Après le HCP, le CESE: quand Akhannouch conteste la légitimité d’instances constitutionnelles

Le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch.

Après avoir remis discrètement en question la fiabilité des derniers chiffres du Haut-Commissariat au plan sur le chômage, le Chef du gouvernement s’en est ouvertement pris au dernier avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Cette attitude, tendant à décrédibiliser des institutions constitutionnelles, apolitiques et indépendantes, est une dérive aussi fâcheuse qu’inquiétante. Et c’est peu de le dire.

Le 10/05/2024 à 15h14

La «scène» s’est déroulée hier jeudi 9 mai à la Chambre des conseillers, lors d’une séance réservée à la présentation du bilan de mi-mandat du gouvernement. Présent ce jour-là, le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch a entamé sa prise de parole en s’attaquant… à la publication, la veille, d’un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur les NEET, soit les personnes âgées entre 15 et 35 ans et actuellement sans emploi, sans éducation et sans formation. Une situation où se trouvent 4,3 millions de Marocains, dont 1,5 million pour la seule catégorie d’âge comprise entre 15 et 24 ans.

Le phénomène, d’une immense ampleur donc, illustre une forme d’inefficacité des actions des différents gouvernements qui se sont succédé, et menace la cohésion et la stabilité sociale en alimentant vulnérabilité et inégalités.

On passera sur le fond des réponses du Chef du gouvernement, pour ne retenir que son attaque frontale contre le CESE, institution constitutionnelle apolitique et indépendante, dont la mission est de servir les (bons) indicateurs quant à l’état de la nation. «Je constate que le timing de publication du rapport de ce conseil coïncide avec la présentation de notre bilan. J’espère que ce n’est qu’un hasard. Sinon, ce serait problématique pour nos institutions constitutionnelles», a affirmé Aziz Akhannouch, suggérant néanmoins un choix prémédité du CESE, présidé par Ahmed Chami, et sciemment orchestré pour parasiter le bilan mi-mandat de l’exécutif. «Je leur accorde le bénéfice du doute», a déroulé, magnanime, le Chef du gouvernement.

Sauf qu’en agissant de la sorte, il outrepasse largement ses prérogatives et, séparation des pouvoirs oblige, le «bénéfice du doute» qu’il dit accorder n’est pas pertinent en pareille circonstance.

Aziz Akhannouch n’en est pas à son premier dérapage s’agissant des instruments de bonne gouvernance dont le Maroc ne peut être que fier. Le «brief» ayant réuni les directeurs de publication des principaux médias du pays, en février dernier, au lendemain de la publication par le Haut-Commissariat au plan (HCP) de son rapport sur le chômage, est un secret de polichinelle. Son objet n’était d’ailleurs autre que de jeter «légèrement» le discrédit sur les chiffres alarmants présentés par le HCP, notamment un taux de chômage record, dépassant les 13%, et plus de 500.000 emplois détruits en 2023.

Des chiffres récusés par l’exécutif, qui soutient que le HCP n’a recensé que 50.000 postes d’emplois rémunérés créés en 2023, alors que la CNSS en a dénombré 350.000. Mieux, les 500.000 emplois en question n’auraient pas été détruits, mais seulement «occultés», certaines personnes ayant été tentées de mentir aux enquêteurs du HCP… pour profiter des aides sociales.

Nuancer un constat est certes une pratique courante en matière politique. Débattre, voire récuser, les données fournies dans un rapport par une institution constitutionnelle n’est pas interdit. Mais douter de la bonne foi de l’équipe qui a produit un rapport sur l’évolution de la société est une dérive qui s’apparente à une intimidation délibérée à l’adresse de toute institution indépendante qui oserait aller à l’encontre du narratif de l’exécutif.

«Ces instruments, qu’ils soient régaliens, judiciaires ou de bonne gouvernance, permettent non seulement de disposer de la data nécessaire à toute politique publique, mais sont les garants de la crédibilité du Maroc sur la scène internationale, notamment auprès des bailleurs de fonds dont le gouvernement Akhannouch a justement grand besoin par les temps qui courent. Loin d’être des adversaires politiques, ils sont au contraire des outils d’aide à la prise de décision», oppose ce constitutionnaliste. «Si Bouya Omar a été fermé, c’est grâce à un rapport du CNDH sur la santé mentale. Et si les distributeurs d’hydrocarbures ont revu leur trop-plein d’appétit, c’est grâce aux mesures imposées par le Conseil de la concurrence», ironise-t-il, un brin persifleur.

En cherchant à discréditer le CESE, tout en laissant supposer que cette institution sert un agenda politique, le chef du gouvernement chercherait-il à exercer une forme de contrôle sur des institutions constitutionnelles? Car l’élargissement du champ de l’action gouvernemental à des structures apolitiques est une censure des mauvais indicateurs sur l’évolution de la société qui ne sert pas l’État de droit.

Par Tarik Qattab
Le 10/05/2024 à 15h14