Armement algérien: l’industrie française de la défense veut sa part du gâteau

Entraînement de l'armée française avec une batterie de missiles antiaériens Mistral, en Guyane. Photographie d'illustration.

Entraînement de l'armée française avec une batterie de missiles antiaériens Mistral, en Guyane. Photographie d'illustration. . AFP

L’annonce par le pouvoir algérien d’un budget record dédié à l’armement (23 milliards de dollars) en 2023 n’est pas passée inaperçue auprès des majors françaises de l’industrie de la défense. Safran, Thales, MBDA, Airbus… Ils sont nombreux à se bousculer au portillon.

Le 22/12/2022 à 11h42

La hausse vertigineuse du budget de l’armement (23 milliards de dollars) décidée par la junte au pouvoir en Algérie pour l’année prochaine suscite désormais les convoitises de plus d’un. Et les industriels français de l’armement et de la défense sont les premiers à se bousculer au portillon.

Safran Electronics & Defense, Thales, MBDA et Airbus s’apprêtent ainsi à présenter leurs catalogues à des responsables de l’Armée nationale populaire, croit savoir Africa Intelligence. «Une discrète exposition de fabricants d’armes français aura d’ailleurs lieu à Alger fin décembre», lit-on dans son bulletin d’information. Outre les géants hexagonaux et européens précités, «des PME spécialisées dans la surveillance aérienne et les textiles spéciaux seront également présentes», indique Africa Intelligence.

Il sera question, en cas de deals éventuels, non pas d’équipements «classiques», mais de matériels de pointe. Citons, entre autres, du matériel d’optique et de vision nocturne, de satellites d’observation, de radars maritimes et de systèmes d’artillerie, un niveau d’équipement et de sophistication dont l’armée algérienne est pour l’heure dépourvue. La guerre Russie-Ukraine est passée par là. Et celle-ci «a montré les limites d’un certain nombre d’équipements militaires russo-soviétiques. L’Algérie, qui se fournit quasi-exclusivement auprès de la Russie, pourrait être tentée de diversifier ses sources d’approvisionnement en armes ou de moderniser le matériel déjà en sa possession», nous expliquait Abdelhak Bassou, Senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS) et spécialiste en affaires sécuritaires et de défense.

En se tournant vers la France, le régime algérien tente également de calmer les craintes occidentales liées au poids (trop) important de la Russie dans son architecture militaire et les mises en garde des Etats-Unis relatives à la manne financière qu’offre la junte à l’effort de guerre de la Russie. «Cette augmentation du budget pourrait d’ailleurs s’expliquer par la volonté du pouvoir algérien de calmer les Occidentaux en leur achetant des armes. Une façon de satisfaire tout le monde», analysait Bassou.

L’industrie française tire ainsi profit de cette ouverture, misant tant sur l’embellie des relations entre Paris et Alger, à la faveur de la visite du président Emmanuel Macron dans la capitale algérienne en août dernier, que sur la volonté du régime algérien d’éviter les foudres de certaines puissances, notamment les Etats-Unis, dont les sénateurs ne cessent d’alerter la Maison Blanche sur l’armement russe de l’Algérie.

On s’en souvient, le 29 septembre dernier, 27 membres du Congrès américain, aussi bien démocrates que républicains, sont montés au créneau pour dénoncer la complicité flagrante de l’Algérie vis-à-vis du régime russe de Vladimir Poutine, aujourd’hui ennemi numéro un de l’Occident de manière générale, et des Etats-Unis en particulier, à cause de son offensive militaire contre l’Ukraine. Dans une lettre au secrétaire d’Etat Antony Blinken, ils ont appelé à l'instauration de sanctions contre le régime algérien, accusé d’être le vassal d’une Russie de plus en plus au ban des pays occidentaux.

De plus en plus sollicitées pour répondre aux appels d’offres émis par l’Armée nationale populaire, les majors françaises promettent un accompagnement industriel et un transfert de technologie vers l’Algérie. Plus facile à dire qu’à faire, selon les experts. «Nous savons tous que lorsqu’un pays est traditionnellement le client d’une source d’approvisionnement donnée en armement, il devient conditionné. L’armement vient avec une technologie spécifique, une formation précise et la possibilité d’une interopérabilité. Il est ainsi difficile de changer de fournisseur du jour au lendemain et on ne peut le faire que progressivement», nous affirme Mohamed Loulichki, spécialiste en diplomatie et résolution des conflits.

Tout est donc de savoir si l’intérêt du régime algérien vis-à-vis de l’armement français est un changement de paradigme dû aux limites des armes russes en Ukraine, ou bien s’il s’agit uniquement d’effets d’annonce à la seule fin d’éviter les sanctions de l’Occident.

Par Tarik Qattab
Le 22/12/2022 à 11h42