L’économie nationale est encore dans le creux de la vague cette année, après s’être redressée relativement l’année dernière. Les premiers chiffres confirment les prévisions qui tablaient sur le ralentissement de la croissance du PIB en 2024, notamment celles de Bank Al-Maghrib (2,8%) et de la Banque mondiale (2,4%).
Ainsi, l’économie marocaine a affiché un taux de croissance de 2,5% au cours du premier trimestre 2024, au lieu de 3,9% durant la même période de 2023, a indiqué le HCP. À rappeler que le PIB du pays a terminé 2023 avec une croissance de 3,4%, après un taux de 1,5% en 2022. Qu’est-ce qui explique donc un tel ralentissement?
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D’après les économistes interrogés par Le360, l’atonie de la croissance s’explique surtout par la baisse de la demande interne, conséquence de l’érosion du pouvoir d’achat des ménages.
Ainsi, un cumul de facteurs a fait que l’économie nationale soit entrée dans une phase stationnaire, voire de recul, depuis 2019, explique Mehdi Lahlou, professeur de sciences économiques à l’Institut national de statistiques et d’économie appliquées (INSEA) de Rabat. Il s’agit notamment de la crise du Covid-19, la sécheresse, la guerre en Ukraine et le renchérissement des prix des matières premières. En parallèle, l’inflation a entamé sa montée en 2022 et est restée élevée jusqu’en 2023.
Ce qui s’est traduit par l’affaiblissement du pouvoir d’achat et, par ricochet, un recul de la demande interne qui a impacté négativement la croissance économique, selon notre interlocuteur. Ce dernier a relevé que, par le passé, c’était surtout la demande intérieure qui portait la croissance économique. Mais, depuis 2021, cette demande s’est essoufflée.
Réponse inadaptée du gouvernement
L’économiste a également relevé que la politique économique du gouvernement Akhannouch n’a pas arrangé les choses, puisqu’elle n’a pas permis une redistribution, via le système fiscal, en faveur des ménages pauvres. À cet effet, il a appelé à taxer les super profits dans certains secteurs comme le secteur pétrolier, le secteur financier ou l’économie numérique. Il estime aussi que la revalorisation du SMIG n’a pas eu un impact palpable sur le pouvoir d’achat.
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Analysant à son tour le comportement de l’économie nationale, Driss Effina, également professeur à l’INSEA, abonde globalement dans le même sens, en pointant du doigt notamment le resserrement de la politique monétaire. Visant la maitrise de l’inflation, ce durcissement monétaire qui s’est traduit par la hausse du taux directeur de Bank Al-Maghrib, a impacté négativement la demande et a, par conséquent, obéré la croissance économique, explique-t-il.
D’ailleurs, notre interlocuteur s’attendait à un ralentissement de la croissance économique au premier trimestre 2024 plus prononcé que ce qu’a annoncé le HCP, parlant plutôt de «net relâchement économique». Pour preuves, l’économiste évoque notamment la méforme du secteur du BTP qui ne devrait consolider les effets positifs des aides directes au logement qu’au 2ème ou au 3ème trimestre, ainsi que la montée du chômage (13,3% au premier trimestre).
«Pas de politique industrielle»
Par ailleurs, Mehdi Lahlou note que «ce qui a davantage pénalisé la croissance économique, tient de ce que la baisse de régime de la demande interne n’a pas été compensée par la demande externe, avec des performances pas assez fortes des principaux secteurs exportateurs».
À cet effet, la contribution des exportations à la croissance a connu un net ralentissement au cours du premier trimestre 2024, reculant à 3 points au lieu de 7,4 points une année auparavant, selon le HCP.
Ce qui renvoie au rôle de la stratégie industrielle nationale, censée dynamiser les exportations, et remise en cause par les économistes que nous avons fait réagir. «On n’a pas de politique industrielle», martèle Driss Effina, estimant que les efforts consentis dans le secteur sont dus essentiellement à la propre volonté du secteur privé.
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L’absence d’une vraie stratégie de développement industriel est également soulignée par l’économiste Nabil Adel. Pour lui, on ne peut parler de développement industriel alors que l’on enregistre près de 15.000 faillites d’entreprises par an, et tant qu’on n’a pas de 15 à 20 secteurs émergents, à l’image de l’industrie automobile, et qu’on n’a pas une nette croissance de la création de nouvelles unités industrielles et une explosion des exportations.
Pour faire face à ce ralentissement de la croissance économique, Driss Effina a appelé à encourager les entreprises à investir avec un système fiscal et une politique monétaire adéquats. En fait, cet économiste trouve que «la pression fiscale est en hausse d’une manière terrible» actuellement, et que le resserrement monétaire adopté par la Banque centrale a bridé l’activité économique. Ce qui risque de pousser le secteur organisé à basculer dans l’informel, prévient-il.
Les arbitrages de la politique économique sont à revisiter
Ce qui rejoint, en partie, une analyse publiée, il y a moins d’un mois, par le Centre marocain de conjoncture (CMC) qui a estimé que le desserrement de l’étau monétaire peut être d’un grand apport pour la dynamique de l’investissement et la relance de l’activité. Le CMC explique que les conditions de financement «peuvent constituer un véritable handicap pour l’entreprise et pour lesquelles les orientations arrêtées en matière de politique monétaire peuvent jouer un rôle décisif».
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Les économistes du CMC ont également estimé que des arbitrages en matière de politique économique sont à revisiter à la lumière de l’analyse de la situation conjoncturelle, mais aussi des objectifs à moyen et long terme.
Ils rappellent que le Maroc est engagé pour les prochaines années dans de vastes chantiers, dont notamment le développement d’infrastructures économiques et sociales «de grande envergure», en plus du projet de la généralisation de la protection sociale.
Ces chantiers, soulignent-ils, impliquent «des investissements de grande ampleur dont le financement ne peut être assuré de façon soutenable sur le long terme que par une dynamique de croissance régulière, plus intense et plus inclusive».