Gouvernement: le narratif du mi-mandat, et après?

Mustapha Sehimi.

ChroniqueSi le bilan de mi-mandat dressé par le Chef du gouvernement, le mercredi 24 avril, devant les deux Chambres du parlement, a été marqué du sceau de l’optimisme, les perspectives du reste de ce mandat comporte encore plus dé défis à relever, et ce dans pratiquement dans tous les domaines.

Le 02/05/2024 à 15h03

Assurément, le bilan du gouvernement devait être fait à mi-mandat, trente mois donc après son investiture par le Parlement en octobre 2021. Le Chef de l’exécutif Aziz Akhannouch devait y sacrifier et s’astreindre à cet agenda pour dresser l’état des réalisations enregistrées et définir les lignes de ce qui reste à entreprendre pour le second mi-mandat.

Le bilan dressé, le mercredi 24 avril, devant les deux Chambres du parlement est d’emblée marqué du sceau de l’optimisme: «Les réalisations dépassent toutes les prévisions et les attentes...». De quoi envisager résolument «l’avenir avec confiance», a-t-il martelé. Des promesses et des engagements pris à l’automne 2021 et tenus, un cap clair, mobilisateur et assumé pour 2026 et même au-delà… Aziz Akhannouch a réaffirmé sans cesse la détermination du gouvernement à poursuivre son action.

Le panorama est large, couvrant pratiquement tous les domaines. Un premier axe est celui de l’État social, une «vision éclairée de SM le Roi», a-t-il déclaré, laquelle s’est déclinée autour de politiques publiques sectorielles. Les aides sociales participent pleinement de ce référentiel. Ainsi, 3,5 millions de familles, soit plus de 12 millions de personnes, bénéficient d’une aide financière de l’État, régulière et prévisible. Sur la base du registre social unifié (RSU), un ciblage approprié a pu se faire. Il faut y ajouter les allocations spécifiques accordées aux familles pour près de 5 millions d’enfants, dont 1,2 million de moins de 6 ans. Les familles sans enfant ont droit à une aide forfaitaire de 500 DH. Ce sont là des «mesures fortes, ciblées et immédiates pour améliorer le pouvoir d’achat des familles».

Dans le domaine du logement, des aides pour l’accès à la propriété ont été également instaurées, de 100.000 DH pour l’achat d’un bien au prix inférieur à 300.000 DH, et de 70.000 DH pour une acquisition entre 300.000 DH et 700.000 DH. À ce jour, plus de 60.000 demandes ont été enregistrées, avec un taux d’acceptation de 90% environ. La généralisation de la couverture sociale est en voie. En 2022, en application des orientations royales, l’Assurance maladie obligatoire (AMO) a été appliquée à 22 millions de bénéficiaires supplémentaires, dont des travailleurs non-salariés, des personnes vulnérables (AMO Tadamon) et des personnes sans ressources (AMO Achamil), dont les cotisations sont prises en charge, pour un coût de 9,5 milliards de dirhams (MMDH) par an.

S’agissant de la santé, ce qui est en œuvre est une nouvelle gouvernance et la mobilisation de moyens budgétaires plus conséquents. L’articulation mise en place intéresse plusieurs domaines: une gestion décentralisée de la santé publique, avec douze groupements sanitaires territoriaux et à terme, dans chaque région, un CHU et une faculté de médecine; la création de la Haute autorité de la santé et de l’Agence marocaine du sang, etc. Depuis 2021, le budget de la santé publique a augmenté de 55%, pour atteindre les 31 milliards de dirhams en 2024 à hauteur de 31 MMDH.

L’éducation est un autre axe prioritaire, avec l’ouverture de plus de 600 «écoles pionnières», accueillant 322.000 élèves en 2023, avec une extension à 2.000 écoles en 2024, et un rythme annuel de 500 collèges à la rentrée 2026. L’investissement dans la réduction des inégalités scolaires et territoriales se voit doter de leviers opérationnels de lutte contre l’abandon scolaire, notamment en milieu rural. Dans le préscolaire, le budget dédié enregistre une forte augmentation, à 2,4 MMDH en 2023, contre 2,1 MMDH en 2021.

La problématique de l’emploi et de l’investissement est un autre grand dossier. Des programmes novateurs ont été mis en place pour relancer l’emploi post-épidémie Covid-19. Le programme «Awrach», un programme de petits et de grands travaux, a généré à fin 2023 plus de 221.000 offres d’emploi immédiates pour un budget de 4,5 MMDH (60% des bénéficiaires dans le rural, et 30% de femmes). Le programme «Forsa», dédié à l’accompagnement et au financement des porteurs de projets d’entreprise, a totalisé 21.200 bénéficiaires (32% de femmes et 76% de jeunes). Le financement est possible jusqu’à 100.000 DH par projet, avec un budget global de l’ordre de 2,5 MMDH.

Le tourisme est une autre priorité avec le plan qui a mobilisé 2 MMDH en 2022 pour le soutien des investissements dans 800 établissements hôteliers, et le reste pour des indemnités de 40.000 travailleurs, la promotion du secteur et le développement de la desserte aérienne. Ce qui a permis une forte relance du secteur, attestée par l’accueil de 14,5 millions de touristes en 2023. Avec l’agriculture, les contraintes sont doubles: l′impact de la pandémie Covid-19 et de la sécheresse structurelle depuis trois ans. Des programmes d’appui ont été appliqués pour la saison 2022-2023 (10 MMDH) et du même montant pour celle de 2023-2024.

Après ce premier bilan à mi-mandat, le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch a fixé les axes du second mi-mandat, d’ici 2026. Il considère à cet égard que les perspectives sont prometteuses pour 2024-2026. L’une d’entre elles intéresse la consolidation des fondations de l’État social. La réforme du Code de la famille, un «chantier de règne», a fait l’objet de propositions de la commission ad hoc à la fin mars. Elles doivent être approuvées par SM le Roi, Commandeur des Croyants, avant de prendre forme dans un projet de loi soumis à la délibération du Parlement. Concernant la justice, le chantier concerne le renforcement de son indépendance, de son efficacité et de son accessibilité. Des réformes sont à l’ordre du jour: procédure civile, peines alternatives, gestion des établissements pénitentiaires, procédure pénale, Code pénal, digitalisation de la justice, etc. Le gouvernement s’engage, par ailleurs, à pérenniser le financement du système social: consolidation des régimes de l’AMO et des aides sociales directes, lesquelles projettent des budgets de 26 MMDH en 2025 et de 29 MMDH en 2026.

Une autre priorité regarde «la bataille de l’emploi» par la stimulation de l’investissement productif et la promotion de l’entrepreneuriat. La stratégie «Génération Green» vise à consolider les acquis du secteur agricole, à accompagner sa transformation et à garantir sa résilience face au dérèglement climatique. De plus, celle de la diversification industrielle sera poursuivie pour créer plus de 400.000 emplois stables d’ici 2026, avec des positionnements sectoriels particuliers: automobile, aéronautique, filières de batteries, valorisation des ressources minières… Dans le secteur du tourisme, la feuille de route 2023-2026 continuera à être mise en œuvre en vue d’atteindre les objectifs prévus: 17,5 millions de touristes, 120 MMDH de recettes en devises et création de 200.000 nouveaux emplois directs et indirects. Il faut ajouter à cela une stratégie de développement du numérique, Morocco 2030, pour faire du Royaume un hub digital et accélérer ainsi le développement territorial, économique et social, et générer des emplois de haute qualification.

Comment assurer la complémentarité des investissements publics et privés? Des projets stratégiques sont lancés (ligne ferroviaire grande vitesse, liaison électrique très haute tension depuis les provinces du Sud, infrastructures hydrauliques, gazoducs, complexes sportifs…). Le Fonds d’investissement Mohammed VI sera un levier de promotion des investissements privés. L’investissement public devra être davantage rationalisé. Le secteur privé, lui, sera stimulé pour appuyer la Nouvelle charte de l’investissement et la mise en œuvre des stratégies sectorielles. Le soutien des entreprises, c’est aussi la garantie de leur sécurité juridique et fiscale. Le climat des affaires est à consolider.

Relever les défis: telle est l’ambition du gouvernement d’ici 2026. Cela commande la redéfinition des relations entre l’État et les territoires, via une contractualisation État-région. Référence est faite, par ailleurs, au parachèvement du caractère officiel de la langue amazighe, avec la mobilisation d’un budget annuel d’un milliard de dirhams par an à l’horizon 2026, l’intégration de cette langue dans les administrations et la généralisation de son usage dans l’enseignement dans 50% au moins des écoles primaires en 2026.

Avec la Coupe d’Afrique des nations en 2025 et la Coupe du Monde FIFA conjointement avec l’Espagne et le Portugal en 2030, voilà deux grands évènements internationaux qui illustreront la stratégie royale de développement du sport et des ambitions touristiques du Royaume. De grands chantiers sont à l’ordre du jour. Ils vont accélérer la modernisation des infrastructures sportives, hôtelières, de transport et d’aménagement de territoires. De quoi mobiliser des investissements locaux et ceux de partenaires étrangers, publics et privés. Un catalogue de mesures est attendu. Des annonces aussi. Et des ambitions…

Après cette présentation du bilan de son gouvernement à mi-mandat, suivi dans cette même ligne d’une émission spéciale de télévision sur les deux chaînes publiques, Al Oula et 2M, puis un accord finalisant deux jours après, à la veille de la fête du Travail, le 1er mai, le dialogue social. Un acte d’apaisement des contestations sociales portées par les centrales syndicales. Les principaux points à relever à cet égard sont les suivants: augmentation générale mensuelle de 1.000 DH des salaires des fonctionnaires, baisse de l’impôt sur le revenu (IR) pour l’ensemble des salariés, augmentation du SMIG d’une nouvelle tranche de 10%, applicable également au SMAG. Des mesures accueillies positivement par les syndicats, qui n’ont pas manqué au passage de rappeler d’autres revendications encore à l’ordre du jour.

Ce qui renvoie à ce qui doit être entrepris dans les mois à venir. Il est ainsi prévu pour la présente session parlementaire la présentation d’un projet de loi organique sur le droit de grève, un texte ayant été déposé devant le Parlement depuis 2016, et qui a été amendé par ce cabinet. Les acteurs auraient pris l’engagement d’en délibérer et de l′adopter lors de la présente session. La réforme du Code du travail, en vigueur depuis 2004, avait fait partie des accords du 30 avril 2022. Il est désormais question d’une révision progressive, visant un nouveau régime des relations sociales au sein des entreprises (flexibilité, travail intérimaire, travailleurs non salariés, perte d’emploi, formation continue, etc.). Et puis encore le grand dossier des régimes de retraite. En l’état, aujourd’hui, il coûte 2 MMDH par an aux finances publiques. Il faudra bien s’atteler à une réforme globale, articulée autour de deux pôles, l’un public et l’autre privé. Par-delà les différents régimes, il s’agit de repenser l’ensemble du système. Enfin, comment ne pas évoquer d’autres réformes inachevées: la lutte contre la corruption n’est pas jugée probante au vu du mauvais classement du Maroc par les institutions internationales spécialisées, ainsi que la grande réforme fiscale recommandée par les 3èmes assises de mai 2019. En même temps, ce cabinet ne peut reporter la révision de textes importants: Code pénal, code de procédure pénale, Code de procédure civile et le Code de la famille.

Tout cela se fera-t-il avec la même majorité? Certainement. Mais avec la composition initiale d’octobre 2021? Aziz Akhannouch, interrogé sur ce point dans son interview sur les deux chaînes nationales, a fait cette réponse à propos d’un remaniement ministériel: «Nous nous déciderons sur la façon avec laquelle la prochaine phase sera gérée lorsque nos alliés seront prêts». Le PAM a tenu son congrès en février dernier, et l’Istiqlal vient d’organiser ses assises le week-end dernier. Sont-ils prêts?

Par Mustapha Sehimi
Le 02/05/2024 à 15h03