, ni sa vision, ni ses contraintes, ni ses objectifs?

Que pense-t-il de la présence au Qatar d’une des plus grandes bases militaires américaines dans la région? Sur la terre de ses sponsors? Comme dit l’adage, on ne mord pas la main qui nous nourrit…

Mais le plus étonnant n’est pas là. Ce qui est le plus choquant, c’est qu’après avoir tenu de tels propos, ce cheikh puisse tranquillement entrer sur le territoire marocain, participer au congrès politique d’un parti marocain et repartir comme si de rien n’était.

Certes, entre nous Marocains, nous avons le droit et surtout la légitimité de critiquer notre gouvernement ou État. Je dirais même que c’est le devoir de tout patriote de le faire quand la situation l’exige, d’autant plus que nous aurons à assumer les conséquences de nos actions et de nos critiques, pour le meilleur comme pour le pire. Mais que des étrangers viennent ici, avec des agendas qataris ou turcs, nous donner des leçons sur qui doit diriger notre pays et qui est musulman et qui ne l’est pas, cela est tout simplement inacceptable.

Et en attendant que notre diplomatie sorte de sa torpeur, c’est avant tout au PJD qu’il faut réclamer des comptes. Car après ce congrès, le signal envoyé est que l’agenda supranational de la mouvance idéologique avec laquelle fricote sa direction semble a priori passer bien avant les intérêts du Maroc et sa souveraineté. Et cela ne saurait être toléré.

Par Rachid Achachi
Le 01/05/2025 à 11h00