Et bis repetita. Le 30 juin 2021, et alors que les dernières manifestations du Hirak commencent à ployer sous le poids de la répression menée par les généraux de la décennie noire des années 90, tout juste sortis de prison, Fethi Ghares, chef du Mouvement démocratique et social (MDS), ancien parti communiste algérien, est enlevé à son domicile à Alger. Plus de six mois plus tard, le 9 janvier 2022, il est condamné à deux ans de prison ferme, puis libéré en mars 2022 suite à une réduction de peine en appel.
Deux ans plus tard, dans la matinée du mardi 27 août 2024, Fethi Ghares a été à nouveau interpellé chez lui par trois agents des services de renseignements algériens, qui ne lui ont présenté aucune convocation, mais lui ont simplement ordonné de les suivre, tout en affirmant à sa famille qu’il sera conduit et auditionné dans le commissariat de police voisin. Or, son épouse, Messaouda Chaballah, a fait le tour de tous les commissariats de la ville, recevant à chaque fois la même réponse négative quant à la présence de son mari.
Convaincue que Fethi Ghares a fait l’objet d’une séquestration dans un lieu secret, elle a alors lancé une alerte et donné tous les détails de son arrestation via une publication sur les réseaux sociaux. Elle y a qualifié le régime algérien actuel de «menteur et de baltaji, usant de pratiques mafieuses» qui, au lieu de protéger les citoyens, «les enlève à leur domicile et les conduit vers une destination inconnue».
L’épouse de Fethi Ghares ne croit pas si bien dire: l’Algérie n’est pas un État, mais un conglomérat de gangs qui se disputent le pouvoir. Messaouda Chaballah, également militante au sein du MDS, n’a pas manqué d’accuser le régime algérien de rééditer les pratiques de la décennie noire des années 90. Quand on sait le patron la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Abdelkader Haddad, alias Nacer El Djen, est un sinistre assassin de la décennie noire, il ne faut surtout pas s’étonner que les pratiques abjectes des années 90 soient réactualisées en 2024.
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Les raisons de cette arrestation ne sont pas si inconnues, puisque le MDS (parti interdit depuis 2023) est une ruche où s’activent encore des militants du Hirak, dont Fethi Ghares est l’un des principaux leaders. Il y a cinq ans, il a déclaré sa candidature au nom de ce mouvement populaire de contestation à la présidentielle de décembre 2019. Finalement, il s’est rétracté à la dernière minute, mais non sans présenter la vision du Hirak sur ce que doit être le processus électoral en Algérie.
Il a ainsi préconisé «le départ préalable de toutes les figures qui incarnent le système actuel», en allusion aux généraux et autres oligarques, et leur remplacement par un «présidium composé de quatre à cinq personnalités indépendantes et consensuelles, l’installation d’un gouvernement de transition, composé également de compétences nationales et non partisanes, qui auront à gérer les affaires courantes du pays».
La peur du Hirak, consubstantielle à la peur du peuple, terrorise toujours le régime algérien et expliquerait donc l’enlèvement de Fethi Ghares. Plus de 24 heures après son arrestation, le silence radio prévaut toujours au niveau des médias du pouvoir, occupés qu’ils sont à faire campagne en faveur du candidat d’un clan des généraux, Abdelmadjid Tebboune. L’affaire de l’enlèvement de Fethi Ghares intervient au cœur d’une campagne électorale marquée surtout par un climat de terreur ciblant les opposants au régime.
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Le 20 août dernier, un autre leader d’un parti d’opposition, en l’occurrence Athmane Maazouz, et des dizaines de militants du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ont été arrêtés à Bejaia, capitale de la Kabylie, au moment où ils s’apprêtaient à célébrer un événement historique de la révolution algérienne datant de 1956 (la Soummam). Le RCD a été ainsi ciblé par la répression du régime non seulement parce que c’est un parti kabyle, mais aussi à cause de son appel au boycott de la présidentielle du 7 septembre, une position unanimement adoptée dans toute la Kabylie.
Karim Tabbou, lui aussi militant kabyle du Hirak, placé sous contrôle judiciaire depuis mai 2023, vient de se voir notifier, le 19 août courant, l’interdiction totale de mener toute activité politique ou de s’exprimer sur les réseaux sociaux, journaux, radios ou télévisions. «Jamais en Algérie une campagne électorale présidentielle n’a été empreinte d’une répression aussi implacable ni marquée par un tel déferlement d’arrestations», a dénoncé récemment Mohcine Belabbas, ancien président du RCD, ajoutant que son pays vit actuellement un «un climat de terreur» sans précédent.
Cette terreur s’explique aussi par des dissensions au sein des clans des généraux sur la reconduction de Tebboune. Ces dissensions n’épargnent plus la presse algérienne, qui utilise des mots sibyllins pour défendre le président contre une supposée cabale. Les semaines à venir sont celles de tous les dangers, et pas seulement pour les militants démocrates et les opposants politiques. Les gangs qui détiennent le pouvoir en Algérie pourraient en arriver à régler leurs différends par les armes.