Au Maroc, le marché des véhicules électrifiés est encore branché sur courant alternatif. Au total, 7.165 unités ont été vendues en 2023, dont 463 voitures électriques pures (soit 6,5% de ce lot), d’après l’Association des importateurs de véhicules au Maroc (AIVAM). Cette année, l’AIVAM prévoit une tendance de vente de 9.200 véhicules électrifiés, dont 900 voitures 100% électriques (environ 10%), révèle son président Adil Bennani, interrogé par Le360.
On est très loin des standards en Europe, où ces véhicules devraient représenter pas moins de 25% des ventes cette année. Au-delà de la cherté de ces moyens de mobilité, qui dissuade souvent de nombreux automobilistes de ranger leurs moteurs thermiques, c’est aussi l’insuffisance de bornes de recharge qui freine la course à l’électrique au Maroc.
Environ 1.500 bornes de recharge AC et moins de 100 bornes DC au Maroc
Il existe deux types de bornes de recharge: les bornes AC (courant alternatif), dont les puissances varient entre 7, 11 et 22 kilowatts (kW), et les bornes rapides DC (courant continu), dont les puissances oscillent entre 50 et 180 kW. Au Maroc, les premières sont particulièrement installées dans les domiciles, les hôtels et certaines aires de repos des autoroutes, tandis que la deuxième catégorie est présente dans le réseau de stations-service Afriquia, et commercialisée, depuis 2023, par l’entreprise Vital Energy Maroc.
Nombre de véhicules électriques vendus en 2023 et le nombre de ventes prévues en 2024, (source: l’Association des importateurs de véhicules au Maroc)
Catégories de véhicules | Nbre d’unités vendues en 2023 | Nbre de ventes prévue en 2024 |
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Voitures hybrides | 6.141 | 7.500 |
Voitures hybrides rechargeables | 561 | 800 |
Voitures 100% électriques | 463 | 900 |
Chaque typologie de bornes a sa spécialité. Les AC envoient l’électricité du réseau au véhicule électrique via un câble de recharge. Le convertisseur embarqué (ou transformateur) dans la voiture convertit ce courant alternatif en courant continu, avant de l’injecter dans la batterie. Sur les équipements DC, le processus est différent. Disposant de leur propre convertisseur, elles délivrent directement du courant continu dans la batterie via le câble de recharge.
Des prix oscillant entre 6.000 et 25.000 DH pour les AC
Au Maroc, on dénombre actuellement environ 1.500 bornes de recharge AC, principalement utilisées par les particuliers, et moins de 100 bornes DC, notamment dans les grandes villes comme Casablanca, Rabat, Marrakech et Tanger, selon Fouad El Kohen, directeur général de l’entreprise Meier Energy, et membre du conseil d’administration de l’Association professionnelle intersectorielle pour la mobilité électrique (APIME), contacté par nos soins.
«Une borne AC a besoin d’un courant de 300 à 380 volts. Les prix peuvent aller de 6.000 à 25.000 dirhams. À ce coût, vous ajoutez des frais d’installation qui varient entre 2.000 et 3.000 dirhams, en fonction de la puissance électrique», précise Adil Bennani, par ailleurs directeur général d’Auto Nejma.
Après sa création le 30 janvier 2023, l’APIME, qui regroupe actuellement une cinquantaine de membres, dont de grands constructeurs, ainsi que des membres de la Fédération nationale de l’électricité, de l’électronique et des énergies renouvelables (FENELEC), avait annoncé son ambition d’installer 2.500 bornes de recharge AC au Maroc d’ici 2026, principalement dans l’axe Casablanca-Rabat-Tanger.
Où en est le projet ? «Le projet avance. Nous avons entamé des discussions avec des constructeurs et importateurs automobiles. Les développeurs de ces infrastructures attendent des signaux favorables pour accélérer la mise en œuvre. Il faut que l’État donne un coup de pouce pour encourager le déploiement rapide de ces bornes», assure Fouad El Kohen.
Les bornes DC, un méga-investissement
Pour les bornes DC, c’est une autre paire de manches. Les tarifs oscillent entre 150.000 dirhams et 1 million, voire 2 millions de dirhams pour les super-chargeurs, y compris les frais d’installation et les procédures pour obtenir les autorisations de branchement auprès de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) ou des régies, afin d’augmenter la puissance disponible, qui peuvent coûter plus de 50% du prix de la borne.
«Plus la borne a une grande puissance, plus elle est chère, plus son besoin en électricité est important, et plus la puissance que vous avez dans votre transformateur est importante. Si on installe une borne DC dans une station existante sans rien changer, soit elle ne va pas fonctionner, soit elle fonctionnera et vous n’aurez plus d’électricité dans toute la station», explique Adil Bennani.
La puissance et les prix des bornes AC et DC commercialisées au Maroc
Types de bornes | Puissance | Prix |
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AC | 7, 11 et 22 kilowatts (kW) | Entre 6.000 et 25.000 dirhams |
DC | Entre 50 et 180 kilowatts (kW) | Entre 150.000 dirhams et 2 millions de dirhams |
Si la consommation d’une voiture dotée d’un moteur thermique est exprimée par le nombre de litres aux 100 km, sur une voiture électrique, c’est en kilowattheure par 100 km. D’après Fouad El Kouhen, la consommation d’une voiture électrique, rechargée depuis une borne AC à domicile, est trois fois moins chère que celle d’une voiture à essence qui consomme 5l/100 km, vu le coût actuel de l’électricité au Maroc.
En moyenne, un véhicule consomme entre 12 et 20 kilowattheure (kWh). «Un petit véhicule de ville qui a une batterie de 40 kWh a besoin généralement de 13 à 14 kWh/100 km. Une voiture avec une batterie de 45 kW consommera 15 kWh/100km, soit une capacité de 300 km. Avec une batterie de 60 kW, il fera 400 km», précise le président de l’AIVAM. Plus la borne est puissante, plus le temps de recharge de la batterie est rapide. Par exemple, une voiture avec une batterie de 30 kWh, branchée sur une borne de 7,4 kW, se chargera en 4h, contre 1h20 sur une borne de 22 kW.
Cette durée de recharge dépend aussi de la puissance maximale du convertisseur et du pourcentage de charge de la batterie au moment du branchement. Un véhicule dont le convertisseur est limité à 11 kW, branché sur une borne de 22 kW, ne pourra recharger que 11 kW. Même cas de figure sur une borne DC. Un véhicule dont la capacité maximale de la batterie est de 50 kWh ne pourra recharger que 50 kW sur une borne de 100 kW. «La puissance maximale, c’est la puissance de l’élément le plus faible dans la chaîne, que ce soit la voiture ou la borne», résume Adil Bennani.
Facturation du temps de recharge
Le temps de recharge, c’est ce que facturent justement les développeurs de bornes AC et DC. L’un des gestionnaires de la place facture par exemple un espace de parking avec recharge rapide à 2,5 dirhams/minute, et un espace de parking avec recharge AC à 0,5 dirhams/mn, pour chaque palier de 30 mn.
«Les opérateurs de bornes facturent le temps de recharge parce qu’ils partent du principe qu’ils ne vendent pas de l’électricité, mais plutôt un service qui comprend de l’énergie électrique certes, mais aussi la maintenance. Au Maroc, seuls l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et les régies sont autorisés à vendre l’électricité», explique Fouad El Kouhen.
Toutes les bornes DC et une bonne partie des bornes AC installées dans le Royaume sont importées. Afin de développer une ligne de production locale pour se substituer aux importations, Green Energy Park (GEP), une joint-venture entre l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P), et l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN) ont officiellement lancé, le 12 juillet 2021 à Benguerir, une unité de fabrication de bornes de recharge intelligentes «100% marocaine» dénommée iSmart, en collaboration avec l’entreprise marocaine EDEEP. Un projet soutenu par le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable.
Bientôt des fabricants locaux de bornes
Hébergée dans un premier temps à GEP, la start-up Ev I-Smart, qui fabrique ces bornes, a été officiellement créée en septembre 2023 à Benguerir, en tant que société par actions simplifiée (SAS) avec un capital de 8,4 millions de dirhams. Contacté par Le360, son directeur général, Ahmed Haddou, par ailleurs directeur de la valorisation et de l’industrialisation au GEP, déclare que son entreprise vend des bornes de recharge de 7, 11 et 22 kW, principalement à des institutions marocaines, notamment les ministères, des entreprises du secteur minier et du BTP, ainsi que des particuliers.
«Depuis notre lancement, nous avons commercialisé 200 bornes rapides de type AC, avec des prix oscillant entre 8.500 et 10.500 dirhams selon les options choisies, et avons reçu une commande d’une centaine de bornes. Nous accompagnons nos clients dans la mise en place de ces bornes dans leurs parkings», affirme-t-il. D’après notre interlocuteur, la start-up a assuré actuellement un taux d’intégration de 80%, parce que le Maroc ne dispose pas encore «d’une véritable industrie de composants électroniques» qui lui aurait permis d’atteindre les 100%. L’objectif de la jeune pousse: commercialiser 300 bornes cette année, 500 en 2025 et 700 en 2026.
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Trois autres unités locales de fabrication de bornes AC devraient bientôt voir le jour, à Casablanca, Marrakech et Tanger, révèle Fouad El Kohen. L’unité prévue dans la métropole sera le fruit d’un partenariat entre son entreprise et un partenaire allemand. «Nous prévoyons de le présenter fin novembre prochain durant le salon Elec Expo», confie-t-il.
Outre la fabrication des bornes AC, EV I-smart envisage aussi de produire des bornes DC pour répondre aux besoins d’une certaine clientèle. «Nous prévoyons de lancer notre première borne de recharge DC fin 2024. Les coûts d’acquisition et d’installation sont élevés, surtout s’il faut augmenter la capacité de l’infrastructure recevant ces bornes rapides. Actuellement, vous pouvez vous attendre à payer jusqu’à 270.000 dirhams pour une borne DC de 50 kW, et au moins 1 million de dirhams pour celle de 150 kw, frais d’installation et mise à niveau de la capacité d’infrastructure inclus», soutient Ahmed Haddou.
AC plutôt que DC
L’APIME s’intéresse aussi aux bornes DC. Elle a mis en place une commission chargée de mener des discussions avec l’ONEE pour l’installation de ces infrastructures, révèle Fouad El Kohen. À l’en croire, de nombreux investisseurs souhaitent miser sur ce marché, mais hésitent à franchir le pas à cause des montants onéreux de ces infrastructures et la lourdeur des démarches, notamment les procédures pour l’obtention d’autorisation auprès de l’ONEE et des régies.
«L’un des plus grands problèmes dans ce secteur, c’est le retour sur investissement. Aujourd’hui, le marché est encore balbutiant. Il n’existe pas d’incitations de l’État pour encourager le développement d’infrastructures de recharge, surtout pour les bornes DC. Les investisseurs sont obligés de prendre tous ces coûts en charge, ce qui allonge le temps du retour sur investissement», souligne-t-il.
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Pour autant, les deux experts restent convaincus que ce sont les bornes de recharge AC qui vont développer la mobilité électrique au Maroc, surtout que les véhicules électriques circulent la plupart du temps en ville. «Les bornes DC sont idéales pour les trajets longue distance, elles dégradent la batterie plus que les bornes AC. Plus on recharge rapidement la batterie, plus on la dégrade, sachant que la garantie est estimée à 8 ans», avance Ahmed Haddou.
El Kohen abonde dans le même sens. «La meilleure méthode de chargement, c’est la recharge lente en alternatif (AC). Cela permet de mieux gérer la batterie. En revanche, quand on la charge avec une borne DC, on lui fait perdre de la capacité en termes de durée de vie».
Des incitations étatiques pour encourager l’installation de bornes de recharge
Pour Adil Bennani, l’État marocain gagnerait à mettre en place des mécanismes de soutien pour favoriser l’installation de bornes de recharge qui encourageront l’achat de véhicules électriques. «L’AIVAM a transmis des propositions au ministère de la Transition énergétique et du Développement durable pour la mise en place d’un réseau de bornes de recharge, notamment une ponction sur la vente de véhicules neufs pour subventionner la pause de chargeurs par d’autres opérateurs. Mais, jusqu’à présent, les choses tardent à se matérialiser. C’est dommage, parce que c’est la clé pour le développement de ce marché», déplore-t-il.
«Aujourd’hui, on constate un vrai manque de bornes à travers le pays, notamment sur les axes autoroutiers, ce qui ne permet pas aux utilisateurs de véhicules électriques de planifier sereinement leurs déplacements, notamment les MRE qui passent leurs vacances estivales dans le Royaume», remarque l’expert. Selon lui, la tenue du Mondial 2030, dont le Maroc est l’un des co-organisateurs, devrait pousser les autorités à accélérer la cadence, pour permettre aux nombreux supporters en provenance de pays qui ont adopté la mobilité électrique de se sentir à l’aise durant leur séjour.
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Pour le directeur général de l’IRESEN, Samir Rachidi, interrogé par Le360, une véritable industrie de fabrication locale de ces bornes permettra au Maroc de combler ce gap. D’où la nécessité, pour le gouvernement, «d’instaurer des subventions pour encourager la production locale de bornes de recharge, à l’instar de la Chine qui a subventionné la production de panneaux photovoltaïques, devenant ainsi l’un des plus grands marchés mondiaux dans ce secteur».
En France, par exemple, des réglementations sont entrées en vigueur, depuis 2023, pour favoriser l’installation de bornes de recharge, notamment la «Loi Climat et Résilience» qui impose l’installation de bornes dans les parkings des bâtiments non résidentiels, neufs ou rénovés, à partir de cette année, ou encore le programme «Advenir» qui offre une aide financière pour le déploiement des infrastructures de recharge ouvertes au public dans les entreprises et les logements collectifs.
On peut également citer le décret publié le 1er janvier 2023 qui rend obligatoire l’installation de bornes de recharge dans les parkings des centres commerciaux et les immeubles de bureaux. Un cas d’école qui pourrait inspirer le Maroc.