Vassilis Koutsiouris, ministre-conseiller commercial de la Délégation de l’Union européenne en Algérie, est un diplomate qui n’a pas la langue dans sa poche. Excédé par les pratiques mafieuses du régime algérien à l’encontre des opérateurs économiques locaux et étrangers, il a adressé la semaine dernière une note écrite à toutes les entreprises européennes opérant en Algérie, en vue de faire front contre les procédures imposées aux importateurs.
Arbitraire, menaces, opacité… sont entre autres les accusations proférées contre une institution gouvernementale algérienne comprenant cinq ministres, et non des moindres, des hauts fonctionnaires de la présidence algérienne, ainsi que de hauts gradés de la douane.
«Vous êtes déjà au courant des procédures entamées depuis peu contre des entreprises importatrices accusées de surfacturations sur la période 2009-2019. Ces procédures concernent tous les importateurs aussi bien algériens que de pays tiers opérant en Algérie. Elles se déroulent de manière arbitraire et sous la menace via une commission composée par les ministres des Finances, Commerce, Industrie, Agriculture et Justice en personne, et des représentants de la présidence et des douanes. Elles manquent de base juridique claire et ne respectent pas les droits des opérateurs, établis et protégés par les lois en vigueur», lit-on dans cette note.
Lire aussi : Algérie: le patronat dresse un tableau noir de la situation économique dans le pays
La Délégation de l’UE a d’ailleurs réuni, lundi dernier au niveau de son siège algérois, plusieurs opérateurs européens auxquels il a été demandé de ne plus payer la moindre somme exigée dans le cadre d’un prétendu redressement fiscal, ni de signer un quelconque document ou procès-verbal relatif à une reconnaissance de surfacturations. Il leur a même été conseillé de s’adresser immédiatement à leur ambassade à Alger au cas où ils seraient confrontés à des tracasseries de la part du comité ministériel algérien chargé du racket, déguisé en redressements fiscaux.
Vassilis Koutsiouris justifie ces mesures par la confirmation «que des dizaines d’entreprises (en majorité européennes) ont été convoquées et accusées de surfacturation. À la fin d’une ou plusieurs audiences, ces entreprises ont été fortement incitées à payer une amende déterminée d’une manière non transparente et arbitraire pour éviter des poursuites judiciaires».
Ainsi, la délégation de l’UE a également instruit toutes les ambassades européennes à Alger en vue de s’activer auprès des autorités locales à chaque fois que l’un de leurs ressortissants a maille à partir avec des accusations de surfacturation présumée.
Les diplomates européens ne sont d’ailleurs pas les seuls à être montés au créneau contre les pratiques mafieuses du régime algérien. L’ambassadrice américaine à Alger, Elizabeth Moore Aubin, dont le département vient de publier un rapport sur les défis de la corruption en Algérie, a été reçue le 13 septembre courant par le président algérien, auquel elle a fait part de ses préoccupations quant au climat des affaires délétère qui règne en Algérie, comme elle l’a déjà fait en avril dernier en dénonçant la répression des libertés d’expression en Algérie. Ce climat des affaires et ce manque de libertés est jugé peu propice aux investissements américains en Algérie par la diplomate.
Selon certaines sources, c’est d’ailleurs Elizabeth Moore Aubin qui se serait plainte du racket du comité ministériel, dit de «suivi», chargé des redressements fiscaux des entreprises ciblées par le régime, et qui aurait demandé à Abdelmadjid Tebboune de geler les activités de cette instance.
Pour s’exécuter immédiatement tout en sauvant la face, le président algérien a donné à l’ambassadrice américaine la primeur d’annoncer aux médias locaux son voyage à New York pour assister à la 78ème Assemblée générale de l’ONU, et ce en vue de détourner l’attention quant au véritable objet de leur rencontre à la Mouradia.
Lire aussi : «Le mal algérien», un livre explosif qui raconte l’immersion de deux experts français au «pays du monde à l’envers»
Quelques heures seulement après cette rencontre, Tebboune a convoqué le président et certains membres du Conseil du renouveau économique algérien (CREA), pour saisir l’occasion d’annoncer le gel les activités du très contesté «comité ministériel», en tant que doléance, parmi d’autres, prétendument présentées par cette confédération patronale récemment créée par Tebboune lui-même.
Pourtant, c’est la très ancienne Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), créée il y a 44 ans, qui, par la voix de sa présidente Saïda Neghza, avait ouvert le débat sur le racket des importateurs algériens et étrangers par la junte locale.
Lire aussi : La faillite économique algérienne
Dans une lettre ouverte adressée à Tebboune, le 5 septembre courant, la présidente de la CGEA a dénoncé «les persécutions et pressions diverses des différents représentants de l’État» exercées sur les entrepreneurs, persécutions qu’elle estime être derrière le «marasme économique» ambiant et la hausse vertigineuse des prix des denrées de première nécessité. Les relais des généraux, protagonistes de la décennie noire, ont amplifié la lettre de Saïda Neghza d’une façon qui laisse peu de doute sur la partie commanditaire de la missive incendiaire de cette femme d’affaires.
Le clan présidentiel a réagi avec violence à la lettre de Saïda Neghza, en activant l’agence officielle de presse (APS) qui a fustigé les critiques de la patronne des patrons algériens, avant que les interventions de l’ambassadrice américaine et la délégation de l’UE à Alger ne lui donnent raison, et humilient le régime algérien en l’acculant à mettre fin (sans doute momentanément) à son racket à l’encontre des importateurs algériens et étrangers.
Et dire qu’il y a des personnes qui s’étonnent encore quand on dit que l’Algérie repose sur un système mafieux.