À peine sortie de sa guerre d’indépendance, l’Algérie commence à porter un regard intéressé sur le Sahara occidental, alors sous domination espagnole. D’abord prudente, elle plaide aux tribunes de l’ONU et de l’OUA en faveur du maintien de la tutelle espagnole sur le territoire, arguant que les «50.000 nomades» du territoire ne justifieraient pas la création d’un État.
Dès la fin des années 1960, le discours algérien change de ton. Alger ne rejette plus l’idée d’un État au Sahara, mais commence à s’y positionner comme une «partie intéressée». Une quête d’influence qui, quelques années plus tard, sera projetée non plus en son nom, mais au travers du mouvement qu’elle soutient: le Polisario.
D’un acteur à un avatar diplomatique (1973-1981)
Dès 1973, Alger adopte une stratégie plus subtile: créer un mouvement séparatiste sahraoui pour camoufler ses propres ambitions dans la région. Dès lors, le Polisario devient une extension diplomatique de l’État algérien. L’ONU et l’OUA furent les théâtres d’une opération de légitimation où l’Algérie, craignant d’être accusée de néocolonialisme, préféra agir à travers un proxy. À Nairobi, en 1981, les représentants du Polisario sont introduits en douce en tant qu’observateurs. Le diplomate français Roger Duzer rapporte la supercherie: les Sahraouis étaient absents officiellement mais hyperactifs officieusement, et jusqu’aux menaces! Le secrétaire général de l’OUA, Edem Kodjo, en fera les frais selon cette note de l’ambassadeur français au Kenya, Roger Duzer: «Le secrétaire général de l’OUA est visiblement inquiet quant à la reconduction de son propre mandat (ce qui le rend particulièrement sensible aux attaques dont il fait l’objet)». Révélant la violence qui prévaut dans l’hémicycle, le SG de l’OUA va même avouer à Roger Duzer: «les Algériens et leurs clients veulent ma peau» (La Courneuve, Ministère des affaires étrangères, ANMO, Maroc-Sahara Occidental, 1972-1982, Carton 965)
Le tournant libyen: fissure d’un front commun (1981)
La Libye surprend son allié de toujours, l’Algérie, en se rapprochant du Maroc, sans même un mot d’avertissement à Alger. Cette initiative inattendue provoque un véritable séisme diplomatique, comme le rappelle la presse kenyane rapportée par le document de l’ambassadeur de France à Nairobi, Roger Duzer:
«Je relève que selon la presse kenyane, M. Bedjaoui, qui conduit la délégation algérienne, déclare au sujet des propositions faites par les Libyens (à Rabat) sur le Sahara que les Algériens n’avaient pas été consultés par ces derniers, qu’ils ne se sentaient donc pas engagés par cette initiative et qu’enfin ils étaient “surpris et troublés“».
La réaction algérienne ne tarde pas. Officiellement silencieuse, elle n’en est pas moins explosive en coulisses. Ce camouflet libyen marque en réalité le début d’un désengagement progressif de Tripoli. Après avoir été un pilier du soutien militaire et financier au Front Polisario depuis 1976, la Libye opère un revirement stratégique: fin du financement, arrêt des livraisons d’armes et retrait du soutien politique. L’Algérie se retrouve seule à la manœuvre. Elle doit désormais assumer à elle seule l’intégralité du soutien logistique, financier et diplomatique au mouvement terroriste sahraoui.
Le cas du Tchad, un exemple parlant
Le Tchad résume rétrospectivement la ruine de la cause du Polisario. Dans les années 1970, Alger soutient Abba Siddick, opposant tchadien, dans l’espoir de forcer une reconnaissance officielle de la RASD. Boumediene joue sur deux tableaux: il soutient aussi le général Félix Malloum, nouvel homme fort à N’Djamena.
Ce marchandage est rapporté avec précision par Guy De Commines, haut diplomate français, dans une note interne du ministère des Affaires étrangères:
«Le Président Boumediene a reçu le 22 mars (1976) le ministre des Affaires étrangères du Tchad, M. Kamoughe. La presse algérienne ne fait aucun commentaire à ce sujet et rien, en particulier, ne laisse entendre que le Tchad soit prêt à reconnaître l’Etat sahraoui… De son côté, il est clair que le général Malloum cherche à obtenir le ralliement du Dr Abba Siddick à son régime et peut espérer, s’il paye le prix, avoir l’appui d’Alger. Il y a donc là les éléments d’un marchandage qui pourrait éventuellement aboutir à la reconnaissance par le Tchad de la RASD.» (Archives de La Courneuve, ministère des Affaires étrangères, ANMO, Maroc-Sahara Occidental, 1972-1982, Carton 965)

Le Tchad allait reconnaitre le Polisario, mais qui pouvait prédire que 48 ans plus tard, le même Abba Siddick, devenu entre-temps ministre des Affaires étrangères du Tchad, allait annoncer officiellement le retrait de la reconnaissance de la RASD par son pays. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Quelques années après ce revirement, le Tchad va encore plus loin: il inaugure un Consulat général à Dakhla en 2024.
Cette bascule symbolise un tournant plus large. Les pays sahéliens– Tchad en tête–prennent leurs distances avec les idéologies de la guerre froide. Lassés des promesses algériennes, ils regardent désormais vers des axes atlantiques, porteurs de stabilité et d’opportunités concrètes. L’obsession algérienne pour le Sahara occidental, elle, reste figée dans le passé, au prix de milliards dépensés pour un projet sans avenir.
L’État sahraoui n’a jamais existé, mais la facture, elle, est bien réelle
L’Algérie a cru pouvoir construire un État à travers une organisation paramilitaire façonnée de toutes pièces. Derrière les discours sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, elle a pratiqué la diplomatie de l’ombre, le chantage diplomatique et le financement d’un conflit à huis clos. Aujourd’hui, le masque tombe. Les anciennes alliances se délitent. Le Polisario, que des voix influentes appellent à classer comme organisation terroriste, n’est plus qu’un vestige embarrassant, soutenu à bout de bras par un régime qui s’enferre dans une guerre sans issue. Pendant ce temps, les peuples sahéliens cherchent un autre cap: celui de la croissance, de la mer, et d’une paix enfin possible.