Il y a chez Roman Frayssinet une façon singulière d’habiter l’humour, comme si chaque blague était un prétexte pour mieux sonder l’âme humaine. Avec sa voix traînante et ses yeux de rêveurs, il ne se contente pas de faire rire: il dissèque l’absurdité du monde. Ce n’est pas un hasard si ses textes flirtent avec la philosophie de comptoir et la littérature de l’instant: Roman Frayssinet a longtemps joué là où on ne l’attendait pas, s’insérant dans des scènes de poésie pour y présenter ses sketchs. C’est sans doute ce mélange d’instinct, de finesse et de profondeur qui le rend si «à part» dans le paysage du stand-up francophone. Il fait partie des artistes capables de transformer un rire en réflexion… et inversement.
C’est dans cet esprit qu’il a posé ses valises au Maroc, invité du festival Comediablanca, où l’humour se vit comme une fête populaire. Dans un pays où, dit-il, «la blague est une langue maternelle», Roman Frayssinet semble avoir trouvé un public à son image: sensible à la dérision, avide de légèreté et d’introspection. Il voit le rire comme une pommade, un geste doux sur les blessures du quotidien, et son spectacle est à cette image: suspendu entre l’absurde et l’essentiel. Sa venue à Casablanca n’a donc rien d’anecdotique —elle s’inscrit dans une quête plus vaste, celle d’un partage autour de ce mystère universel qu’est l’existence.
Le360. Ton humour flirte souvent avec l’absurde et l’existentiel. Est-ce une façon de te protéger du réel ou de mieux l’affronter?
Roman Frayssinet. J’ai toujours vécu dans un imaginaire un peu particulier. Est-ce que c’est une fuite de la réalité? C’est possible. Je trouve que notre réalité est paradoxale, alors j’essaie surtout de souligner l’absurdité de notre monde et de le faire dans la rigolade. C’est un poids pour tout le monde, l’absurdité de l’existence. L’aborder à travers l’humour, ça nous soulage un peu.
Tu parles beaucoup de l’humain, de ses paradoxes, de sa souffrance. Est-ce que faire rire pour toi, c’est aussi une forme de thérapie collective?
Oui, je ressens beaucoup de joie quand je vois les gens rire. J’ai toujours aimé rire, j’aime les gens marrants et oui, avoir l’opportunité de rire tous ensemble, c’est le meilleur des cadeaux. C’est pour ça que je me sens très bien au Maroc: tout le monde ici, naturellement, choisit la blague pour dire quoi que ce soit. On y trouve souvent le prisme de la rigolade. Moi j’adore ça, je trouve que c’est la meilleure manière d’aborder la vie.
«Ça m’est arrivé d’être mauvais longtemps et devant beaucoup de gens.»
— Roman Frayssinet
Tu viens du stand-up, mais on sent chez toi une volonté d’aller au-delà des codes.
Il y a une vision de la vie que j’essaie de partager, quelque chose de positif, qui rassemble. J’aimerais que mon travail soit comme de la pommade sur une blessure. Doux, léger, qui fait sentir bien, comme une caresse.
Il y a chez toi une forme de poésie dispersée. Est-ce que tu écris tes textes comme des sketches ou comme de la littérature?
C’est très instinctif, pas vraiment calculé, mais j’ai toujours aimé les mots. On a la chance d’avoir une grande variété de vocabulaire et de subtilité et je trouve que c’est intéressant d’en jouer. Des fois, pour l’efficacité d’une blague, le bon choix d’un mot change tout. Ça vient peut-être aussi du fait qu’à mes débuts, c’était difficile de trouver des endroits où jouer… des fois, je m’incrustais dans des soirées dédiées à la poésie. Les gens lisaient des poèmes et moi, je venais faire des sketchs et pour que ça passe, ça devait être un tant soit peu fin ou, du moins, il devait y avoir un effort sur l’écriture.
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À force de plonger dans l’absurde et l’introspection, est-ce que certains artistes s’y perdent?
Je pense que c’est un égarement positif. L’introspection, quand elle est menée sainement, porte toujours des fruits qui sont bons. Si on se perd, alors c’est dans la bonne direction, j’ai envie de dire.
Raconte-nous le moment le plus gênant que tu as vécu sur scène.
Ça m’est déjà arrivé d’être mauvais, tout simplement. Ça m’est arrivé d’être mauvais longtemps et devant beaucoup de gens. J’ai tellement appris de ces expériences-là que je n’en garde même pas de souvenirs négatifs. Parce que les soirées où j’ai été le plus mauvais, c’est les soirées qui m’ont le plus fait grandir. Ça fait du bien à l’égo aussi parce qu’on est mis dans des positions où les gens nous applaudissent, nous traitent un peu différemment et là-dedans, on peut se perdre. On peut finir par croire qu’on est spécial ou différent, et ça, c’est une voie dangereuse. Quand des fois, sur scène, on est moins bon, au final, ça nous ramène sur terre et ça nous invite à travailler pour être meilleur et ça, ça fait du bien.