Il est des signes, et autres symboles, qui ne trompent pas. Le 25 février dernier, Abdelmadjid Tebboune inaugurait, pour la deuxième fois, la Grande mosquée d’Alger, achevée… en avril 2019 et inaugurée une première fois en 2020. Symbole de l’ère d’un certain Abdelaziz Bouteflika, au même titre que tous les projets que lance l’actuel président algérien, la mosquée sera la plus grande d’Afrique et la troisième plus grande du monde, avec le plus haut minaret de la planète. Surtout, et c’est le but ultime, l’édifice damera le pion à une certaine mosquée Hassan II, inaugurée en 1993 avec les mêmes attributs que lui dispute aujourd’hui «Djamaâ El Djazaïr», ironise Anthony Bellanger, chroniqueur, conférencier et spécialiste des relations internationales sur France Inter.
Pour lui, le projet est la parfaite illustration de l’histoire récente de l’Algérie, avec ses proportions gargantuesques, son coût astronomique –pour un pays dont le PIB est la moitié de celui du Portugal pour une population 4 fois plus importante– et son architecture massive et délirante. Mais il y a aussi ses dérives et son incurie: l’édifice aura coûté 2 milliards d’euros, deux fois plus que son budget initial, et enregistré plus de 5 ans de retard. Le tout émaillé de polémiques et de promesses non tenues. Si le régime y a tenu coûte que coûte, c’est pour une raison elle aussi très algérienne: «Jusqu’à l’achèvement du minaret de la Grande mosquée d’Alger et ses 265 m, le minaret le plus haut du monde était celui –je vous le donne en mille– de la mosquée Hassan II de Casablanca et ses 210 m. Mais ça ne s’arrête pas là. La capacité de la mosquée Hassan II est de 100.000 fidèles. Avec ses 120.000 fidèles, celle d’Alger la bat encore. Et ce n’est pas du tout un hasard», explique Anthony Bellanger.
La «politique par réaction» ne s’arrête pas là et il en va ainsi de tous les projets algériens du duo Chengriha-Tebboune. Toutes les grandes annonces récemment faites par le régime ne servent qu’un seul et unique dessein: nuire au Maroc. Le Royaume qui prend ses initiatives, agit et, bien souvent, surprend tant par son audace que par sa capacité à en faire des projets nouveaux, innovants et viables. L’Algérie, elle, calque le modèle, se l’approprie bien évidemment, et nous sort, non sans précipitation, des idées irréalistes et irréalisables.
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Les récentes trouvailles d’une Union du Maghreb sans le Maroc et de la route commerciale Tindouf-Zouerate, qu’entretiennent actuellement les autorités algériennes, sont des plus édifiantes. On l’aura compris, le premier projet se veut un moyen de faire éclater l’initiative royale d’Afrique atlantique. Le second, lui, veut concurrencer la route à El Guerguerate.
Ainsi, quand le roi du Maroc lance l’initiative du Maroc atlantique et quand le Royaume ouvre son espace maritime aux pays du Sahel, l’Algérie, elle, gesticule en appelant de ses vœux à la (re)création d’un espace maghrébin sans le Maroc. Ainsi, le 2 mars, en marge du 7ème sommet du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF), organisé à Alger, Abdelmadjid Tebboune avait convié ses homologues tunisien et libyen à une rencontre tripartite pour lancer la création d’un groupement régional qui supplanterait l’Union du Maghreb arabe (UMA), à laquelle l’Algérie ne contribue plus financièrement depuis 2016. Le président mauritanien, présent à Alger, a refusé de participer à cette mascarade et quitté les lieux pour rentrer chez lui. Pour Nouakchott, il n’est pas question de créer une nouvelle entité régionale sans le Maroc. Quant à la Libye, elle a réagi illico, via son ministre des Affaires étrangères, en rappelant la nécessité de relancer l’UMA.
Moralité: au projet atlantique marocain, Alger réagit par l’annonce d’un projet similaire. Cela donne le bloc boiteux et mort-né d’un improbable groupement qui veut remplacer l’UMA. «C’est un projet voué aussi à l’échec au vu de plusieurs données objectives. On ne peut pas créer un groupement en Afrique du Nord sans tous les pays de cette région. Le régime algérien tente seulement une fuite en avant parce qu’il vit un terrible isolement au niveau régional», explique Hassan Abdelkhalek, ancien ambassadeur du Maroc en Algérie, rappelant que le régime d’Alger est en crise ouverte avec la majorité des pays de son voisinage, dont deux États du Sahel, à savoir le Mali et le Niger.
En croyant que des décisions aussi importantes se prennent en un claquement de doigts, Alger oublie que la vision atlantique du Royaume, notamment, existe depuis des années, avec un processus enclenché depuis très longtemps. Cette vision est en cohérence avec la réalité atlantique du Maroc et les infrastructures dans ce littoral, dont le port de Dakhla Atlantique. Le Maroc est un pays atlantique, et les Marocains ainsi que les politiques publiques intègrent très bien cette réalité. Il s’agit donc d’un prolongement régional et international naturel et aucunement d’une bulle ou un effet d’annonce. «Ce qui rend le projet crédible, c’est qu’il est enraciné dans une construction nationale et répond à une approche pragmatique, en marche depuis des années et non pas improvisée. C’est, au contraire, le fruit de longues décennies de développement et d’investissements dans les provinces du Sud», indique le politologue Mustapha Sehimi.
Les arguments ne manquent pas. Le Maroc a un littoral atlantique de 3.000 km, dont 1.000 km sur sa côte saharienne; sa zone économique est de l’ordre d’un million de km2, soit plus que sa superficie territoriale de 750.000 km2. Il est aussi, avec l’Espagne et le Royaume-Uni, gardien du détroit de Gibraltar, qui enregistre annuellement le passage de plus de 100.000 navires. Il a quatre frontières maritimes atlantiques avec la Mauritanie, l’Espagne, le Portugal et Cabo Verde. Une conscience géo-maritime est à l’ordre du jour, et elle ne peut qu’aider à réaliser des avancées dans cet espace maritime de l’Atlantique Sud.
Ce littoral-là est bien placé désormais pour s’insérer dans la mise à niveau de cette façade qui compte pas moins de 23 pays. Et le Maroc y travaille en réunissant les conditions d’une économie maritime adossée à des infrastructures, des programmes et des chantiers logistiques et de transport, ainsi qu’à une flotte maritime conséquente. «Le Maroc ne part pas de rien mais dispose d’acquis et d’une expérience qui peuvent être d’une grande utilité, notamment dans les secteurs suivants: les ressources naturelles offshore, la pêche, le dessalement de l’eau de mer, l’économie bleue, les énergies renouvelables et le tourisme atlantique», explique Mustapha Sehimi dans une chronique Le360. Ce sera là une mise en exergue d’une priorisation de la vocation maritime du Royaume, après avoir réalisé le grand projet du port Tanger Med.
Penser qu’en créant une version hachée de l’UMA, l’Algérie sera de taille à concurrencer un projet engageant l’avenir de toute l’Afrique de l’Ouest et ses relations avec le monde, voilà qui relève de la chimère. Mais cela a au moins le mérite de nous apporter une illustration magistrale de la politique en Algérie qui est conduite sur la base de réactions à des actions menées par autrui.
Autre illustration de la politique algérienne qui a pour fin de contrer des projets menés par le Maroc, une route aussi dangereuse qu’irréalisable, nommons Zouerate-Tindouf, en vue de supplanter celle d’El Guerguerate.
On s’en souvient, le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a passé, le 22 février dernier, quelques heures à Tindouf. Une brève visite intervenue suite à un pressing forcené, exercé ces derniers jours par les autorités algériennes. Au menu, le lancement, là encore pour la deuxième fois, de la construction de la route Tindouf-Zouerate et l’inauguration du passage frontalier mauritano-algérien, où une zone franche est prévue.
Or, la construction de la route Tindouf-Zouerate, promise depuis 1972, et la zone franche sont des projets qui seront immédiatement rangés dans les tiroirs, comme d’habitude, car irréalisables. Ils ne sont en réalité que des miroirs aux alouettes derrière lesquels le régime algérien ne sait même pas ce qu’il veut exactement, à part se donner l’occasion d’afficher son hostilité à l’égard du Maroc.
Une route goudronnée allant de Tindouf à Zouerate, sur une distance de 840 km à travers des montagnes de sable mouvant et un désert inhabité, nécessite quand même des financements colossaux, un entretien continu et d’importantes forces de sécurité qui y veillent en permanence, pour des résultats économiques très aléatoires. Quant à la zone franche algéro-mauritanienne, il est légitime de se demander ce que pourront vraiment échanger deux pays qui ne produisent rien, à part l’extraction et l’exportation de matières premières à l’état brut.
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El Guerguerate, elle, est une réalité. C’est entre 2.500 et 3.000 camions qui la traversent chaque jour. «En Algérie, c’est une caravane, protégée, escortée, subventionnée, et ça donne entre 40 et 50 camions par mois qui empruntent des chemins escarpés et des pistes. Comment peut-on comparer 3.000 camions par jour et 50 par mois? Comment peut-on comparer une route de 400 km et une autre de 840 km encore à venir, qui plus est?», s’étonne cette source informée.
Et le passage d’El Guerguerate n’est pas seulement emprunté par les camionneurs marocains. Les transporteurs européens ont une route parfaite depuis Tanger jusqu’à la Mauritanie. «Est-ce que les routiers européens vont substituer à une voie naturelle une route artificielle, que la nature rend impraticable et qui est décrétée à des fins politiques?», s’interroge notre interlocuteur. Ceci, à supposer que ces transporteurs puissent atteindre Tindouf depuis Oran et Alger, puisque la route séparant la capitale du chef-lieu du Polisario (1.800 kilomètres et quelque 20 heures de route) est tout sauf sûre et que, passée la bande méditerranéenne, l’Algérie est pour une grande partie une zone de non-droit. Est-ce que le routier français va débarquer à Alger, traverser toute l’Algérie jusqu’à Tindouf et emprunter une route plantée dans un environnement hostile et longue de plus 800 km? Sachant que de nombreux pays européens ont donné des consignes strictes à leurs citoyens, les mettant en garde contre tout passage par Tindouf, déclarée comme une zone à risque, le doute est permis. Une politique étrangère ne peut pas se construire d’une manière crédible sur la base de réactions par rapport à celle d’un voisin ou un rival. Ces réactions épidermiques sont au mieux des actes stériles et au pire les indicateurs d’un pays piloté par un équipage qui regarde ailleurs.