Enquête. Nouvel an psychédélique: les drogues, reines de la nuit casablancaise

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Chaque année, le soir du nouvel an est prétexte pour beaucoup d’entre nous à dépasser leurs limites, à flirter avec les excès. Au Maroc comme ailleurs, on opte pour le cocktail alcool et drogues pour être sûr de décoller avant les douze coups de minuit.

Le 30/12/2018 à 17h45

Chaque année, à quelques jours du 31 décembre, le décompte avant le passage à la nouvelle année a déjà commencé. Il est de bon ton de prévoir une soirée, un menu, des amis à inviter et de faire des courses, pour ceux du moins qui n’ont pas envie de sortir.

Quand les uns remplissent leur caddie de «ch’hiwates» au foie gras, saumon et autres produits de luxe, d’autres préfèrent passer commande de substances illégales pour être sûrs de passer une fin d’année digne de ce nom… folle à souhait, psychédélique, excessive. Une soirée inoubliable.

Pour connaître le programme des uns et des autres, nous avons posé la quéstion classique: «Qu’est-ce que tu fais le soir du 31 ?» à des consommateurs occasionnels ou réguliers de substances illicites.

Pour tous, jeunes, moins jeunes, hommes ou femmes, la réponse est en substance la même. Si certains prévoient une consommation sage entre amis, d’autres vont céder à une folle virée. Le carburant sera le même: un bon vieux cocktail de drogues et d’alcool.

Reine des suffrages, la cocaïne

«La cocaïne est différente des autres drogues», nous explique H., jeune Casablancais de 26 ans. «Son effet est plus facilement contrôlable et permet de beaucoup mieux tenir l’alcool. On sera plus résistant face aux excès.», poursuit-il.

Même son de cloche du côté de A., 42 ans, résidant à Mohammedia qui considère que «la cocaïne donne du tonus» ou encore de ce groupe d’étudiants casablancais qui prévoit d’aller dans plusieurs endroits. Il estime que pour «tenir», le seul moyen sera d’avoir recours à cette drogue.

Si la cocaïne était naguère considérée comme une drogue de luxe, accessible aux nantis de la société, la donne a bien changé. M., consommateur occasionnel qui connaît bien son sujet, nous explique ainsi que l’on «trouve aujourd’hui différentes qualités de cocaïne qui permet à tout un chacun d’en consommer. Le prix du gramme varie de 300 dhs à 1000 dhs. Moins il est cher, plus la substance est coupée… avec du bicarbonate de soude par exemple.»

Accessible de par sa variété de prix aux plus jeunes et aux moins riches, la cocaïne est aussi devenue une drogue de femmes à Casablanca.

F., épouse et mère de 50 ans, a commencé à en consommer en cachette, il y a 5 ans, souvent seule et parfois avec quelques copines qui sont dans la confidence. Depuis, elle y a recours régulièrement. Pour le nouvel an, elle ne dérogera pas à la règle et augmentera sa consommation «pour s'éclater avec les copines et passer un bon moment.» nous explique-t-elle.

Force est de constater également que cette drogue aux effets excitants est la chouchoute de nombreux quadras. Ces anciens ados des années 90 qui ont été aux premières loges de l’arrivée de la cocaïne au Maroc ont grandi avec et continuent aujourd’hui d’en consommer à bonnes doses au sein de leur couple ou entre amis. C’est le cas de A. et S., mariés, âgés de 42 et 45 ans et parents de 2 enfants. «On aime en consommer de temps en temps, pour se détendre, s’amuser avec des amis. Mais on sait ce qu’on fait, on a des limites qu’on ne dépasse pas. Le soir du 31, on laissera les enfants chez les grands-parents pour faire une grosse fête entre amis et effectivement, on prévoit d’en consommer, peut-être un peu plus que d’habitude. »

«Tenir plus longtemps», « contrebalancer les effets soporifiques de l’alcool», «se détendre», «encourager les rencontres et les discussions», «garder l’esprit clair»… autant d’effets recherchés dans la consommation de cocaïne.

Pour les effets secondaires et les lendemains de fêtes, pas trop d’inquiétudes. «C’est une drogue qui, prise à faible dose et de manière espacée, ne fera pas énormément de dégâts à notre corps ou notre esprit. », se rassure H., 26 ans. «Son indice addiction est très faible et je peux donc contrôler ma consommation d’une meilleure manière que le ferait un accro à l’héroïne ou encore au shit. » conclut-il.

Un paquet d’idées reçues visant à banaliser, très dangereusement, la cocaine.

Risques cardio vasculaires, pathologies mentales (dépressions, tentatives de suicide, troubles anxieux, etc.) fréquentes chez les usagers de cocaïne, sans compter l’association avec d’autres produits qui peut aboutir à une mort violente par surdose…autant de méfaits dont les consommateurs occasionnels ou récurrents ne parlent pas faute d’en être conscients ou préférant tout simplement se voiler la face.

Or, qu’elle soit aiguë ou chronique, la consommation de cocaïne expose à divers types de conséquences, tant physiques que psychiques ou même sociales.

Et le Professeur El Omari de mettre en garde contre cette drogue dangeureuse à bien des égards. "La cocaïne est une drogue stimulante, hautement addictogène. Son usage est en augmentation au Maroc depuis ces dernières décennies. La cocaïne poudre peut être facilement transformée en dérivé plus addictogène, appelé " le crack". Ce dérivé de la cocaïne est consommé par voie respiratoire. Il est moins cher et peut être consommé par toutes les catégories sociales.  La cocaïne et le crack sont des drogues puissantes. En plus de l'addiction qui s installe rapidement lors de la répétition de l'usage , ces substances ont plusieurs complications physiques et psychiatriques et affectent tous les domaines de la vie du sujet que ça soit familial, social, professionnel et financier. La liste des complications est très large et n'est pas exaustive. L'usage de la cocaïne peut générer des maladies psychiatriques diverses comme la dépression, des états de psychoses ( délire , hallucinations...)... la cocaïne et un produit vasoconstricteur qui peut favoriser des accidents vasculaires et cérébraux comme des hémorragies, nécrose de la cloison nasale, des accidents cardiaques, des problèmes neurologiques comme des crises épileptiques..... La cocaïne peut aussi favoriser des maladies infectieuses suite à une mauvaise hygiène lors de la consommation. L'utilisation de la voie injectable et le partage des seringues est une source de transmission des infections virales comme le virus de l'HIV, l 'hépatite Virale B et C. L'usage de la cocaïne peut aboutir à des états de surdosage ou"overdose" qui peuvent aller au coma, ou arrêt cardio-respitaoire et décès . La cocaïne est souvent consommée avec l'alcool. Cette association fait apparaître un dérivé actif très toxique appelé la cocaethylène qui favorise l'overdose."

Le hashish, un classique dont on ne s’inquiète plus

Au rayon des drogues consommées au Maroc, le « shit » est un incontournable, un habitué des lieux dont on ne parle même plus tant sa présence est banalisée.

Pour les consommateurs qui prévoient de faire des emplettes spéciales le soir du 31, sa consommation va de soi. «On est au Maroc » s’amuse ainsi A., 24 ans, qui prévoit d’en acheter « au moins 100 dhs pour se mettre dans l’ambiance, rigoler un peu, et changer d’atmosphère. »

D’autres sont plus mesurés quant à sa consommation, à l’instar de M., 22 ans, qui préconise sagement « entre l’alcool et le hashish il faut choisir. Les deux ne se mélangent pas. » Un point de vue que ne partage pas F., la mère de famille, qui pour atténuer les effets de la cocaïne en fin de soirée a toujours recours à un joint pour « redescendre », se « calmer » et « pouvoir dormir ». Et le soir du 31, elle n’y dérogera pas.

Ecstasy, MDMA, 2.0 & co…

Etrangement, les consommateurs les plus âgés s’offusquent des substances consommées par les plus jeunes et s’inquiètent pour leurs cadets.

«J’ai peur pour ma petite sœur» nous confie A., étudiant de 24 ans. «Aujourd’hui, à 17 ans, ils consomment des ecstasy, de la MDMA et de la cocaïne avec une facilité déconcertante. Nous à leur époque, on se contentait d’un joint !» argue-t-il.

« La cocaïne est devenue une habituée des soirées alcoolisées chez les 17 ans » confirme M., 22 ans, avant de poursuivre « ceux qui programment à l’avance sont ceux qui passeront une meilleure soirée. Si on opte pour l’ecstasy, tout le monde cherchera à s’en approvisionner pour être en symbiose. »

Le Professeur Fatima El Omari, addictologue et psychiatre spécialisée dans le traitement de la toxicomanie à l’hôpital Arrazi à Salé nous confie son inquiétude. « L'usage de substances psychoactives a connu un changement de son paradigme durant ces 10 dernières années. On est devant un fléau qui touche de plus en plus les jeunes. L'âge d initiation est devenu de plus en plus précoce, situé en moyenne vers l'âge de 14 ans au Maroc et il y a une proportion de jeunes qui démarre la consommation bien avant. Les usagers consomment plusieurs substances psychoactives et nous voyons de plus en plus de jeunes déjà concerné par une addiction à plusieurs substances ou "polyaddictions". »

«La mode est à la consommation de toutes les substances» cofirme M., qui égrène les noms des substances tendances du moment en bon élève « 2.0, valium ou encore karkoubi, Zepam, ecstasy… les jeunes, de toutes les classes sociales s’y mettent.»

Et de poursuivre fataliste, « le soir du nouvel an est devenu une tradition chez les jeunes au Maroc. Ce soir là on va faire la fête, on va bien boire, plus que d’habitude. Ghan rawnouha. »

Nouvelle substance tendance chez les plus jeunes, l’hélium que l’on inhale en ballon. « On est prit d’une sensation de vertige puis d’un gros fou rire », explique R., 18 ans.

Leur succès auprès des jeunes, ces médicaments et produits chimiques le doivent à leur prix bien trop abordable. « Le comprimé d’ecstasy se vend entre 25 et 150 dhs. Plus on achète tôt et en quantité, moins le prix est cher. Pour le 31, on prévoit à l’avance parce qu’en boîte de nuit, les dealers en demanderont 150 dhs l’unité. » Drogue de fêtes et d’afters, l’ecstasy est en bonne position dans le classement. « Tant que tu écoutes de la musique, tu es bien, tu continues d’avoir envie de boire et de taper » nous explique M.

Vient enfin la MDMA qui possède la particularité de pouvoir être dissoute dans l’eau. « Pratique pour rentrer en boîte ni vu ni connu avec sa petite bouteille d’eau » poursuit-il.

Ces jeunes consommateurs avides des nouvelles substances, Fatima El Omari en voit défiler chaque jour au centre d’addictologie. « Les substances psychoactives les plus consommées au Maroc sont le tabac, l alcool, le cannabis et les benzodiazepines détournées de leur usage médical et qui sont nommés dans la rue "karkoubi". Nous avons constaté une augmentation de la consommation de la cocaïne et le crack, certains dérivés des amphétamines comme la MDMA ou ecstasy, utilisés surtout en milieu festif et par les jeunes ont connu une augmentation très importante de leur usage durant ces dernières années. L'usage des dérivés opoides sous forme d'héroïne et de médicaments antalgiques détournés de leur usage à base de la codéine ou de la morphine ou d'autres dérivés antalgiques comme le tramadol, l’acupan... »

Craignant l’arrivée au Maroc de nouvelles drogues qui font des ravages ailleurs, la spécialiste tire la sonnette d’alarme. « Le monde est actuellement envahi par les nouvelles substances psychoactives qui sont des drogues chimiques synthétisées pour imiter les drogues existantes. Il y a deux principales variétés "les cannabinoides de synthèse qui sont du cannabis synthétique et les cathinones qui imitent les drogues stimulantes telles la cocaïne. Ces nouvelles drogues sont très puissantes et très toxiques. Elles ont fait plusieurs décès. Nous appréhendons leur arrivée chez nous. »

Nouvel an = excès. L’équation destructrice.

A mesure qu’on prend de l’âge, le soir du 31 se profile en mode canapé, télévision et bon petit plateau repas. Mais pour beaucoup, nouvel an rime avec excès, fête, excitation…

Fatema El Omari conclut sur les risques encourus spécialement au moment des festivités. « Les fêtes peuvent être une occasion pour expérimenter ou abuser des drogues. Ça pourrait être une occasion d initiation aux drogues surtout chez les jeunes adolescents qui chercheront à imiter leur pairs ou une occasion pour en abuser.

Plusieurs cas d’intoxication ou d’overdose peuvent être constatées lors des fêtes ou en milieu festif. Certaines drogues comme l’alcool, la cocaïne, les opoides, l’ecstasy et les benzodiazepine peuvent être concernées par des prises excessives et rapides et vont aboutir à des Binges et à des dommages ou à des intoxications qui sont mortelles. Des états de violence, des accidents de la voie publique, des problèmes somatiques et psychiques peuvent être la conséquences de ces états d'intoxications. Ainsi la vigilance et la mise en place des équipes de réduction de risque ou d'ONGs mobiles: qui se déplacent dans les milieux festifs ou lors des fêtes comme la fête du nouvel an vont pouvoir sensibiliser les usagers aux risques liés à la consommation et permettent la réduction et la prévention des dommages liés à l'usage excessif des drogues lors des fêtes. »

Et pour prévenir les rechutes, certains choisissent l’enfermement comme nous l’explique la spécialiste. « Certains patients hospitalisés en ce moment chez nous, au service d’addictologie de l’hôpital Arrazi de Salé refusent de sortir car ils appréhendent la rechute. Le nouvel an est pour eux une situation à haut risque de rechute. Il est associé à une mémoire et à des envies de consommer la drogue. »

Encadré : Les barons de la drogue colombiens à l’assaut du Maroc.

Il y a quelques jours à peine, le BCIJ démantelait un réseau international de trafic de cocaïne, dont les membres s’apprêtaient à établir un pont aérien entre le Maroc et l’Amérique latine. Une tonne de cocaïne a ainsi été saisie au large d’EL Jadida. Une prise de taille qui a permis au BCIJ de découvrir l’ampleur du plan qui se tramait à l’international et dont le Maroc représentait une pièce importante de l’échiquier. Ainsi, les documents saisis lors de cette prise ont permis de découvrir que la mafia colombienne avait aménagé une piste secrète pour les petits avions dans la région de Dakhla et que les trafiquants voulaient transformer le Maroc d’un simple point de passage à un «empire colombien». Objectif final de la manoeuvre : stocker la cocaïne au Maroc et la redistribuer à large échelle. Le centre névralgique des opérations était censé couvrir une large surface en front d’océan Atlantique, de Casablanca à El Jadida et de Boujdour à Dakhla. Autant d’escales reliées et approvisionnées par voie aérienne, routière, maritime et en constance liaison par moyens de communication satellitaires.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 30/12/2018 à 17h45