1979-1991: comment l’Iran a façonné le destin terroriste du Polisario

Karim Serraj.

ChroniqueDès 1979, une alliance voit le jour entre le Polisario et Khomeini et s’installe discrètement dans la région. Loin d’être des soutiens passagers, les mollahs deviendront au fil des décennies une partie prenante décisive, jusqu’au point de bascule du cessez-le-feu de 1991 dans le Sahara, l’Iran dévoilant alors cette année-là son ascendant sur les miliciens et signant de manière indélébile son statut de parrain du Polisario terroriste.

Le 13/07/2025 à 11h19

Nous sommes en janvier 1979 à Neauphle-le-Château, petite localité tranquille des Yvelines en France. C’est là que survient la première rencontre historique entre le Polisario et l’imam Khomeini, bientôt maître de l’Iran. Deux mois après cet adoubement, et une sanglante révolution, la République islamique naissante ouvre déjà ses bras aux miliciens sahraouis, prêts à troquer Marx pour les prêches de Téhéran. Des relations «diplomatiques» et des contacts assidus sont dès lors instaurés entre les mollahs et le Polisario.

Dans un câble diplomatique iranien dévoilé le 22 février 1979 par le quotidien El País qui intitule à l’époque son article: «L’Iran pourrait soutenir le Polisario», le ministre iranien des Affaires étrangères Karin Sandjabi adresse des remerciements au Polisario, et répond au «ministre» sahraoui Ibrahim Hakim, après son message de félicitations auréolé d’une rhétorique islamique toute neuve, à l’occasion de la révolution.

Selon le quotidien espagnol, Téhéran démontre à travers cet échange qui a sciemment été rendu officiel sur les canaux diplomatiques des capitales occidentales, sa volonté «d’adopter prochainement une attitude officielle d’appui au Front Polisario». Et d’ajouter: «Tout comme l’avait fait l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP), le Front sahraoui tente aujourd’hui d’établir un réseau direct avec l’ayatollah Khomeini». Et il faut plaire aux nouveaux maîtres de Téhéran. Cette RASD autoproclamée sera fondée sur les «principes sacrés de l’islam» chers aux mollahs, ironise le journal. Le mouvement sahraoui, né à grand renfort de slogans marxistes pour séduire l’URSS, Cuba et les pays africains décolonisés, n’hésite pas à mettre en avant la légitimité islamique de sa lutte pour s’attirer les bonnes grâces du régime de Khomeini.

La reconnaissance de la RASD par Khomeini, premier acte d’une collaboration pérenne

Cette convergence stratégique se concrétise l’année suivante. Le 27 février 1980, Khomeini officialise son alliance en reconnaissant officiellement la RASD. La Syrie de Hafez al-Assad suit le pas de danse et fera de même, deux mois plus tard, en avril 1980.

Le Polisario se voit doter d’une ambassade à Téhéran; l’ambassadeur iranien en Algérie est accrédité officiellement auprès de la RASD, et continue de nos jours à l’être. Cette affirmation, gravissime, sur la gestion par l’Iran du dossier «Polisario» depuis son ambassade à Alger, provient des archives secrètes iraniennes où il est rapporté de manière très claire que «l’ambassade du Sahara [RASD] à Téhéran a été ouverte, et l’ambassadeur d’Iran à Alger a été accrédité auprès de la RASD».

À l’époque, pourtant embourbé dans une guerre avec l’Irak (1980-1988), l’Iran déploie une énergie inattendue en faveur du Polisario sur la scène internationale. Les mollahs vont révéler leur alliance avec le Polisario à l’intérieur même des instances de l’ONU. Les déclarations et positions diplomatiques des représentants iraniens prennent fait et cause pour les Sahraouis. L’Iran affirme sans tergiverser à l’ONU son appui au «droit du peuple sahraoui à l’autodétermination», comme le rappelait en 2021 un conseiller de la mission iranienne à l’ONU cité par The Indépendant (version arabophone) Le quotidien évoque dans son article une lapalissade: «le soutien iranien au Polisario».

De même, Téhéran accueille favorablement la RASD au sein du Mouvement des non-alignés: les miliciens sahraouis obtiennent à l’époque le statut d’observateur, grâce à l’Iran.

Plus étonnant encore, dans les harangues enflammées de l’imam Khomeini sur le petit écran, la «lutte du peuple sahraoui» côtoie désormais la cause palestinienne, dans un même souffle prophétique, qui ne laisse aucun doute sur les liens qui se renforcent de mieux en mieux. Les mollahs introduisent dans les discours-fleuves illuminés de Khomeini la question du Polisario. Dans les années 1980, la propagande iranienne (via Radio Téhéran en arabe, ou des publications) diffuse régulièrement des messages de soutien aux «Frères sahraouis», intégrant ce discours aux appels iraniens à libérer Jérusalem et Bahreïn. Des délégations du Polisario se rendent à présent couramment à Téhéran. Mohamed Abdelaziz, chef du groupe séparatiste, entretient alors une correspondance régulière avec les autorités iraniennes. Il n’est pas rare de voir des responsables sahraouis participer à des conférences internationales organisées par Téhéran, notamment celles dédiées à la «solidarité avec les peuples opprimés», autant d’occasions durant lesquelles la «cause» du Polisario bénéficie d’une tribune privilégiée.

Un jeu trouble d’Alger selon la CIA

Derrière ce rapprochement se cache la main invisible de l’Algérie, marraine historique du Polisario. Un rapport déclassifié de la CIA, daté du 30 novembre 1984, dévoile les coulisses d’une manœuvre désespérée. Selon l’agence américaine, Alger a encouragé des «contacts entre le Polisario et l’Iran». Alger pousse les Sahraouis dans les bras des mollahs dans le but d’«impliquer davantage l’Iran» dans leur effort de guerre contre le Maroc. Selon ce document explosif, les caciques d’Alger ont même envisagé une intervention aérienne algérienne dans le Sahara afin de régler définitivement, pensaient-ils, un problème qui s’éternise. À moins qu’ils aient fait courir ce bruit pour convaincre l’Iran de leur détermination et pousser Téhéran à remplacer la Libye, car Kadhafi venait d’opérer la même année un rapprochement avec le Maroc et avait cessé de livrer des armes au Polisario. Voilà comment l’idéologie marxiste sahraouie finit par s’accommoder sans complexe de l’aide des mollahs chiites, bénie par une Algérie aux abois.

Quel rôle a joué l’Iran dans le cessez-le-feu accepté par le Polisario en 1991?

Cette question, que le média Le360 soulève pour la première fois, s’appuie sur une analyse factuelle du très sérieux think tank United Against Nuclear Iran (UANI) composé d’anciens politiciens et d’analystes chevronnés. Celui-ci établit un rapprochement entre trois événements majeurs la même année:

— Le repli du Polisario dans la région algérienne de Tindouf et son acceptation du cessez-le-feu en 1991;

— L’annonce officielle du cessez-le-feu dans le conflit du Sahara en 1991;

— Et la décision de feu le roi Hassan II de reprendre les relations diplomatiques avec l’Iran en… 1991 aussi.

L’UANI rappelle dans ce sens qu’«en 1991, le Front Polisario a été repoussé dans la région algérienne de Tindouf, et Téhéran et Rabat ont rétabli leurs relations diplomatiques».

Pourquoi Hassan II décide-t-il de reprendre les relations avec Téhéran au moment où le Polisario accepte sans condition le cessez-le-feu? Les mollahs ont-ils joué un rôle dans l’arrêt de la guérilla dans le Sahara, en 1991, en actionnant le bouton «off» du proxy Polisario? Cette coïncidence d’alignement de trois faits importants est-elle fortuite? Ou s’agit-il d’un retour de manivelle du Maroc qui renoue avec l’Iran après que celui-ci a pesé de sa position de «parrain» pour forcer son proxy à rentrer en Algérie?

Cette hypothèse étayée par la concordance entre le cessez-le-feu et le rétablissement des relations entre Rabat et Téhéran, en 1991, ajoute un étage insoupçonné à l’architecture complexe de l’axe Polisario-Algérie-Iran. Dans l’ombre de ces jalons s’entrelace une histoire débutée douze ans plus tôt. Elle éclaire la plasticité idéologique du Polisario et l’obsession géopolitique d’Alger. Elle montre que l’Iran est bien plus influent sur l’Algérie (et le Polisario) qu’il n’y parait. L’Iran signe de manière indélébile son statut de parrain du Polisario terroriste.

Le long naufrage du Polisario terroriste

Si désormais les liens entre l’Iran, le Hezbollah et le Polisario apparaissent au grand jour, ce n’est que la confirmation tardive d’un secret de polichinelle. L’affaire est devenue si sérieuse que le récent projet du Congrès américain visant à classer le Polisario comme organisation terroriste repose en grande partie sur les transactions paramilitaires et avérées entre Téhéran et le mouvement séparatiste sahraoui. En réalité, l’histoire trouble de cette alliance remonte à plusieurs décennies, forgée dès les premiers jours triomphants de la Révolution islamique.

Mais c’est surtout l’Algérie, maîtresse dans l’art des manipulations secrètes, qui se révèle comme la véritable instigatrice de cette liaison dangereuse. Jamais frontalement engagée, toujours dans l’ombre, Alger a méticuleusement orchestré cette proximité malsaine, croyant pouvoir instrumentaliser Téhéran dans son conflit obsessionnel avec le Maroc. Aujourd’hui, le voile se déchire définitivement, exposant aux yeux du monde le cynisme profond d’une Algérie prête à tout pour maintenir sa posture régionale, quitte à plonger la région entière dans l’instabilité.

Le Polisario, quant à lui, apparaît clairement comme ce qu’il a toujours été: un simple pion sur l’échiquier géopolitique. Un pion fou. Ses liens compromettants avec Téhéran, si longtemps niés ou minimisés, deviennent aujourd’hui la preuve accablante de sa complicité avec une puissance paria internationale, marquant définitivement sa dérive vers un isolement irréversible. Et la roue tourne à la Maison Blanche, l’échiquier a fini par basculer, emportant avec lui les joueurs malhabiles qui avaient cru pouvoir en contrôler les mouvements.

Par Karim Serraj
Le 13/07/2025 à 11h19