«L’Histoire a créé des droits au profit des Algériens reconnus par l’accord du 27 décembre 1968. […] Le visa est dans ce contexte le prix à payer par la France pour la colonisation de l’Algérie cent trente-deux années durant.» Ces propos sont de l’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika et ils ont été adressés à Xavier Driencourt, alors ambassadeur de France en Algérie. A eux seuls, ils en disent long sur le statut de privilégié de l’Algérie s’agissant de la politique française en matière d’immigration, à un moment où le débat fait rage dans ce pays sur la question. Son successeur, Abdelmadjid Tebboune, est allé plus loin dans un entretien au Figaro en décembre dernier: «Les Algériens devraient avoir des visas d’une durée de 132 ans.»
Chargé d’une étude sur le sujet par le think tank libéral Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), l’ancien ambassadeur de France en Algérie, d’abord de 2008 à 2012, puis de 2017 à 2020, soit sous les présidents Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, a jeté un pavé dans la mare. Ceci, en levant le voile sur un pan méconnu de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 «relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles», et dont le magazine français Le Point rend compte dans son édition de cette semaine. Cette «note» montre à bien des égards comment, tout en affichant une posture ferme à l’égard de la France, notamment concernant le passé colonial, l’Algérie des caporaux continue de profiter, et goûlument, des largesses un temps accordées par Paris au nom d’une forme de repentance, mais aussi de ses besoins passés en main-d’œuvre abordable.
«Près de soixante ans plus tard, il demeure, exonérant les Algériens, de loin première communauté étrangère en France (900.000 personnes), de toutes les réformes sur l’immigration successives, comme du respect des dispositions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda)», lit-on.
Un statut particulier, «surtout par rapport au Maroc»
Lire le rapport de Xavier Driencourt, c’est se rendre compte de l’étendue de cette «anomalie», dont la finalité était d’accorder «un statut particulier à l’Algérie, surtout par rapport au Maroc». Dans les détails, on apprend notamment qu’un visa de long séjour n’est pas nécessaire pour le conjoint. Le visa touristique, de court séjour, suffit, contrairement à ce qui est imposé aux autres nationalités. Le conjoint algérien peut obtenir un certificat de résidence de dix ans valant titre de séjour après un an de mariage seulement contre trois ans de vie commune pour les autres nationalités. «Et ceci sans que les conditions d’intégration soient préalablement vérifiées… Les conditions d’intégration, de connaissance de la langue française et aussi le respect des valeurs de la République ne s’imposent pas aux Algériens», indique le rapport.
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En cas de regroupement familial, l’exigence d’une intégration et d’une insertion dans la société française n’est pas soumise à vérification. Le regroupement familial est quasiment de plein droit et ne peut être refusé que pour des motifs limitativement énumérés. Les accords ne prévoient aucune possibilité de retrait du titre de séjour, sauf par le juge en cas de fraude. «L’accord de 1968 est en effet le seul texte français qui autorise le renouvellement automatique du titre de séjour délivré à un étranger. Le trouble à l’ordre public n’est pas opposable. Le seul cas envisageable de retrait est l’obtention frauduleuse du titre ou l’absence de son détenteur pendant plus de 3 ans», lit-on encore. Un Algérien sans papiers doit simplement pouvoir justifier d’une résidence en France depuis dix ans pour obtenir sa régularisation.
D’autres dérogations existent, comme la liberté d’installation pour les artisans et commerçants algériens qui veulent exercer une activité professionnelle en France. Contrairement aux autres nationalités, ils n’ont pas à démontrer que leur activité est économiquement viable ou qu’elle respecte la réglementation en vigueur ou encore qu’ils en tirent des moyens de subsistance suffisants; la simple inscription au registre du commerce suffit pour obtenir le statut de commerçant. «L’avantage de ce dispositif est qu’il permet aux étudiants algériens de transformer leur visa d’étudiant en visa de commerçant et donc d’obtenir un titre de séjour», précise le rapport. Un moyen assez simple pour rester en France. Les ascendants et descendants à charge peuvent également s’établir librement avec un seul visa de court séjour.
Une rente sans réciproque
Résultat: «41,6% des ressortissants algériens en France en âge de travailler sont inactifs, c’est-à-dire ni en formation, ni en emploi, ni à la retraite. Un ménage algérien sur deux réside en logement social. 20% de la population carcérale étrangère en France est algérienne, selon les chiffres du ministère de la Justice», relève Le Point.
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En face, curieusement, il n’existe aucun texte concernant l’entrée des Français sur le territoire algérien: ils relèvent du droit commun algérien en matière d’entrée et de séjour. «Les Français sont, à l’inverse, considérés en Algérie comme des étrangers comme les autres. Moins que les autres, s’ils sont journalistes, enseignants ou religieux», souligne cette source bien au fait du dossier. Le rapport ne dit pas autre chose: «Il n’est pas compréhensible à Paris que l’Algérie, si attachée par principe à la réciprocité, ne soit pas plus coopérative dans sa politique de délivrance de visas pour certaines catégories de visiteurs français comme les religieux ou les journalistes. Pour ces deux catégories, le dossier d’instruction du visa relève du parcours du combattant.»
La France est d’autant plus défavorisée que l’Algérie ne remplit pas ses obligations, notamment en matière de laissez-passer consulaires, sans lesquels il n’est pas possible de réaliser les obligations de quitter le territoire français (OQTF).
D’après Xavier Driencourt, aucune politique migratoire cohérente n’est possible sans la dénonciation de l’accord franco-algérien. «Depuis Nicolas Sarkozy, tous les gouvernements successifs ont un temps étudié le scénario d’une dénonciation de l’accord de 1968 devant le refus d’Alger d’en renégocier les termes. Tous ont jugé qu’il était urgent… de continuer d’y réfléchir», ajoute notre source. C’est dire!