Poulet: voici les causes de l’envolée des prix

Un élevage de volaille.

Un élevage de volaille. (Photo d'illustration). DR

Le prix du poulet a atteint cette semaine le niveau record de 28 dirhams le kilo. Une hausse vertigineuse qui ne serait, d’après les professionnels, que la facette visible de «la crise lancinante» que vit la filière du poulet de chair, menaçant même sa survie. Explications.

Le 06/05/2023 à 17h32

«La viande des pauvres n’est plus aux pauvres!», clamaient il y a quelques semaines des associations de protection des consommateurs contactées par Le360, protestant déjà contre la hausse des prix de la viande de poulet. Aujourd’hui, elles pousseraient encore plus de la voix, avec un prix au kilo qui culmine désormais à 28 dirhams. «Un niveau jamais vu», de l’aveu même des professionnels. S’ils admettent volontiers la brutalité de la hausse pour le consommateur, ces derniers assurent qu’elle n’est que la manifestation visible des difficultés que vit leur filière, «empêtrée depuis des années dans une situation qui ne cesse de se compliquer, et qui menace jusqu’à sa survie», déplore Saïd Janah, secrétaire général de l’Association nationale des producteurs de poulet de chair (ANPC).

Pour démêler les fils d’une situation compliquée, notre interlocuteur évoque une équation simple : «Quand les prix augmentent, cela indique que près des deux tiers des producteurs sont à l’arrêt». Comprendre: cette hausse des prix est le résultat mécanique d’une baisse de l’offre. «La majorité des petits producteurs ont fermé leurs élevages, alors que d’autres ont réduit leurs capacités», poursuit-il, estimant la contraction des superficies d’élevage à 50% dans la plupart des fermes. La question s’impose: à 28 dirhams le kilo, pourquoi réduire la voilure sur un produit aussi lucratif, pour lequel la demande ne fait que croître, par un effet d’éviction avec la hausse du prix des viandes rouges?

Hausse des coûts de production de 80%

Plutôt surprenante, la réponse du secrétaire général de l’ANPC dévoile une autre réalité de la filière. «Même avec ces niveaux de prix, la production de la viande de poulet est devenue économiquement intenable», soutient-il. En cause, l’explosion des coûts de production, qui auraient augmenté de 80% au cours des trois dernières années. «Le coût de l’alimentation des volailles est passé de 3,5 à 6 dirhams le kilo. À elle seule, cette nouvelle donne a enfoncé la majorité des éleveurs dans une profonde crise financière», explique Mustapha Mountassir, président de l’Association nationale des producteurs des viandes de volaille (APV), relevant de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole.

Autre intrant essentiel dont les prix ont flambé: les poussins, aujourd’hui facturés 7 dirhams l’unité, contre 3 dirhams il y a moins de deux ans. Et ce n’est pas fini. Les producteurs doivent supporter la hausse d’autres charges, notamment celles de l’énergie, du transport et de la main d’œuvre. «C’est simple, il n’y a pas un seul intrant ni une seule étape dans la chaîne de production que l’aviculteur ne paie pas plus cher», résume Saïd Janah.

Ce dernier impute cette hausse des coûts à des raisons conjoncturelles, mais seulement en partie, pointant du doigt l’avidité de certains fournisseurs. «Les accouveurs voulaient depuis des années augmenter les prix des poussins. Ils ont eu recours à des spéculateurs, qui ont profité de la situation actuelle et de l’absence de toute régulation ou contrôle du marché», dénonce-t-il.

Cercle vicieux

L’accusation, source de tensions et de divisions au sein de la filière, est balayée d’un revers de la main par le président de l’APV, qui rappelle que les accouveurs ont été tout autant affectés par la hausse des coûts. «Le prix de l’œuf de type chair est passé de 60 centimes il y a quelques années à près de 2 dirhams. Ajoutez-y le coût de toutes les autres charges qui ont également augmenté, et vous obtenez un prix de revient en très nette hausse», argumente-t-il.

L’origine de cette inflation est aussi à chercher dans les effets d’un cercle vicieux dans lequel le secteur semble enfermé. «Les éleveurs de poulet à chair, qui produisaient à perte depuis près de deux ans, ont dû diminuer, voire arrêter leur production. Cela s’est directement reflété sur la production de poussins, et sur leur prix de vente», explique Mustapha Mountassir.

La perturbation du marché ne s’est pas arrêtée là. «Les accouveurs, ne trouvant plus d’acheteurs pour leurs poussins, ont dû à leur tour réduire leur production», poursuit-il. Résultat, une baisse qui dépasserait les 30% sur une seule année, évoluant «d’un volume moyen de 9,5 millions de poussins par semaine, à 6 millions de poussins, dans le meilleur des cas», détaille notre interlocuteur.

Il y a un point sur lequel nos deux interlocuteurs s’accordent: la filière avicole est en crise, et ce depuis le début de la pandémie de Covid-19. «Au déclenchement de la pandémie, les prix ont amorcé une chute libre, due principalement à une baisse inédite de la demande. Le confinement et les mesures sanitaires ont paralysé des débouchés que sont la restauration, l’hôtellerie et l’événementiel», explique Saïd Janah. «L’état de panique qui s’est emparé du secteur, avec la perturbation des chaînes de distribution à l’international, n’a rien arrangé», renchérit Mustapha Mountassir.

Pire, quand ils ne se sont pas envolés, les coûts de production, eux, se sont maintenus à leurs niveaux initiaux. Acculés, les producteurs n’avaient d’autre choix que de vendre à perte. Durant les premiers mois de la pandémie, le kilogramme de poulet, qui coûtait alors 16 dirhams à produire, se vendait à quelque 11 dirhams. «Cette chute des prix a été un coup dur pour les moyens producteurs, et le coup de grâce porté aux petits producteurs», lance le secrétaire général de l’ANPC.

De cette crise, la filière ne s’est toujours pas relevée. «Nous avons dès lors lancé un appel au secours au ministère. Nous avions prédit que nous en arriverons là», souligne Said Janah, avant de reprendre, non son amertume : «Quand le poulet se vendait à 11 dirhams, le consommateur était content, la tutelle aussi, mais personne ne s’est soucié de la situation du producteur. Ce n’est que quand les prix ont commencé à augmenter que la pression s’est fait sentir».

«Les aviculteurs, pris en otage»

Aujourd’hui, la réalité est tout autre. «L’éleveur, fortement endetté, a perdu son capital et a réduit son exploitation, et les prix ont augmenté. Tout le monde est perdant», regrette Mustapha Mountassir. «Les producteurs ont cumulé d’énormes pertes. Ceux qui n’ont pas abandonné tôt l’activité se sont noyés dans les dettes avant de mettre la clé sous la porte. Et ceux qui ont pu survivre jusqu’à maintenant continuent à s’endetter», explique de son côté Saïd Janah.

Et de poursuivre : «Aujourd’hui, pour les petits et moyens éleveurs, réduire les exploitations d’élevage est un choix amer, auquel aucune alternative n’a été proposée. Leur situation financière les empêche de relancer leur activité, mais aussi de l’arrêter. Ils sont littéralement pris en otage».

Alors que l’activité est devenue trop risquée pour que les banques consentent à des financements supplémentaires, une grande partie des petits et moyens aviculteurs continuent à produire «grâce à quelques fournisseurs qui acceptent encore de leur vendre des aliments pour volaille à crédit». «Le coût de production étant passé de 17 dirhams à plus de 22 dirhams, nous travaillons surtout pour rembourser nos dettes. Aujourd’hui, dans notre secteur, il n’est pratiquement plus question de bénéfices», affirme le président de l’APV.

«Aucune visibilité»

Si le prix de 28 dirhams que doivent supporter les consommateurs pour mettre un kilogramme de poulet sur leur assiette n’est que «la répercussion» de cette crise que traverse depuis des années la filière, le futur ne semble pas plus rassurant, non plus. Interrogés sur une éventuelle baisse des prix, les deux professionnels avancent une même réponse: «Nous n’avons aucune visibilité sur l’évolution des prix dans les 40 jours à venir».

«C’est une règle dans notre métier : j’achète un poussin pour l’élevage pour chair au prix qui m’est imposé, alors que je n’ai aucune idée à combien je vais le vendre dans un mois. Les prix peuvent atteindre la barre des 30 dirhams le kilo, comme ils peuvent soudainement chuter», explique Saïd Janah.

Un avenir incertain

Le président de l’APV se veut plus rassurant, estimant que les prix ont atteint leur pic. «Les prix vont finir par baisser. Nous faisons tout pour cela, notamment en augmentant la production des poussins», indiquant que 3 millions de poussins additionnels devraient être disponibles à partir de la semaine prochaine. En revanche, le ton est plus inquiet quand il s’agit d’évoquer l’avenir de la filière. «Si la filière a été aussi profondément affectée par cette crise, c’est que des problèmes structurels ont toujours existé. Et les producteurs ont été trop longtemps abandonnés à leur sort», regrette-t-il, ajoutant que «l’augmentation de la production est aujourd’hui prioritaire, mais une restructuration du secteur est inévitable», assène-t-il.

Et d’insister sur le caractère de moins en moins attractif du secteur avicole pour les investisseurs. «Des mètres et mètres d’élevage ne sont pas exploités et les investisseurs ne veulent plus prendre de risques. Une simple étude du marché leur montrerait que s’ils investissent dans le secteur, ils vont y laisser leur mise», ajoute Mustapha Mountassir.

Saïd Najah, lui, se veut plus un brin optimiste. «Nous parviendrons à redresser la production, et les prix finiront par baisser. Mais sauf improbable miracle, ils ne reviendront jamais à leurs niveaux autour des 20 dirhams», assure-t-il, tout en prévenant que «dans le cas contraire, si chute de prix il y a, la crise va s’aggraver, et les Marocains risqueraient, à moyen terme, de ne plus trouver de poulet sur les étals des marchés».


Par Lina Ibriz
Le 06/05/2023 à 17h32