«Les commentaires publics qui attisent la discrimination, les agressions et les violences racistes sont complètement inacceptables», a jugé le président de l’institution, David Malpass, dans un courrier adressé dimanche soir à ses équipes et que l’AFP a pu consulter lundi.
Face à la dégradation et aux agressions rapportées, M. Malpass estime que la Banque mondiale n’est pas en mesure de poursuivre ses missions sur place, «la sécurité et l’inclusion des migrants et des minorités (faisant) partie des valeurs centrales d’inclusion, de respect et d’antiracisme» de la Banque.
«Compte tenu de la situation, la direction a pris la décision de mettre en pause» cet accord de partenariat «et de retirer du calendrier la revue du conseil d’administration» (CA) de la Banque mondiale, prévue initialement le 21 mars et «reportée jusqu’à nouvel ordre». Cette décision concerne le cadre de partenariat pays (CPF en anglais), qui sert de base de suivi par le CA de la Banque mondiale afin d’évaluer et accompagner le pays dans ses programmes d’aide.
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Concrètement, l’institution, qui ne peut pas lancer de nouveaux programmes de soutien avec le pays tant que le CA ne s’est pas réuni, a décidé de suspendre la tenue de cette réunion sur la Tunisie «jusqu’à nouvel ordre», selon le courrier de M. Malpass. «Les projets financés restent financés et les projets en cours sont maintenus», précise cependant à l’AFP une source proche de la Banque mondiale.
«Préoccupations profondes»
La Banque mondiale prévient par ailleurs d’un possible ralentissement de ses actions sur place à cause de la mise en oeuvre de mesures de sécurité, en particulier concernant ses employés originaires d’Afrique subsaharienne et leurs familles. «La Tunisie a une longue tradition d’ouverture et de tolérance qui est encouragée par tant de personnes dans le pays», a insisté David Malpass dans son courrier.
Si les mesures prises récemment par le gouvernement tunisien «afin de protéger et soutenir les migrants et réfugiés dans cette situation très difficile» vont dans «le bon sens», la Banque mondiale assure qu’elle «évaluera et surveillera attentivement leur impact».
A l’occasion d’un point presse lundi, le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price, a fait part des «préoccupations profondes» des Etats-Unis «concernant les commentaires du président Saïed». Il a appelé le gouvernement tunisien à «respecter ses obligations au regard du droit international en protégeant les droits de réfugiés, demandeurs d’asile et migrants».
Le secrétariat général des Nations unies a de son côté condamné «sans réserve tout commentaire xénophobe et raciste ayant pour but de nourrir la haine raciale», a insisté, également lundi, son porte-parole Stéphane Dujarric.
Des propos vivement critiqués
Le 21 février, le président tunisien Kais Saïed avait estimé dans un discours que «des mesures urgentes» étaient nécessaires «contre l’immigration clandestine de ressortissants de l’Afrique subsaharienne», parlant notamment de «hordes de migrants clandestins» dont la venue relevait d’une «entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie». Ces propos ont été vivement critiqués par des ONG et des militants des droits humains.
Ils ont également semé un vent de panique parmi les migrants subsahariens en Tunisie, qui font depuis état d’une recrudescence des agressions les visant et se sont précipités par dizaines vers leurs ambassades pour être rapatriés.
Selon des chiffres officiels cités par l’ONG Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, la Tunisie, qui compte quelque 12 millions d’habitants, abrite plus de 21.000 ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, en majeure partie en situation irrégulière.