Interview. Le variant Delta, un coup dur qui va aggraver le choc économique, selon l’économiste Larabi Jaidi

Larabi Jaidi, économiste

Larabi Jaidi, économiste . MAP

EntretienAvec la recrudescence des cas de Covid-19 au Maroc et les records journaliers de contaminations et de décès qui ne cessent d’augmenter, l’idée d’un nouveau confinement ne semble plus si improbable que cela. Eclairage de l’économiste Larabi Jaidi, senior fellow policy center for the new south.

Le 09/08/2021 à 16h30

Le360 - L’économie marocaine peut-elle tenir le choc d’un nouveau confinement?Larabi Jaidi - La question paraît simple, mais en fait, il n y’a pas un scénario unique de confinement. Le confinement peut être dur, semi-dur, ou flexible selon la virulence du virus et l’intensité de la pandémie.

Si le confinement est aussi dur que celui que nous avons connu lors de la première vague, alors la réponse est oui, la situation sera très compliquée, bien sûr, dans beaucoup de secteurs. Toutefois, ce nouveau choc sera beaucoup moins fort que celui du printemps 2020. Pourquoi? Parce que cette fois, la production ne va pas s’arrêter dans le pays comme ça avait été le cas pendant le premier confinement. Les gens vont continuer à aller travailler ou à travailler de chez eux. Donc, la perte de PIB sera moins forte. Au printemps 2020, chaque mois de confinement avait coûté sévèrement au PIB. Cette fois, ce sera beaucoup moins.

L'économie nationale serait quand même impactée et la reprise économique beaucoup plus compliquée. Après le choc des confinements précédents, l’économie marocaine était dans un déconfinement avancé et presque dans un quasi-retour à la normale. Des mesures de reconfinement dures seraient perçues comme un nouveau choc, quand bien même il ne sera pas aussi massif que lors de la première vague de 2020. Mais le problème est qu’il frapperait une économie très affaiblie. Les entreprises ne gagnent plus d’argent, elles sont endettées. Beaucoup de commerces sont déjà dans un état de survie, des milliers d’emplois ont été détruits et ce contexte rend fébriles les chefs d’entreprises. Si l’on prend un seul exemple, celui du tourisme, il a beaucoup perdu lors du premier choc, soit près des trois-quart de son activité annuelle. Aujourd’hui, le taux d’occupation des restaurants ou hôtels commençait à se redresser, mais le nouveau tour de vis va évidemment mettre un coup de frein à ce début de reprise du secteur.

Une autre raison qui fait qu'un nouveau confinement sera moins sévère et coûteux cette fois-ci est que les services publics et d'autres secteurs pourront continuer à travailler, comme le secteur du bâtiment, les exploitations agricoles, par exemple. Autre élément important: les entreprises savent maintenant s’organiser autrement, bien utiliser le télétravail. Il n'y aura donc pas un arrêt total de l'économie. Mais il faudra tout de même redouter des faillites qui pourraient venir fragiliser une nouvelle fois l'économie.

La situation actuelle mérite-elle qu’on se reconfine?Après le premier confinement, on a assisté à un rebond de l’économie qui va se prolonger probablement jusqu’en décembre. Le risque est que la reprise de l’économie annoncée en 2022-2023 ne se manifeste pas au rythme annoncé si le Delta ou de nouveaux variants continuent de sévir. C’est pour cette raison que la vaccination est bien sûr un espoir. Au début de ce second semestre, la croissance semble repartir grâce à la consommation des ménages qui pourrait retrouver son niveau d’avant Covid-19. Mais ce scénario risque d'être interrompu s'il y a un reconfinement et donc un risque de rechute de l’économie. La raison est que la méfiance des ménages et des entreprises seraient plus grande face à une pandémie dont on ne voit pas la fin. Dans une telle situation incertaine, les premiers épargnent, les secondes cessent d’investir. Résultat, même si l’épidémie ralentit à la suite des mesures sanitaires, la reprise de l’activité risquerait cette fois d’être lente.

Quels sont les scénarios à envisager?Nous ne pouvons pas envisager des situations polaires: confinée ou déconfinée. C’est un confinement calibré qu'il faudrait envisager pour le Maroc, pondéré, de manière à l'ajuster à la sévérité de la pandémie et à la situation du pays et peut-être même de ses régions. De plus, nous ne pouvons pas envisager de situations en ne tenant compte que du Maroc. Nous sommes une économie ouverte. Le Maroc ne peut pas se reconfiner alors que ses principaux partenaires se déconfinent ou inversement.

Les mesures de confinement mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid‐19 ont non seulement un impact direct sur l’économie marocaine, comme partout ailleurs dans le monde, mais elles ont également des répercussions externes via les chaînes de valeur et la demande extérieure. Le Maroc est plus exposé aux chocs de confinement provenant de l’Union européenne et relativement de chocs provenant du reste du monde. La situation la plus défavorable pour le Maroc serait qu’il subisse un choc d’offres (baisse de la production liée aux mesures sanitaires, ou nouvelle vague) tandis que le reste du monde serait sorti de la crise, ce qui entraînerait un recul de ses parts dans l’économie mondiale. Aujourd’hui, les stratégies de confinement-déconfinement sont désynchronisées selon les pays. C’est une réalité que l’on doit aussi prendre en compte en fonction des intérêts spécifiques du pays.

Quelle sera l’impact du variant du Delta sur l’économie marocaine?Ce variant Delta arrive au pire moment pour le tourisme et de nombreux services connexes. Malgré les mesures d'aides - qui ont été prolongées - il faut donc s'attendre à des faillites. C'est un coup dur qui va aggraver le choc économique du Covid-19, mais si certains secteurs risquent leur survie, malgré de nouvelles aides publiques, d'autres sont mieux armés pour s'adapter au retour des restrictions.

Sous le régime du premier confinement, l'activité avait chuté fortement. Aujourd’hui, les restrictions étant moins importantes, avec une activité qui se poursuit, l'impact du variant Delta devrait être moindre. En mars-avril 2020, les entreprises, les décideurs publics avaient été pris au dépourvu. On n'avait jamais vécu de telle situation par le passé, on ne connaissait pas les gestes barrières, les professions n'était pas organisées pour cela, il y avait encore peu d'ordinateurs portables pour faire du télétravail. Cette fois, les entreprises et l'administration sont mieux préparées pour poursuivre une partie de leur activité durant le confinement, avec des protocoles sanitaires définis.

Le secteur de la construction et une partie de l'industrie devraient être moins pénalisés. En revanche, pour les secteurs qui sont déjà fragilisés, comme la culture, le tourisme, là le risque est plus sensible, tout comme pour les commerces dont les cafés et les restaurants puisqu'ils sont déjà affaiblis.

Quand peut-on s’attendre à une reprise?Si l’économie marocaine reprend en 2021 par l’effet rebond, peut-être connaîtra-t-elle une relance sérieuse en 2022 ou se stabiliser à 2-3% en dessous de son niveau pré-pandémique. Sur le dernier semestre de 2021, c’est l’incertitude épidémiologique qui va rythmer l’activité économique. Tout va dépendre du nombre de nouveaux cas, de l’étendue des restrictions et, surtout, de la cadence vaccinale. Cette crise est en effet particulière, car ses effets dépendent en partie de la politique sanitaire, le reste étant un savant mélange de comportement des ménages et de résilience des entreprises, et de choix forts de politique économique. Il faut donc tout faire pour limiter cette pandémie dans le temps et c’est pourquoi la vaccination est un facteur déterminant de la reprise économique.

En 2020, le Maroc a limité la casse. Notre pays a encore les ressorts nécessaires pour repartir quand la situation sanitaire s’améliorera. Jusqu’ici la réussite de la riposte à la crise s’est manifestée par une faible hausse du chômage et de moindres défaillances d’entreprises. Le tissu économique est encore préservé. Les aides publiques ont permis l’absorption du choc. Le but des politiques publiques, c’est désormais d’étaler ses effets pour permettre la relance.

La vaccination éloigne le risque épidémique en devenant accessible pour une large partie de la population. Cela devrait mettre fin, d’ici à quelques mois, au mouvement de stop-and-go qui a marqué 2020-2021 et qui fragilise l’économie. Le déploiement progressif de la vaccination a apporté un espoir de stopper la propagation du Covid-19. Nous anticipons une poursuite de cette embellie aux troisième et quatrième trimestres, en lien avec l’évolution positive de la situation sanitaire. Le retour à un fonctionnement normal de l’économie pourrait alors intervenir en 2022.

La propagation du variant Delta, très contagieux, inquiète. L’émergence de nouveaux variants du coronavirus fait peser des risques sur l’économie mondiale. En réalité, il est impossible de se prononcer pour l’instant sur la dangerosité de nouveaux variants qui menacent d’un ralentissement la reprise.

Le Covid-19 n’est pas encore vaincu. La reprise économique en 2022 reste exposée non seulement en particulier à la propagation de nouveaux variants, mais aussi aux rythmes et aux effets de la vaccination. Le Maroc avance plus vite que d’autres en matière de vaccination. La menace qui pèse sur un rebond économique solide et une reprise rapide de l’économie est une nouvelle vague de la pandémie enclenchées par de nouveaux variants. Il faut continuer à se procurer des vaccins, également contre de nouveaux variants.

Par Reda Benomar
Le 09/08/2021 à 16h30