Karim Cheikh: «La fabrication de l’avion vert au Maroc nécessite des ruptures technologiques majeures»

Karim Cheikh, président du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS).

Le 20/02/2023 à 19h49

VidéoLa plateforme aéronautique marocaine semble avoir fermé définitivement la parenthèse de la crise du Covid-19 en réalisant un record à l’export à fin 2022. Les acteurs du secteur se préparent désormais à relever de nouveaux défis, liés notamment à la décarbonation. Le point sur cette ambition avec Karim Cheikh, président du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS).

Le secteur aéronautique au Maroc a-t-il réussi à retrouver son niveau d’activité d’avant la crise du Covid-19?

Je souhaiterais tout d’abord vous donner quelques chiffres clés du secteur, qui connaît depuis plus d’une vingtaine d’années une croissance importante. Nous sommes passés de cinq sociétés en 2000 à plus de 140 aujourd’hui. Ces entreprises opèrent dans six écosystèmes avec une croissance qui tourne autour de 20% par an.

À fin 2022, le secteur aéronautique a réalisé près de 22 milliards de dirhams à l’export. Ce chiffre est important car il dépasse le chiffre d’affaires réalisé en 2019, ce qui confirme la reprise effective du secteur. Ce dernier compte plus de 20.000 emplois directs, avec un taux d’intégration locale significatif qui s’élève à 40%.

Autant la chute durant la période du Covid-19 a été brutale, autant la reprise du secteur aujourd’hui est importante. Nous sommes en train de gérer la hausse de cadence de production avec nos opérateurs. Dans l’ensemble, on parle de près de 40.000 nouveaux avions à fabriquer à l’horizon 2040. On parle aussi de l’avion vert, de l’industrie décarbonée, et des technologies 4.0. On se prépare d’ores et déjà pour faire face à ce développement de l’aéronautique qui nécessite des ruptures technologiques majeures.

Quels sont, selon vous, les principaux atouts de la plateforme aéronautique nationale?

La plateforme aéronautique marocaine est connue et reconnue pour sa qualité, pour sa compétitivité et pour la qualité de ses ressources humaines. Notre objectif à l’avenir est de doubler les chiffres que nous réalisons actuellement, pour arriver à plus de 40 milliards de dirhams d’exportations, créer davantage d’emplois et avoir plus de 350 opérateurs dans l’écosystème.

Aujourd’hui, on a des opportunités réelles grâce à notre compétitivité, grâce à la vision éclairée de Sa Majesté et grâce à nos différents partenaires, dont le ministère de l’Industrie et l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations, qui nous permettent d’aller de l’avant et de développer davantage ce secteur.

L’offre de formation en aéronautique au Maroc répond-elle aux exigences de l’heure?

Le facteur clé du succès du capital humain dans le secteur, c’est d’abord la création de l’IMA (Institut des métiers de l’aéronautique, ndlr), qui répond réellement aux besoins de nos industriels. Cet institut a été créé en 2011 avec une «gestion pour compte», c’est-à-dire que la gestion est complètement déléguée au GIMAS, avec le soutien de l’État. Les modules de formation sont donc développés en fonction des besoins des industriels.

Initialement, l’IMA a été dimensionné pour former 400 personnes par an avec une extension à 800 personnes. Aujourd’hui, nous formons plus de 2.000 stagiaires par an. Comme c’est de la formation par alternance, les industriels expriment leur besoin et l’institut les aide à former et à recruter des stagiaires. Nous avons un taux d’insertion de 98%; presque tous les stagiaires qui sont formés à l’IMA travaillent dans le secteur aéronautique.

En matière de services aussi (réparation, maintenance, démantèlement...), nous avons un partenariat fort avec l’ISMALA, qui est un institut de l’Office de la formation professionnelle (OFPPT), dans lequel nous sommes aussi impliqués pour former nos techniciens aux métiers du service qui est un secteur sur lequel on doit se développer encore plus.

Le monde ambitionne de décarboner l’économie. L’écosystème industriel national est-il en adéquation avec ce challenge?

La plateforme aéronautique au Maroc est constituée de grands groupes. Je cite Airbus, Boeing, Safran et Spirit Aerosystem, en plus du tissu de PME/PMI. Le développement des nouvelles technologies de décarbonation nécessaires à la fabrication de l’avion vert au Maroc nécessite le développement de la recherche et de l’innovation.

On se doit de développer un écosystème dédié à la R&D pour ces secteurs-là. Certes, il y a toujours un transfert de technologies des grands groupes installés au Maroc vers l’écosystème national, mais il faut aussi qu’on le complète par un développement local. À ce titre, le ministère de l’Industrie et du commerce et le ministère des Finances ont lancé en janvier dernier un appel à projets d’innovation qui peut accompagner les entreprises dans leur développement de brevets et de prototypes pour les projets d’industrialisation. Les perspectives pour le secteur aéronautique sont importantes, on doit s’y préparer dès maintenant.

Comment se positionne aujourd’hui la plateforme aéronautique marocaine au niveau du continent africain?

Concernant notre positionnement en Afrique, il faut savoir que le Maroc est classé comme la première plateforme aéronautique sur le continent. Avant, c’était l’Afrique du Sud, mais le Royaume a réussi à la dépasser ces dernières années et nous sommes 5ème au niveau mondial.

L’African Air Forum, un évènement organisé le 16 février dernier à Casablanca, se veut une plateforme d’échange et de partage avec nos pays amis de l’Afrique pour échanger et développer le secteur au niveau continental. Nous avons échangé avec nos amis du Congo, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Kenya... des pays avec lesquels un partenariat de développement industriel serait bénéfique pour le continent africain, pour passer de simples consommateurs à des producteurs de savoir et de savoir-faire industriels.

Par Safae Hadri et Khadija Sabbar
Le 20/02/2023 à 19h49