Un ancien collaborateur d’Akhannouch à la tête d’ADM: faut-il craindre un conflit d’intérêts sur les stations-service?

Mohammed Cherkaoui Eddeqaqi, directeur général de la Société nationale des autoroutes du Maroc (ADM). (W. Belfkih/Le360).

Mohammed Cherkaoui Eddeqaqi, directeur général de la Société nationale des autoroutes du Maroc (ADM). (W. Belfkih / Le360)

Nommé le 1er juin dernier à la tête de la Société nationale des autoroutes du Maroc (ADM), Mohammed Cherkaoui Eddeqaqi aura à gérer le vaste chantier des infrastructures autoroutières du pays, comme les juteux marchés qui vont avec. À commencer par les très rentables stations-service et aires de repos, dont l’acteur numéro 1, Afriquia, est la propriété d’un certain Aziz Akhannouch, ancien employeur du nouveau DG d’ADM.

Le 08/07/2024 à 08h00

Sa désignation en tant que nouveau directeur général d’Autoroutes du Maroc aura été une surprise parmi les nominations décidées au Conseil des ministres, le 1er juin dernier, de nouveaux responsables à la tête de certains établissements publics stratégiques. Mohammed Cherkaoui Eddeqaqi était jusque-là inconnu au bataillon des dirigeants marocains appelés à occuper de hautes fonctions. Car jusqu’à cette date, son «truc» à lui, c’était l’aménagement des stations balnéaires, avec le succès tout relatif que l’on connaît à ces projets censés porter le tourisme de loisirs dans le pays.

À l’actif de Mohammed Cherkaoui Eddeqaqi, la station de Saïdia, qui a toujours du mal à décoller et qui reste tributaire d’une handicapante saisonnalité et du retour estival des Marocains résidant à l’étranger. Après avoir été directeur du pôle opérations à MedZ, filiale aménagement du groupe Caisse de dépôt et de gestion (2012-2013), il a en effet été le directeur général délégué de la Société de développement de Saïdia (2013-2014). Il a également exercé en tant que directeur général délégué à New Marina Casablanca (2014-2015) et directeur général délégué en charge du pôle Project management à Madaëf, autre filiale du groupe CDG, entre 2015 et 2020.

Là où il aura marqué son record personnel de longévité et de réussite professionnelle, c’est à la tête de la Société d’aménagement et de promotion de la station de Taghazout, dont il a été cette fois-ci le directeur général, de 2020 au 1er juin 2024. Et c’est là où le bât blesse. Et pour cause, en dehors de la très institutionnelle CDG, qui contrôle 45% de ses actions, Taghazout Bay compte parmi ses principaux actionnaires… le groupe Akwa. Comptez 25% des parts, à égalité avec le fonds d’investissement Ithmar Capital, les 5% restants revenant à la SMIT (Société marocaine d’ingénierie touristique).

Actionnariat de la Société d’aménagement et de promotion de la station de Taghazout. (W. Belfkih/Le360).

Le hic, et c’est peu dire, est que c’est ce même groupe Akwa, propriété du chef du gouvernement Aziz Akhannouch, s’accapare, via sa filiale Afriquia, la vraie poule aux œufs d’or de toute autoroute: les stations-service. Faut-il craindre un conflit d’intérêts à l’aune des nombreux projets autoroutiers en cours ou à venir au Maroc? Le géant de la distribution de carburants au Maroc étant, de facto, l’ex-employeur de l’actuel patron d’ADM, la question est légitime à plus d’un titre.

Un responsable, quel qu’il soit, peut-il du jour au lendemain oublier d’où il vient et les faveurs dont il a pu bénéficier de la part de son ancien employeur, à qui il doit d’ailleurs une partie de sa carrière, et ne pas envisager, d’une manière ou d’une autre, un renvoi d’ascenseur ou une forme de loyauté? Rien n’est moins sûr. Ceci, d’autant que la nomination même de Mohammed Cherkaoui Eddeqaqi à la tête d’ADM a été décidée, comme le précise le communiqué du cabinet royal, «sur proposition du Chef du gouvernement».

Le fait est que, la toile autoroutière se développant et ouvrant grand la voie à un commerce aussi lucratif que convoité, les enjeux sont énormes. Les risques aussi. Les gares de péages ne sont pas les seules à voir leurs caisses se renflouer d’année en année, avec une moyenne quotidienne de 200.000 véhicules qui empruntent nos autoroutes. Pour la seule année 2023, ADM a enregistré une évolution de 6% de la circulation autoroutière et de 6,6% des transactions de péage. Le chiffre d’affaires consolidé s’est quant à lui élevé à 4,7 milliards de dirhams en 2023, en progression, tenez-vous bien, de 17% par rapport à 2022.

Il y a aussi les aires de repos, les pauses étant nécessaires sur un réseau long de 1.800 km, le plus important en Afrique après l’Afrique du Sud. Au nombre de 60, selon ADM, celle-ci sont appelées à progresser davantage, en nombre comme en taille.

Un business «Plug & Play»

Si aucune norme ne spécifie une distance minimale à respecter entre deux aires de repos, celles-ci «sont espacées en moyenne d’environ 50 kilomètres, soit moins de 30 minutes en vitesse de croisière», explique ADM, à qui revient la charge d’en déterminer les emplacements… que s’arrachent les distributeurs de carburants.

Le modèle économique obéit à la règle du «Plug & Play»: ADM se charge de l’acquisition des terrains et éventuellement de leur expropriation, ainsi que de leur viabilisation (terrassement, voirie, parkings, accès, éclairage public, raccordement au réseau électrique et d’eau potable…), avant de les mettre à la disposition du futur exploitant.

Pour ce dernier, un package minimal suffit, composé d’une station-service, d’un restaurant et de blocs sanitaires. Encore heureux. La société exploitante peut néanmoins se permettre de voir plus grand en ouvrant des commerces, des aires de jeu, voire un hôtel. Quant à la durée du contrat de concession, elle est établie en règle générale à une vingtaine d’années renouvelable.

L’ensemble est fixé dans le cadre d’un appel d’offres où tout se joue sur l’offre financière, les dossiers techniques étant souvent quasi identiques. Le marché est ainsi accordé au mieux-disant, soit la société qui versera la redevance la plus avantageuse pour ADM, et les délais d’exécution sont de 9 mois une fois l’appel d’offres tranché. «Nous ne sommes donc jamais à l’abri ni d’un délit d’initié ni d’un préalable», avertit ce dirigeant au sein d’une chaîne internationale de distribution de carburants installée au Maroc.

Un gâteau pour trois

La société exploitante verse en effet une redevance annuelle à ADM, calculée sur la base d’un forfait, majoré d’un intéressement sur le chiffre d’affaires. Ledit chiffre d’affaires est d’ailleurs plus que confortable, vu les marges stratosphériques pratiquées dans les aires de repos sur les produits hors-carburants. Ainsi, dans les rayons des commerces de ces stations, gérées en direct par les exploitants, les produits sont en général 40% plus chers que les prix habituels. Une tarification que les gérants justifient par les coûts de transport, par le volume des ventes forcément inférieur à celui d’un supermarché, mais aussi par l’obligation de rester ouvert 24h sur 24 et les frais liés à la redevance versée à ADM.

Le secteur étant fortement capitalistique, seuls les grands acteurs y ont droit de cité. Au Maroc, nommons principalement Vivo Energy (via la marque Shell), Total et… Afriquia. Les trois s’adjugent quelque 80% du marché, dont une bonne moitié revient à la filiale du groupe Akwa, «au nom d’une règle non écrite de préférence nationale». «Il suffit d’ailleurs de voir les emplacements des stations-service les plus stratégiques sur les axes rentables pour s’en rendre compte. Pour chaque aire de repos Vivo Energy ou Total, il y a juste en face une station Afriquia», notre notre interlocuteur.

Sur les trois principaux axes autoroutiers actuels (Casablanca-Rabat, Casablanca-Settat et Rabat-Kénitra), seuls les trois premiers groupes pétroliers sont présents. Il faudra aller au sud de Settat pour retrouver d’autres enseignes, comme Winxo ou Petrom. «Au caractère onéreux d’une telle installation s’ajoute le fait qu’il est presque impossible de s’imposer devant les géants du secteur, dont la rentabilité repose sur le caractère massif des installations sur l’ensemble du réseau. Nous ne faisons simplement pas le poids», explique ce cadre d’un pétrolier «de taille moyenne» ayant requis l’anonymat.

La tendance n’est pas près de changer, sachant que le développement du secteur se conjugue toujours au futur, et que l’activité, saisonnière (30% du CA est réalisé en été), est appelée à devenir plus régulière. À titre indicatif, le plan d’investissement d’ADM devrait atteindre plus de 8 milliards de dirhams pour les trois prochaines années, comme le précise le rapport sur les entreprises et établissements publics (EEP) annexé à la loi de finances 2024. En cours, notamment, l’autoroute Tit Mellil-Berrechid et la continentale Rabat-Casablanca. Les projets d’autoroute Marrakech-Béni Mellal et l’autoroute Berrechid-Had Soualem sont à l’étude, de même que de nombreux autres programmes, à la faveur des grands rendez-vous que s’apprête à accueillir le Maroc, notamment de nature sportive (la Coupe d’Afrique des nations 2025 et surtout le Mondial 2030).

Autant dire que tous les regards seront tournés vers les performances du nouveau directeur général d’ADM, autant que vers la transparence des opérations de la société publique. Il y a peu, cette dernière a été justement placée sous la loupe d’une mission temporaire exploratoire initiée par la Chambre des représentants. Celle-ci devait remettre son rapport en mai dernier. Tout est de savoir s’il est toujours d’actualité au vu des nombreux tracas auxquels ADM doit faire face (dette abyssale, retards observés dans la construction de tronçons routiers, services offerts par la société, conditions de travail de ses salariés sur les chantiers…). Une chose est sûre: ADM se passerait bien d’un surplus d’ennuis, qui seraient cette fois-ci liés à sa gouvernance. Et son jeune DG ne le sait que trop.

Par Tarik Qattab
Le 08/07/2024 à 08h00

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Le 360 est mon compagnon depuis des années; je l apprécie pour la diversité des themes et pour sa ligne éditoriale, Ses articles sont mesurés et il a le souci de l’intérêt national. La question soulevée ici est tout à fait légitime et le serait par la presse dans n importe quel pays démocratique.

La réponse est évidente, consternante, et surtout se trouve dans le titre.

franchement on est pas à un conflit d'intérêt près !

rien de nouveau sous le soleil. c'est comme ça depuis au moins 1956

Il s'agit d'un homme de terrain , il reuni competence ,engagement et honnetete . Il y a lieu de lui souhaiter bonne route pour sa nouvelle mission . Bonne chance

De grâce arrêtez de répéter à satiété qu'akhnnouch est propriétaire d'Afriquia. Allez dans les archives du quotidien '' Le Petit Marocain '' qui avait consacré un billet, au milieu des années 1960, sur l'inauguration delà 1ère station Afriquia Elf angle rue de Dixmude (où je résidais) et le bd de la Résistance à Casablanca, vous apprendrez beaucoup de choses Somme toute chaque détenteur d'un pôle d'activité monopolistique est,contre toute logique intellectuelle, réputé être un bon gestionnaire..

C’est ce qui fait de nous un pays en voie de développement…laissons leur argent et notoriété et que chacun profite de sa courte vie. Car le temps passe très vite.

وما خفي اعظم

Nous ne sommes plus à unconflit d'intérêt près Vous savez , maintenant on est vacciné et rien ne viendra ébranler notre sommeil profond .

Parlons de ses compétences, le reste c'est le temps qui le montrera. Mr Akhnouch ou autre on s'en fou, le plus important c'est l'engagement et le travail sur le terain.

Il a été ministre de l'agriculture pendant 14 ans. Allez voir le bilan en terme d'eau potable.

Je crois que l'article est mal positionné et ne représente pas fidèlement la réalité, d'autant plus qu'il est rédigé sans impartialité.

Très déçu des résultats catastrophique de l'exécutif actuel, je vais essayer, en deux point, de porter une analyse personnelle. 1) Le groupe de M. le Premier Ministre a payé une amende de 1,... milliard pour fraude et manipulation des tarif du carburant. Dans un pays européen, cela est considéré comme une trahison. 2) Quand on est chef d'entreprise, deux visions de procéder s'imposent. a) Soit, on réduit la marge du patron et mieux réénumérer les ouvriers, fonctionnaires,... finalement augmenter leur pouvoir d'achat et relancer l'économie, en créant de nouveaux clients ...b) Une autre vision consiste à esclavager ses employés pour gagner le maximum et ruiner l'économie globale. Les patrons du dernier cas sont souvent des kleptomanes et ont peu de moral!

c'est quoi l'objectif de cet article? semer le doute dans les esprits? suggérer que tout le monde est coupable jusqu'à preuve du contraire? prévenir (mieux que guérir)? honnêtement, je ne comprends pas le but recherché. s'il y a anguille sous roche, c'est aux concurrents "lésés" de s'adresser à la justice. en plus la préférence nationale est préconisée. pourquoi laisser partir des devises? si Akwa a les moyens pour engager de tels investissements hautement capitalistiques, pourquoi pas? beaucoup de riches de chez nous cherchent la rente plutôt que d'investir dans des projets créateurs d'emplois et de richesse.pourquoi reprocher à Akhannouch d'investir? en plus, avant l'arrivée même du nouveau DG d'ADM, Afriquia est déjà favorisée selon cet article, non?

Aziz Akhanouch a été Ministre de l'Agriculture pendant 14 ans. Quand on voit son bilan, ca fait vraiment peur. Une baisse drastique des ressources en eau du Royaume. Des pasteques cultivées en zone désertique.

je ne vois pas en quoi c 'est mal de faire des affaires ? tous le monde peut faire des affaires dans une économie de marché

...une economie de marché dans le cadre d un liberalisme sauvage

"tous le monde peut faire des affaires" Tout le monde peut faire des affaires ? Non. Pas les fonctionnaires. Pas les membres du gouvernement. Pas les gens qui dirigent des entreprises publiques. Il n'y a vraiment que en Afrique qu'on lit ce genre de propos.

Ailleurs on procède par un appel à candidature avec une description détaillée du profil recherché et des buts assignés au poste . Une sélection est ensuite établie par une commission qui établit une short liste à soumettre aux décideurs .

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