Algérie: dans un climat de répression, la soif gagne le littoral et frappe Béjaïa, capitale de la Kabylie

Une femme en quête d'eau dans la région de Béjaïa, en Kabylie, frappée l'été 2023 par des incendies ravageurs. AFP or licensors

Plus grande ville de Kabylie, pourtant située sur le tempéré littoral méditerranéen, Béjaïa vit à son tour une pénurie chronique d’eau. Il faut attendre une semaine, voire deux, pour voir un peu d’eau couler des robinets. Un scénario répétitif qui sévit en Algérie, n’épargnant ni les grandes villes, comme Oran, ni les localités oubliées, à l’image de Tiaret. En guise de réponse, le régime d’Alger multiplie les annonces mensongères et les actes de répression, bien réels.

Le 17/07/2024 à 11h27

L’invisibilisation systématique de ce qui se passe réellement dans le pays par le régime d’Alger n’a, là encore, pas tenu longtemps. L’écran de fumée se lève peu sur une autre partie du pays, révélant aussi bien la soif chronique dont elle souffre que la sauvage répression dont elle fait l’objet. Après l’Oranie, plus grande agglomération algérienne avec 1,7 million d’habitants, et Tiaret, cité importante mais oubliée du Nord-Ouest algérien, c’est au tour des habitants de la wilaya de Béjaïa -où se situe la ville éponyme, la plus importante de Kabylie- de crier leur soif.

Des communes comme Tazmalt, Ighil-Ali, Boudjellil, Aït R’zine, Ighram et Béni M’likèche sont ainsi totalement privées d’eau, et ce, de l’aveu même d’une presse algérienne totalement écrasée par le régime. Le quotidien Le Jeune Indépendant précise à ce titre que «depuis le début du mois en cours, l’eau ne coule dans les robinets qu’une fois par semaine et parfois une fois par 15 jours». Alors que chaque été, «depuis nombreuses années», les populations de ces régions ont pris l’habitude de s’approvisionner en eau au moyen de camions-citernes, même ceux-ci viennent actuellement à manquer.

Derrière cette panne sèche, dans une région méditerranéenne et montagneuse au climat pourtant tempéré, censée être un tant soit peu à l’abri d’une telle situation, les autorités invoquent, bien sûr, la sécheresse qui a affecté la région suite au déficit criant de pluviométrie ces quinze dernières années.

Ce qu’elles ne disent pas, c’est que ce drame est aussi, et surtout, dû à une gestion calamiteuse. «Des pannes récurrentes sont enregistrées au niveau des équipements», en plus de «la dégradation des réseaux AEP (adduction et distribution d’eau potable, NDLR) réalisés il y a près de 40 ans, qui nécessitent une opération de renouvellement sur plusieurs centaines de mètres, pour ne pas dire plus», écrit le quotidien.

Les Hauts de Hurlevent

En guise de réaction, le régime d’Alger multiplie les gesticulations, entre grands mots et minuscules mesurettes, à conjuguer naturellement au très lointain futur ou à l’improbable conditionnel. Le wali de Béjaïa a effectivement brillé dans ces deux registres. Côté parlote, Kamel-Eddine Karbouche a ainsi hurlé que, sur ordre du président Tebboune, «des instructions ont été données au directeur de l’hydraulique et au directeur de l’Algérienne des eaux afin de faire en sorte d’éviter la perturbation dans l’alimentation et la distribution d’eau potable durant la saison estivale». Oui, mais concrètement? «Deux numéros de téléphone ont été mis à la disposition des citoyens qui pourraient faire leurs réclamations», apprend-on. Nous parlons bien d’une agglomération de plus d’un million d’âmes assoiffées selon les derniers chiffres disponibles… datant de 2008. C’est beau l’Algérie.

Côté mesures, le régime décline ce qu’il sait faire le mieux: multiplier les annonces sans queue ni tête. Il y est question d’une hypothétique station de dessalement d’eau de mer qui devrait produire, inchallah, 300.000 m3 d’eau potable par jour et qui devrait, «au moins», alimenter quatre ou cinq (et pourquoi pas dix, NDLR) wilayas du pourtour. Ceci, dès sa livraison au début de l’année 2025. Inchallah. Il y a aussi le forage de 25 nouveaux puits qui s’ajouteront à 100 autres. Histoire d’en finir pour de bon avec le peu d’eau des nappes phréatiques de la zone.

Mais il y a mieux: le traitement des eaux usées pour en faire de l’eau potable. Du jamais vu. Le wali Karbouche a d’ailleurs inspecté les travaux de construction de la station d’épuration des eaux usées de la commune d’Akbou. Il a même exprimé son «agacement» par rapport au retard accusé dans l’avancement des travaux et interpellé «sur place» l’entreprise en charge du chantier, l’exhortant à livrer le plus tôt possible cette infrastructure dont la capacité de traitement est de 16.000 m3 par jour. Fabuleux.

Silence, on réprime!

Toujours à Béjaïa, et là où le régime d’Alger sait se monter très sérieux, c’est en matière de répression, notamment des rares voix qui osent encore s’élever pour dénoncer le «Système» ou revendiquer des droits. Plutôt que la soif de la population, c’est sa propre soif de violence et d’oppression que le régime s’emploie à étancher. Sur ce registre, les mesures sont, disons-le, grandioses.

C’est ainsi que la célèbre universitaire et militante kabyle Mira Moknache en est à son 10ème jour de garde à vue. L’avocat Sofiane Ouali, membre du collectif de défense des détenus d’opinion, ainsi qu’une dizaine de militants sont également retenus depuis les 9 et 10 juillet au commissariat central de Béjaïa, indique le quotidien Le Matin d’Algérie. Le journal cite en cela le Comité national algérien pour la libération des détenus (CNLD), association créée le 26 août 2019, pendant le Hirak, pour obtenir la libération des prisonniers politiques et d’opinion.

«Ailleurs dans la ‘’nouvelle Algérie’'chère à Tebboune et ses porte-voix, la répression ne faiblit pas non plus», écrit Le Matin d’Algérie, qui recense plus de 200 détenus d’opinion croupissant dans les geôles algériennes. «Jamais ces dernières n’ont connu autant de prisonniers politiques que depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune», lit-on. Une situation que l’ONG Riposte Internationale, installée à Paris, n’a pas manqué de dénoncer. Dans un communiqué publié le dimanche 14 juillet, l’ONG évoque une «cabale dangereuse» et dénonce «l’acharnement judiciaire à travers ces arrestations, détentions et perquisitions, motivé par les échéances politiques fixées par le régime algérien».

À l’évidence, et à près d’un mois de la mascarade présidentielle, Tebboune (78 ans) et Saïd Chanegriha (79 ans) ne veulent pas entendre la moindre voix discordante. «Pour le reste, il n’y a rien à attendre du régime», conclut le quotidien. C’est peu dire. Quand on sait que c’est la même région de Béjaïa qui paie chaque fois le plus lourd tribut aux feux de forêt qui sévissent en été, et dont le régime d’Alger est coupable, au moins par négligence, le pire est encore à craindre pour une Kabylie plus que jamais martyrisée.

Par Tarik Qattab
Le 17/07/2024 à 11h27