*Abdelhak Bassou est Senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS) et professeur affilié à la Faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales (FGSES) de l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Spécialiste des questions de sécurité, de stratégie et de défense, il a précédemment occupé plusieurs fonctions au sein de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). De 2006 à 2009, il a été le chef des Renseignements généraux (RG). Depuis 2018, Bassou dirige le Rapport annuel sur la géopolitique de l'Afrique, initialement intitulé «Miroir d'Afrique» et publié par le PCNS. Ses travaux ont été présentés dans de nombreux groupes de réflexion et institutions de renommée mondiale.
Avec 23 milliards de dollars dédiés à l’armée en 2023, l’Algérie marque une nouvelle escalade dans sa course à l’armement. Comment expliquer une telle démarche?L’année 2023 est celle des augmentations des budgets militaires de par le monde. On le voit partout. Pour l’Algérie, ce qui intrigue, c’est le taux spectaculaire de cette augmentation. Une hausse de 130%, c’est quand même beaucoup, mais il y a des explications. Sur le plan régional, nous assistons depuis un certain nombre d’années à une course à l’armement entre le Maroc et l’Algérie. Le voisin de l’est agit ainsi au vu de cette rivalité. A cela s’ajoute le changement opéré l’année dernière dans la Constitution algérienne, autorisant l’armée à agir en dehors de ses frontières. Le budget suit cela, puisque sur les 23 milliards de dollars prévus, 5 milliards de dollars sont destinés aux opérations extérieures, en lien probablement avec le départ des Français du Mali, à l’arrivée de la milice Wagner, inféodée à la Russie dont l’Algérie est un allié. Ce changement peut être lié à la situation en Libye également. Les Algériens regardent aussi du côté de l’Espagne, avec laquelle les relations sont tendues. Au vu de ces éléments, une chose est sûre: il s’agit d’une menace vis-à-vis de toute la région.
Un tel budget est-il justifié, une guerre ouverte, avec le Maroc par exemple, étant écartée?Tout dépend des ambitions algériennes. Vue de l’extérieur, la guerre Russie-Ukraine a montré les limites d’un certain nombre d’équipements militaires russo-soviétiques. L’Algérie, qui se fournit quasi-exclusivement auprès de la Russie, pourrait être tentée de diversifier ses sources d’approvisionnement en armes ou de moderniser le matériel déjà en sa possession.
Cette hausse peut également se justifier par les rivalités internes. Les militaires algériens, pour imposer davantage leur mainmise sur le pays, veulent se renforcer et justifier leurs cris de guerre. Or, on ne peut pas crier à la guerre sans que le budget d’armement ne soit revu à la hausse. En cela, ils sont cohérents avec ce qu’ils pensent et ce qu’ils annoncent.
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L’armement algérien étant russe, le pouvoir algérien ne risque-t-il pas d’être isolé davantage en cas de nouveaux contrats avec ce pays?Il est clair que les 9 à 10 milliards de dollars consacrés annuellement par l’Algérie à son approvisionnement en armes russes et qui alimentent l’effort de guerre russe contre l’Ukraine fait réagir, notamment auprès des députés et sénateurs américains. Au point que nous apprenons qu’il y a des contacts directs entre l’ambassadrice américaine à Alger et le chef de l’armée algérienne, Saïd Chengriha. Cette augmentation du budget pourrait d’ailleurs s’expliquer par la volonté du pouvoir algérien de calmer les Occidentaux en leur achetant des armes. Une façon de satisfaire tout le monde. Mais ce qui est évident, c’est que plus la Russie s’isole sur la scène internationale, plus ses satellites vont s’isoler. A moins qu’il y ait une volte-face et que l’Algérie retourne la veste.
Dans sa course à l’armement, l’Algérie entraîne également le Maroc. Le Royaume doit-il la suivre?La doctrine marocaine est claire. Le Maroc ne s’équipe pas en fonction de l’armement algérien. Il s’arme en fonction des besoins de sa défense nationale. Le raisonnement logique veut que l’on s’arme en fonction de la menace. C’est une question de perception et si le Maroc voit en cet armement massif du voisin un risque, il agira. Probablement pas dans les mêmes proportions et certainement en fonction de ses moyens. Dans ce domaine-là, il y a moyen d’établir des équilibres sans forcément suivre dans la quantité. La guerre en Ukraine nous apprend énormément sur ce registre. Largement inférieure en termes de puissance militaire, l’Ukraine met en difficulté la deuxième plus grande armée au monde. C’est en cela que certains stratèges sont meilleurs que d’autres.
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Le conflit entre la Russie et l’Ukraine montre que les guerres ne se gagnent plus à l’aune des équipements et de l’artillerie, mais avec l’intelligence…Les deux éléments sont inséparables. Une guerre se gagne avec un matériel performant et suffisant. Mais tout est de savoir choisir ce matériel, en fonction des circonstances, du terrain, d’une doctrine donnée et des règlements d’utilisation. Maintenant, il y a des écoles, et celle de la Russie, héritage soviétique, privilégie le nombre. Est-ce utile ou pas? La leçon ukrainienne nous apprend que la tactique militaire n’est pas arithmétique. Les grands stratèges, dont le plus célèbre est Sun Tzu, nous parlent de l’art de la guerre et non des mathématiques de la guerre. C’est une affaire d’intelligence et de génie, mais qui, sans équipement, ne valent pas grand-chose.
En matière d’armement, quelle est la différence doctrinale entre le Maroc et l’Algérie?L’Algérie a une tradition soviétique basée, comme nous l’avons dit, sur le nombre d’hommes, de chars, d’avions de chasse… La doctrine marocaine, c’est beaucoup plus la technologie, le matériel qu’il faut, là où il faut. Un terrain où l’intelligence, le renseignement ou encore la balistique jouent un rôle essentiel. En cela, il est davantage dans l’air du temps.