Il furent, heureusement, prompts et unanimes à condamner les attaques sanglantes et les enlèvements du 7 octobre… Mais depuis un an, les 27 États membres de l’Union européenne ont avancé en ordre dispersé, les uns dans un soutien sans faille à la politique du Premier ministre israélien, les autres ergotant, cherchant ici une coalition pour entamer la reconnaissance d’un État palestinien, là l’opportunité de déclencher des sanctions économiques contre Israël, conjuguant au conditionnel le retour des otages, et à l’imparfait le respect du droit international. Faute de pouvoir mettre un terme aux combats -comme aucun autre État ou coalition-, comment a minima parler d’une même voix? En promettant des financements, dans une bande de Gaza détruite à 75%. En partageant progressivement l’idée d’un cessez-le-feu, puisqu’après les éliminations des principaux commandants du Hezbollah, et surtout de Yahya Sinouar, le cerveau des terribles attentats, traqué depuis un an par l’armée israélienne, plusieurs chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont exprimé́, tout comme le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, «l’espoir d’une nouvelle perspective que nous devions saisir pour obtenir un cessez-le-feu et la libération des otages à Gaza, et œuvrer à une solution politique». Un appel au cessez-le-feu que la France a lié à un arrêt des exportations d’armes vers Israël, de façon téméraire, mais non singulière, comme les gouvernements italien et espagnol décidant chacun de mettre fin à de nouveaux contrats d’armement… mais contre les choix d’une Allemagne, plus grand fournisseur d’armes européen à Israël, choisissant, au contraire, de doper ses ventes vers Tel-Aviv (94,05 millions d’euros depuis août 2024, contre 45 millions depuis le début de l’année).
L’extension du conflit sur le sol libanais, et le bilan d’un mois de bombardements israéliens sur le Sud-Liban, Beyrouth ou Baalbeck, peuvent-ils faire bouger les lignes? Plus de cent raids aériens, 2.600 morts, quelque 1,2 million de déplacés dans un pays qui compte 5 millions d’habitants. On ajoute la guerre à la guerre, et la sanction à la sanction, tels les Bekaaiotes, qui subissent et les bombardements israéliens et le joug du Hezbollah… Une «guerre des autres», importée au Pays du Cèdre, qui devient celle de tous quand les tirs de Tsahal frappent les casernes de la FINUL! La réponse de l’UE -dont 15 nations sur 27 (Allemagne, Autriche, Chypre, Croatie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Malte, Pologne et Pays-Bas) sont engagées dans la force onusienne- a d’abord, une fois encore, manqué de force et d’unité. Josep Borrell a bien, dès les premières attaques, invoqué «la garantie des souverainetés d’Israël et du Liban», et annoncé prématurément une déclaration commune des 27… avant de reculer, pour finalement assumer seul une position -à défaut de consensus entre États et du blocage des pays d’Europe centrale! Dans ce contexte, la déclaration du Conseil à la mi-octobre, appelant «à un cessez-le-feu immédiat de part et d’autre de la “Ligne bleue” et la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui implique la cessation totale des hostilités entre Israël et le Hezbollah et dispose que seuls l’armée libanaise et les membres du personnel de maintien de la paix de l’ONU peuvent être déployés entre la frontière israélienne et le fleuve Litani», apparaît particulièrement audacieuse, et une déclaration cosignée des pays de l’UE participant à la FINUL voulant «exercer une pression maximale» sur Israël est prometteuse.
Encore un effort -vite, car l’effondrement du pays est imminent- et la tragédie du Liban pourrait bien encore amener l’UE à changer de ton, et de politiques. Depuis un an, Benjamin Netanyahou a marché vers l’Occident compliqué avec des idées simples: «Notre guerre est la vôtre», «C’est une guerre de civilisation». Mais son concept de «guerre de civilisation contre la barbarie» -qui fait écho à la rhétorique «néocons», et à la formule de Sharon «À chacun son Ben Laden, le nôtre s’appelle Arafat» au lendemain d’un autre drame, en septembre 2001- a fait long feu. La réponse que lui a portée le Président français, en ouverture de la Conférence internationale sur la souveraineté du Liban, déborde évidemment le cadre de la relation séculaire entre les deux pays: «Je ne suis pas sûr qu’on défende une civilisation en semant soi-même la barbarie. Je suis sûr d’une chose, c’est que la possibilité d’une civilisation se joue au Liban, c’est-à-dire la possibilité pour des femmes et des hommes dont les origines sont différentes, dont les religions sont différentes, de partager un même territoire et de vivre pour un même projet».
Dans la sauvegarde des Casques bleus et des plus vieux ports de la Méditerranée se joue aussi la crédibilité de l’Europe.